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20 avril 1980 – 20 avril 2021 : du Printemps amazigh au Hirak

TRIBUNE

20 avril 1980 – 20 avril 2021 : du Printemps amazigh au Hirak

Pour bien comprendre la portée du « printemps berbère d’avril 1980 » et du «printemps noir de 2001», il est indispensable de les situer dans leur contexte historique et politique, écrit le président de Riposte internationale dans cette tribune.

Sortie d’une longue et sanglante guerre de libération, l’Algérie était, un temps, considérée par beaucoup comme « la Mecque des révolutionnaires », le phare du Tiers-Monde, des pays « non-alignés » et du mythique « monde arabe ». Un jugement en net décalage avec la réalité. 

Certains ignoraient tout, d’autres fermaient les yeux sur la nature autoritaire du régime, miné par des luttes de clans incessantes, réprimant brutalement l’opposition y compris par le recours à l’élimination physique de certains opposants, s’appuyant sur une idéologie panarabiste et l’armée garde la haute main sur les institutions.

Les orientations d’inspiration « nasséro-bréjnévienne » ne laissaient pas de place à la pluralité des opinions, des cultures, des langues ni à toute autre expression susceptible de véhiculer une pensée autonome.

Aucune voix discordante dans le concert monocorde du système n’était tolérée. Cette situation ne gênait ni les démocraties européennes, ni celles de l’Amérique du Nord. Elle passait pour une affaire interne d’un pays du tiers-monde ! On ne s’offusque pas qu’un pays du Sud et à plus forte raison « arabe » soit le théâtre de répression. Cela faisait partie de l’ordre mondial de l’époque, mais la situation a-t-elle changé aujourd’hui ? 

Dans les années 1980, d’autres théâtres politiques régionaux, comme le Chili, le Liban avec sa communauté chrétienne, la Pologne et autres pays de l’Est, attiraient plus l’attention des médias occidentaux. De plus, le discours pseudo-avant-gardiste de l’Algérie « indépendante » parvenait à disqualifier les critiques de l’opposition aux yeux de la Gauche européenne ou d’ailleurs et aux yeux des organisations de lutte pour la démocratie ou les droits de l’homme.

Les opposants comme Mohamed Boudiaf ou Hocine Aït Ahmed étaient, d’une part, inaudibles, d’autre part, prenaient le risque de subir le sort déjà réservé à Mohamed Khider ou Krim Belkacem et, plus tard, d’Ali Mecili.

Tous ont été assassinés sur le sol européen par les services algériens sans qu’aucune voix « démocrate » ne soit venue protester contre ce terrorisme d’État !! Rien ou presque rien, ne vient perturber le laxisme dont profite l’Algérie révolutionnaire ».

Les quelques articles ou ouvrages qui se proposent de lever un coin de voile sur la nature de ce régime se heurtent à une indifférence générale ! Emprisonnements, tortures, assassinats politiques n’émeuvent pas grand monde sur la rive nord.

La dérive autoritaire ne pèse rien face aux réserves de pétrole et de gaz dont les découvertes font régulièrement la Une des médias.

Cette situation servait totalement la stratégie du régime en place qui utilise sans limite cette sorte d’accord tacite contre les revendications berbères, pour diminuer le poids de la Kabylie dans l’échiquier politique du pays et pour terroriser les mécontents à l’échelle nationale.

À chaque contestation du régime et de sa gestion des affaires publiques, on nous ressort une langue de bois autour de soi-disant révolutions agraire, industrielle, culturelle et tutti quanti ! Ce n’est pourtant pas difficile d’en démonter les mécanismes et de mettre à nu la logique et la portée réelle de cette mystification qui est à l’exact opposé des intérêts des Algériens ! 

Tout le système est bâti sur un registre sécuritaire paranoïaque et mensonger et s’est éloigné complètement de toute autre option susceptible de fonder sa légitimité. C’est dans ce contexte et à cause de ce contexte qu’éclate l’extraordinaire révolte berbère de Kabylie dont l’onde de choc a immédiatement secoué la communauté kabyle de France, seul lieu où les oppositions au régime s’aventurent, comme elles peuvent s’organiser malgré un verrouillage complice et obsessionnel des autorités françaises.

Le mutisme de ces celles-ci sur ce qui se passe en Algérie n’a d’égal que le silence observé sur les crimes commis durant la période coloniale. Tout se passe comme si l’histoire mensongère des deux pays figeait la plupart des élites dans leur mutisme au mépris de l’éthique universelle toujours affichée quand il s’agit d’autres aires géopolitiques (Pékin, Moscou ou Téhéran). L’interdiction de la conférence du célèbre anthropologue et linguistique Mouloud Mammeri le 10 mars 1980 a conduit un noyau de militants universitaires à organiser les premières contestations de rue de l’Algérie post-1962.

Ils ont été rejoints par les travailleurs des entreprises environnantes, les personnels hospitaliers, puis par l’ensemble des villages du Djurdjura et de la Soummam. L’écho du printemps amazigh a largement dépassé les frontières du pays. L’onde de choc a déteint sur l’immigration algérienne en France, mais   aussi   sur   les   militants   tunisiens   et marocains. Vaincue en Kabylie, la peur a fini par être brisée dans toute l’Algérie et dans les pays voisins. Le drapeau amazigh flotte désormais dans l’espace nord-africain et du Sahel.

Ce qui a fait dire au professeur marocain Abdellah Bounfour : « quand il pleut en Kabylie, la récolte se fait au Maroc ». Cette   internationalisation de la lutte légitime des Amazighs pour la démocratie et le pluralisme culturel n’a pas empêché le régime algérien de redoubler de férocité. 

Alors que lycées, universités, associations organisaient dans le calme le XXIème anniversaire du printemps de 1980, survient l’abject assassinat du jeune Massinissa Guermah au cœur d’une brigade de gendarmerie d’At Douala. 

Des milliers de personnes sont sorties pour dénoncer ce crime d’État tandis que la gendarmerie commandée par feu le général Boustila a tiré à bout portant sur les manifestants : 127 jeunes sont tombés sous les balles assassines et un millier d’autres sont blessés et handicapés à vie pour certains.

Le rapport du professeur Mohand Issad dévoilant les responsabilités de cette tragédie est resté enseveli dans les tiroirs d’Abdelaziz Bouteflika. Les exécutants et la chaîne de commandement de ce qui sera, un jour ou l’autre, reconnu comme des crimes d’État sont, à ce jour, restés impunis. L’ordonnateur principal de ces crimes, Ahmed Boustila, est mort paisiblement dans un hôpital parisien.

C’est, incontestablement, des entrailles de ces mouvements successifs et des injustices multiformes qu’ils ont dévoilées qu’est né le Hirak/Amussu de février 2019 ouvrant la voie à un changement radical de système. 

La stigmatisation de l’Amazighité pour diviser la Révolution en cours par feu le général mégalomane Gaïd Salah et ses successeurs ne suffiront plus pour détourner le tsunami populaire de son cours pacifique et historique. Le retour des débats, la mise à nu des fractures sociales et culturelles rendent incontournable la refondation de l’État.

Plus que jamais la démocratie de proximité dont la matrice ne peut être qu’un État fédéral ou régional est rendue nécessaire pour barrer la route aux barons mafieux tapis dans les galeries opaques du système centralisé. La dictature instaurée par le tandem putschiste Ben Bella-Boukharouba a engendré haines, violences, faillites économiques, éducatives et institutionnelles.

L’heure est venue d’y mettre fin. Une Algérie démocratique, sociale et plurielle dans une Union nord-africaine est possible. Le combat continue

A Paris le 20 /04/2021

Pour le Bureau Fédéral

Ali Aït Djoudi

 




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