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10 réponses à Saïd Sadi

OPINION

10 réponses à Saïd Sadi

 Le mouvement de dissidence populaire redistribue les cartes et suscite de vifs débats.

La contribution de Saïd Sadi : «Soldat perdu face au peuple » publiée dans sa page Facebook et reprise par le Matin d’Algérie, ce vendredi 21 juin, appelle les  dix réponses suivantes.

  1. Il est paradoxal que ce soit le Professeur de droit qui rappelle au spécialiste de la psychiatrie qu’il faut se garder des pièges du juridisme. La constitution révisée du 6 mars 2016 est caduque, autrement dit, sans être formellement  abrogée (aucune autorité n’est habilitée à y procéder dans l’état actuel du droit), elle ne peut valoir que sous bénéfice d’inventaire. Ses articles 7 et 8 sur la souveraineté populaire et la souveraineté nationale sont toujours valables ainsi que les dispositions relatives au fonctionnement des pouvoirs publics, mais non la loi organique n° 16-10 du 23 août 2016 relative au régime électoral. Si la convocation du corps électoral par le Chef de l’Etat, une seconde fois, n’est pas prévue dans la loi, elle n’est pas non plus interdite et de toute façon une loi organique dont la vocation est de dériver directement de la Constitution, ne saurait être immune de la caducité du texte le plus élevé dans la hiérarchie des normes. Ce que s’efforce de faire le Haut Commandement militaire est de suppléer à la caducité de la Constitution, et conscient des inconvénients que cette situation génère sur le fonctionnement de l’Etat, entend aller rapidement vers une présidentielle.

  2. Ce que chaque Algérien constate, jour après jour, est que le Chef d’État-major dont Saïd Sadi n’a aucun droit de réclamer le départ est en train de lutter contre la corruption, le crime organisé et le grand banditisme, comme jamais cela ne s’était produit depuis 1962. Cette volonté d’assainissement procède d’autant moins du règlement de comptes que les personnes inculpées par la justice ne se sont jamais mises en travers du Chef d’État-major, ni se sont opposées à lui en quelque circonstance que ce soit. Pis, figurent parmi eux, des personnalités présumées très proches du Chef d’État-major qui ne bénéficieront d’aucun traitement de faveur. D’ici la fin de l’année 2019, l’Algérie figurera dans le Top 10 des nations qui luttent vigoureusement contre la corruption et la criminalité en bande organisée. Pour le surplus, la justice algérienne a déjà engagé des actions pour tenter de récupérer les biens meubles et immeubles situés à l’étranger et qui sont le produit du crime que juge aujourd’hui les magistrats algériens.

  3. S’agissant du drapeau berbère, est-il nécessaire de rappeler que le Chef d’État-major est lui-même berbère, natif de Aïn Yagout (Aurès). Il n’a jamais tenu de propos hostiles à l’amazighité ni stigmatisé le drapeau berbère ; les allégations de l’ancien Secrétaire Général du RCD relèvent de la diffamation. Le général Ahmed Gaid Salah s’en est pris à ceux et celles qui cherchent à instrumentaliser la cause berbère, en exhibant le seul drapeau amazighe, lors des manifestations sans qu’il soit accompagné de celui pour lequel un million et demi d’Algériens (dont  beaucoup de Kabyles) ont donné leur vie. Il s’agit bien là d’un dévoiement du Hirak dont la raison d’être est d’unifier les rangs des Algériens, quelle que soit leur origine. Près de 60 ans après l’indépendance, l’Algérie peine à se constituer en nation et se montre incapable de faire cohabiter les diverses composantes de son identité dans le cadre d’un ensemble homogène et uni.

  4. Le Chef d’État-major n’a jamais fait partie du clan présidentiel. Il doit sa promotion dans la hiérarchie militaire  qu’il a gravie normalement à ses seuls états de service. La circonstance qu’il a rejoint le maquis de l’intérieur, dès l’âge de 17 ans, lui a conféré une légitimité historique indéniable. Si Saïd Sadi l’ignore, je l’informe qu’entre 2013 et 2019, le chef d’état-major a fait l’objet de nombreuses tentatives de déstabilisation de la part du clan présidentiel (Saïd Bouteflika en premier lieu), et depuis 2015, de la part de l’ancien patron des services de renseignement dont la responsabilité dans le drame algérien actuel est colossale. Mais comme de bien entendu, Saïd Sadi n’évoque jamais l’homme dont il a été le commensal attitré des années durant.

  5. S’agissant du système FLN, le Haut Commandement Militaire n’a aucune intention de le réhabiliter. Se méprennent lourdement ceux qui au FLN et au RND pensent que leur soutien  intéressé aux initiatives du HCM, leur vaudra un retour d’ascenseur. Le système FLN est fossilisé et personne, jamais, ne cherchera à lui redonner vie.

  6. Toute la rhétorique de Saïd Sadi depuis le début du Hirak a consisté à délégitimer et à décrédibiliser l’institution militaire à laquelle il s’est pourtant bien adossé à un certain moment de sa vie politique. Cette institution est en train de remettre le pays en état de marche ; elle a libéré les magistrats, et notamment le juge d’instruction qui peut aujourd’hui instruire à charge mais aussi à décharge. Contrairement à ce qu’affirment certains hommes de loi voués depuis l’origine à la défense du syndicat du crime et de la délinquance financière, la détention préventive reste l’exception, puisqu’aussi bien, plusieurs ministres et walis ont été laissés en liberté, nonobstant la gravité des charges qui pèsent contre eux. Seul le juge d’instruction peut apprécier si le mandat de dépôt est indispensable, notamment pour prévenir la destruction de preuves (ces hommes de loi feignent d’ignorer que ce sont des dizaines de milliards de  dollars qui ont été dissipés du Trésor et des banques publiques). Sur un autre plan, il est regrettable que l’ancien Secrétaire général du RCD ne parle jamais ni de l’école ni de la santé, vraisemblablement parce que ni lui ni sa famille n’ont été un jour confrontés au sinistre qui mine ces deux secteurs depuis des lustres. La dépendance à la rente pétrolière et gazière (pourtant en voie d’épuisement), l’érosion irrémédiable de nos réserves de change, la désindustrialisation du pays, les performances médiocres de l’agriculture, les inégalités régionales qui se creusent, le chômage, notamment celui des diplômés de l’enseignement supérieur qui s’accroît, aucun de ces sujets n’est abordé par notre illustre démocrate. Au passage, la « surenchère démocratique » pratiquée par des Algériens vivant à l’étranger, est d’autant plus veule et lâche que les intéressés sont à l’abri de toute turbulence susceptible  de déstabiliser le pays. La Tunisie sœur est, aujourd’hui, en train d’expérimenter les illusions de la démocratie représentative, dès lors que de profondes réformes économiques, sociales et culturelles, ne sont pas venues au soutien des changements institutionnels, pourtant qualitativement impressionnants, réalisés au cours d’une période de transition qui a duré trois ans (2011-2014).

  7. Que Saïd Sadi se rassure : le Haut Commandement Militaire et le Général Ahmed Gaid Salah n’ont pas l’intention de s’incruster dans le  pouvoir. Mais ils n’entendent pas laisser l’Algérie aux mains d’aventuriers. Le Hirak lui-même vit ses derniers instants et cela pour trois raisons : A) Il n’a pas pu, en quatre mois,- et pour cause-, se donner des structures et désigner ses représentants, nonobstant le plébiscite que les membres du Hirak ont accordé aux quatre ou cinq personnalités dites les plus emblématiques du changement. B) Il est concurrencé par des syndicats, des ONG, des coordinations qui plaident également pour des mutations sociétales profondes, mais en dehors du Hirak et entendent bien le faire savoir. C) Les partis dits de l’opposition s’inscrivent déjà dans la perspective des législatives et comptent conquérir le Parlement, portés par la conviction que les quatre partis de la défunte alliance présidentielle n’auront pas de représentants.

  8. La proposition du HCM d’organiser avant la présidentielle une période de dialogue et de discussion sur la base de concessions réciproques et de compromis n’est pas un piège. Le pouvoir n’a pas davantage d’agenda caché, sinon pour quelle raison ceux qui l’en accusent déplorent dans le même temps ses prétendues hésitations et palinodies. La Haute Instance indépendante de surveillance des élections, dans la mesure où elle sera constituée de représentants de l’ensemble des forces vives de la nation, ne pourra jamais cautionner une élection présidentielle truquée, contrairement à ce que redoutent les contempteurs du HCM.  Elle va travailler dans la transparence la plus totale, au su et au vu des Algériens et de la communauté internationale.

  9. L’armée n’a pas de candidat, et de toute façon, au regard du climat de méfiance généralisée qui prévaut dans le pays, si jamais un candidat  adoubé, fût-ce discrètement, par l’institution militaire devait accéder à la magistrature suprême,  cela signerait, à coup sûr, les prodromes d’une guerre civile. Après la présidentielle, des changements institutionnels très importants seront réalisés. Il faut d’ores et déjà  s’en réjouir, tout en ne cédant pas à l’illusion qu’ils vont faire sortir l’Algérie de la nasse dans laquelle elle est engluée.

  10. Le prétendu coup d’Etat du 19 juin 1965 a été l’acte fondateur du rétablissement de l’autorité de l’Etat, bafouée et piétinée quotidiennement  par le Président Ben Bella. L’histoire jugera comme il convient ce que le Président Boumediene a apporté à l’Algérie, les réalisations qu’il a accomplies, la souveraineté du pays qu’il a su préserver. Le président Boumediene est mort en chahid ; il a été empoisonné parce qu’il constituait un danger pour les forces rétrogrades à l’œuvre dans l’appareil d’Etat algérien et aussi un danger pour les forces impérialistes et néocolonialistes dans le monde, Israël en premier, qui est en train d’imposer sa politique du fait accompli à l’ensemble des États du monde arabe sans arracher le moindre émoi à nos démocrates patentés.

Ali Mebroukine, Professeur en droit, président du Cercle d’étude et de réflexion sur l’insertion de l’Algérie dans la globalisation

Auteur
Ali Mebroukine

 




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