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1962 : une Algérie de la résistance, 2023, une Algérie de la résilience ?

Hirak
L’Algérie de 2023 est l’antithèse de celle pour laquelle se sont battus les hommes et femmes de Novembre 1954.

La cruelle conquête de l’Algérie, puis de la dépossession des meilleures terres, de la dévalorisation de l’enseignement et de la culture arabes, corrélée avec une scolarisation en français de faible ampleur, la tradition historique coloniale française a fabriqué malgré elle une Algérie de la résistance qui agite encore sa mémoire et interpelle sa conscience.

La domination coloniale fut fondée sur la brutalité, l’arbitraire, la dépossession, l’humiliation, la torture, le viol des corps et des consciences. Les premières insurrections populaires ont été dirigées par des hommes lettrés comme l’émir Abdel Kader, El Mokrani, son frère  Boumezrag, et Bouamama.

Durant sa lutte de libération nationale, avec des leaders comme Abane Ramadane, Ben M’hidi, et d’autres, l’Algérie réfléchissait sur son destin, luttait pour son indépendance et engageait son avenir dans la perspective d’une révolution de la raison. Ce leadership était dominé par la « politique de la tête ». D’une main, on tenait le fusil pour combattre le colonialisme français et de l’autre la plume pour faire connaître la révolution algérienne au monde entier.

Malheureusement, de 1954 à 1962, beaucoup d’intellectuels disparaîtront, certains, les armes à la main, d’autres dans des conditions mystérieuses. Quant au reste, les survivants, ils seront réduits à de simples auxiliaires du fait qu’ils savent lire et écrire. Pendant la période coloniale, l’Algérie devait devenir française « par l’épée, la charrue ou l‘esprit ». Une fois la conquête achevée, elle sera mise sous la tutelle du ministère de l’intérieur la plaçant sous la dépendance directe des fonctionnaires de l’administration. Et une des premières choses que fera l’administration française sera de confisquer les biens habous qui permettaient un enseignement musulman traditionnel à un grand nombre d’autochtones pour le remplacer par un système d’enseignement colonial qui ne toucha que très peu d’algériens.

Durant la période d’occupation, tous les gouvernements français prétendaient faire de l’Algérie une province française (c’est-à-dire « un morceau de la France ») par l’assimilation progressive des indigènes musulmans en commençant évidemment par l’élite. Ils souhaitaient que les indigènes apprennent la langue et la culture françaises. Leur méthode consistait à détacher de leur milieu naturel des « individus » aspirant aux « bienfaits de la citoyenneté française » et jugés dignes de cet honneur.

La citoyenneté française contre le renoncement à l’islam. Une « citoyenneté française » liée à un univers culturel propre et à une histoire spécifique que sont la religion catholique romaine et l’histoire du Moyen Age.

Sur le plan du droit applicable, il y avait deux collèges ; les indigènes régis par le droit coranique (polygamie, héritage, intérêts prohibés) et les colons européens régis par le droit civil (monogamie, égalité des droits, laïcité). L’Etat français ne pouvait consacrer une des deux formules, majoritaire dans un cas et minoritaire dans l’autre sans s’attirer les foudres de l’une des parties présente sur le territoire « français ».

La société algérienne tribale majoritairement musulmane refusa cette politique d’assimilation parce qu’elle ne pouvait pas admettre qu’un musulman préféra la loi française à celle de l’islam et qu’il voulut se séparer de sa communauté originelle pour s’insérer dans une communauté d’emprunt à laquelle il n’est pas préparé. L’assimilation signifiait tout simplement cesser d’être soi-même pour devenir l’autre. C’était la fusion de l’un dans l’autre ou l’élimination de l’un par l’autre mais jamais la juxtaposition de l’un à côté de l’autre ou la cohabitation de l’un avec l’autre.

La nation arc en ciel n’existait pas encore, c’était l’époque de la télévision noir et blanc. L’Algérie devait être soit française soit musulmane. Elle ne pouvait pas être tout simplement algérienne pour des raisons évidentes des deux côtés de la Méditerranée. Pourtant, au cours de la Seconde Guerre mondiale, dans les tranchées, face à l’envahisseur allemand, les combattants étaient tous français qu’ils soient blancs ou noirs, chrétiens ou musulmans.

L’Algérie plurielle n’était pas à l’ordre du jour, la France de la résistance refusait de voir des turbans ou des noirs dans ses assemblées souveraines. Racisme ou xénophobie ? Dans la libération, la prospérité et le rayonnement de la France, il y a du sang, de la sueur, de l’énergie, des neurones, des matières premières africaines. Le colon français ou européen, chrétien ou juif, minoritaire ne pouvait se fondre dans la société d’accueil musulmane dans sa grande majorité et l’algérien ne pouvait renoncer à sa religion sans se trouver exclu de sa communauté d’origine. Le départ précipité des colons en 1962 a créé un vide à tous les niveaux. Au niveau de l’administration, les petits fonctionnaires sont survalorisés par le départ des fonctionnaires français ou assimilés et à la différence des moudjahidines, ils savent comment fonctionne l’appareil de l’Etat hérité de l’ère coloniale. Il a fallu donc non seulement les garder mais en plus les ménager voire leur offrir un statut privilégié. La langue française est l’héritage le plus durable et le moins contesté de l’époque coloniale (butin de la guerre de libération).

C’est sur les résidus de l’administration française, instrument redoutable de la domination française en Algérie (les Sections Administratives Spécialisées), que s’est construit un Etat « national ». C’est pourquoi, le contrôle de l’Etat et de son administration sont un enjeu capital sinon vital pour les parvenus de l’indépendance. L’enjeu réside dans la maîtrise de l’appareil de l’Etat par le biais d’une main mise sur les centres principaux d’allocation des ressources. Ainsi la couche sociale qui maîtrisera l’administration disposera d’un redoutable instrument de pouvoir.

Cette petite bourgeoisie civile a été imposée par l’Armée seule force organisée au lendemain de l’indépendance. Cette volonté d’occuper la place du colon implique forcément une subordination par rapport à lui. Aujourd’hui, ses enfants sont prêts à se prêter au jeu qu’ils soient en terre étrangère ou en terre musulmane.

Antérieurement à la présence française, les autochtones ont cohabité avec les juifs, les arabes et les turcs. Durant la colonisation, le culte musulman devait être domestiqué par la France et les dignitaires des confréries et les marabouts devraient être récupérés. Ils seront recrutés comme fonctionnaires de l’Etat français chargés de dire la parole religieuse officielle aux populations locales. Et c’est par la manipulation de la religion musulmane que le colonialisme s’est maintenu et a perduré. Cette manipulation de la religion est toujours présente et ses effets sont dramatiques

La loi de 1905 de séparation de l’Etat et de l’Eglise ne sera pas appliquée au culte musulman. Il sera domestiqué par l’administration coloniale. La France s’est appuyée fortement sur les tendances rétrogrades de l’islam. Avec la colonisation, l’Algérie s’est trouvée défigurée urbanisée au nord sans industrie créatrice d’emplois, concentrée sur la bande côtière sans agriculture vivrière, centralisée dans la décision, ignorant la population autochtone, et tournée vers la métropole par l’exportation des hydrocarbures et ouverte à l’importation de produits de subsistance.

Elle navigue au gré des vents sans boussole et sans gilets de sauvetage sur une mer agitée à bord d’une embarcation de fortune dans laquelle se trouve de nombreux jeunes à la force de l’âge, serrés comme des sardines, à destination de l’Europe, fuyant un beau pays arrosé du sang des martyrs béni de dieu, riche à millions et vaste comme quatre fois la France, qui sacrifie l’avenir de ses enfants et de ses petits-enfants pour un verre de whisky, une coupe de champagne, ou un thé à la menthe. En posant la violence comme solution ultime au drame de la colonisation, la révolution du 1er novembre 1954 a été amenée à faire de l’armée, la source exclusive du pouvoir en Algérie.

Forts de cette légitimité historique, les dirigeants algériens ont fait du secteur des hydrocarbures la source exclusive des revenus du pays rendant le recours aux importations incontournable à la satisfaction des besoins du marché local notamment en biens de consommation final empêchant le développement de tous les autres secteurs et particulièrement l’agriculture rendant le pays dépendant du marché mondial pour subvenir aux besoins essentiels de la population. La conséquence sera que toute production répondant aux besoins du marché local sera abandonnée et le recours aux importations rendu obligatoire. C’est ainsi que le cargo diabolique nous enchaîna.

Nous ne regardons plus le ciel, nous scrutons la mer : l’arrivée d’un bateau de blé ou le départ d’une barque où s’entassent de nombreux jeunes à la force de l’âge fuyant les interdits de la politique, de la religions et de la pauvreté. Cruel destin d’un pays promis à des lendemains qui chantent.

Notes : « Ce qu’il faut dire aux Algériens, ce n’est pas qu’ils ont besoin de la France, mais que la France a besoin d’eux. C’est qu’ils ne sont pas un fardeau ou que, s’ils le sont pour l’instant, ils seront au contraire la partie dynamique et le sang jeune d’une nation française dans laquelle nous les aurons intégrés. J’affirme que dans la religion musulmane rien ne s’oppose au point de vue moral à faire du croyant ou du pratiquant musulman un citoyen français complet. Bien au contraire, sur l’essentiel, ses préceptes sont les mêmes que ceux de la religion chrétienne, fondement de la civilisation occidentale.

D’autre part, je ne crois pas qu’il existe plus de race algérienne que de race française […]. Je conclus : offrons aux musulmans d’Algérie l’entrée et l’intégration dans une France dynamique. Au lieu de leur dire comme nous le faisons maintenant : «Vous nous coûtez très cher, vous êtes un fardeau », disons leur : « Nous avons besoin de vous » Jean-Marie Le Pen (Intervention du député Jean-Marie Le Pen pour soutenir le maintien de l’Algérie française, le 28 janvier 1958, à l’Assemblée Nationale).

Dr A. Boumezrag

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