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1871 et les milices impériales

Le côté obscur de la Belle Époque

1871 et les milices impériales

Le côté obscur de la Belle Époque est le titre d’un projet de recherche financé par le Conseil Européen de la Recherche. Comme son sous-titre l’indique, il s’agit d’une l’histoire de la violence politique et (des) associations armées en Europe avant la Première Guerre Mondiale. Début 2017, c’est à l’Université de Padoue qu’a démarré cette recherche dont le responsable est le Professeur Matteo Millan. En outre, notre équipe européenne se compose de quatre chercheurs post-doctorants et d’une chercheuse doctorante. La division du travail correspond à des réalités nationales, éventuellement impériales. Il s’agit des cas britanniques (Alessandro Saluppo), allemands (Amerigo Caruso), italiens (Matteo Millan) austro-hongrois (Claire Morelon), espagnols (Assumpta Castillo) et français. Je m’occupe de ce dernier, poursuivant ainsi ma contribution à l’écriture d’une histoire commune de la violence politique.

Docteur en Histoire et Civilisation de l’Institut Universitaire Européen de Florence (IUE), j’ai préparé et défendu ma thèse doctorale, La Terre et le Plomb. Violence politique, question agraire et crise du parlementarisme libéral dans l’Italie du premier après-guerre (1918-1922) et dans l’Espagne républicaine (1931-1936) (2016, Prix Pier Paolo d’Attorre 2017), dans ce contexte international et interdisciplinaire unique. Il s’agit d’une histoire comparée travaillant à articuler les échelles pour mettre en lumière l’espace de la « Méditerranée solide » (Lucien Febvre). La démonstration met en œuvre la méthode comparée prônée dès les années 1920 par Marc Bloch, le co-fondateur des Annales avec Lucien Febvre. Il s’agit d’une « méthode dénigrée » par a priori, comme l’indique un article récent du Professeur Heinz-Gerhard Haupt qui fut mon Direcetur de Recherche à l’IUE. Et pour cause, la pratique exigeante de cette méthode ambitieuse porte au dépassement de l’esprit d’exclusivisme national et/ou spécialiste prédominant.

Il y a quelques mois, j’ai contacté Le Matin d’Algérie eu égard à la dimension impériale du cas français. J’y avais lu un article intéressant qui mentionnait explicitement les « milices paramilitaires » employées dans la répression de la révolte des Mokrani débutée au printemps 1871. De manière concomitante, de l’autre côté de la Méditerranée c’est l’insurrection de la Commune qui était elle-aussi réprimée impitoyablement par la Troisième République (1870-1940), dans un contexte où s’affirma la dimension impériale. À la Belle Époque, les milices impériales, aux formes changeantes, étaient présentes dans tout l’Empire Français. Elles attestent de tensions entre intérêts privés et prérogatives publiques. La dimension légale, officielle et dominante y pose problème. Ces tensions doivent être portées au jour afin d’enrichir l’analyse des formes recouvertes par la complexité du monopole de la violence légale. Ce faisant, c’est empiriquement que l’on affine la définition de l’État contemporain.

Les milices impériales renvoient à la dimension conjoncturelle portée par l’amplitude du concept de « Belle Époque », notion qui se généralisa dès la Deuxième Guerre Mondiale. La violence politique de ces milices en situations de légalité variable avait jusqu’alors soutenu cette dimension impériale. À la veille de la Première Guerre Mondiale en 1914, l’Empire Français couvrait un espace qui était déjà près de dix fois supérieur à celui qu’il représentait en 1870. Or, la violence politique de ces groupes armés ainsi que les persistantes confusions légales d’intérêts privés et de prérogatives publiques ont très largement été mises sous le boisseau par l’histoire officielle. À travers l’insurrection Algérienne de 1871, Le Matin d’Algérie a eu le mérite d’insister sur ces milices. À travers le cas français, ce problème occupe également notre équipe européenne à l’Université de Padoue.

Romain Bonnet

Ph. D. en Histoire et Civilisation

Institut Universitaire Européen

Florence (Italie)

 

Auteur
Romain Bonnet

 




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