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39ème marche des Algériens : négociation ou capitulation ?

DISSIDENCE CITOYENNE

39ème marche des Algériens : négociation ou capitulation ?

Malgré la grêle, les pluies diluviennes, la tempête, le tonnerre, les oueds artificiels creusés dans l’asphalte mal posé, les marcheurs arrivent en masse en ce vendredi après-midi.

Armés de leurs parapluies et de leurs voix, tellement nombreuses qu’elles étouffent le bruit du tonnerre et de la grêle, ils jettent les généraux à la poubelle et promettent l’indépendance pour leur pays. Les enfants d’Amirouche réaménagent leur chansonnette favorite, inspirée par ce héros de la guerre de libération dont ils se réclament les héritiers, en y remplaçant « talbin el houria » (nous demandons la liberté) par « djaibin el houria » (nous obtiendrons la liberté).

Ils refusent les élections du 12 décembre et assurent que la capitale ne votera pas. Tout en traitant les éventuels futurs électeurs de traîtres, ils décrètent que militer pour l’échec du prochain rendez-vous électoral est un devoir national. Ils sont convaincus que la roue tournera et que les gouvernants actuels s’en iront malgré eux.

Ils crient : « libérez les détenus, libérez les otages, libérez la presse ». Faisant la différence entre les magistrats qui se sont désolidarisés de la protesta  et les autres qui les ont disqualifiés, à l’instar de ceux de Médéa, les marcheurs fustigent les juges du tribunal de Sidi M’hamed, principaux exécutants des arrestations de contestataires, ils scandent : »koudat idi M’hamed ya3abdou fi el Gaid i.e. les juges de Sidi Mhamed idôlatrent Gaid Salah. Ce dernier ne cesse d’être cité. Les manifestants lui promettent un départ imminent, le tiennent responsable de tout ce blocage et l’accusent de les avoir trahis. Abdelmadjid Tebboune ne leur échappe pas non plus, on scande : « Tebboune el cocaïne, hab iouali rais » i.e.  Tebboune la cocaïne veut devenir président par rapport à son fils, cité dans l’affaire de la cocaïne.

Un jeune homme, au milieu de la foule mais proche des véhicules de police, se hasarde à se prononcer pour la tenue d’élections tandis que des milliers d’autres chantent qu’elles ne se tiendront pas, est violemment pris à parti par les manifestants puis il est très rapidement exfiltré par les forces de l’ordre auxquelles il doit son salut.

La tension monte à mesure que la date du 12 approche : on le sent, on le voie, et on l’entend. Tandis que le pouvoir peine à rassembler quelques dizaines de personnes, souvent rémunérées, pour intercéder en sa faveur, des pro-élections qu’il protège par les forces de l’ordre, les marcheurs défilent par millions à travers tout le pays. 

Les résultats d’un sondage, publiés il y a deux jours sur le très sérieux quotidien américain Washington Post, réalisé sur un échantillon de 14 000 internautes résidant en Algérie et utilisateurs de Facebook par Sharan Grewal, professeur en sciences politiques diplômé de la prestigieuse université de Princeton, et portant sur le degré d’essoufflement de la protesta algérienne chez les manifestants et les non manifestants se posant la question : est-ce que le degré d’engagement pour la cause chez ces deux groupes d’individus est identique à celui d’avril au moment de la chute de Bouteflika ?

Bien que l’échantillon utilisé pour le sondage n’ait pas la prétention de représenter toute la société algérienne on peut conclure que la protesta ne présente aucun signe d’essoufflement, le désir d’un changement radical s’est généralisé mais que la tactique utilisée, c’est-à-dire les marches, a montré ses  limites en ce qui concerne l’atteinte de l’objectif principale, soit le changement de système.   

Certains influenceurs et hommes politiques préconisent des solutions qui paraissent difficilement réalisables. Certains étant enfermés dans leurs convictions et d’autres dans leur ego ne laissant guère place à toute forme de négociation. 

D’un autre côté les militaires maîtrisant plutôt la défense, l’attaque, la tactique, la stratégie et l’art du langage de la force ne sont pas familiers à ce qu’on appelle la négociation. En lançant à folle allure le train des élections, sans chauffeur ni freins, prennent la responsabilité de ne plus avoir la possibilité de stopper cette machine, prenant ainsi le risque de la voir percuter violemment, à l’arrivée, les murs de la gare et causer des dégâts que l’on ose même pas imaginer.

Un spécialiste européen en ressources humaines expliquait le phénomène de voir les Algériens brillants à l’étranger et quelconques dans leurs pays, par le fait qu’ils n’aient pas appris à travailler ensemble. Les femmes et les hommes de Novembre y étaient parvenus pourtant.

Civils, militaires, politiques, société civile, personnalités, journalistes, intellectuels, en Algérie et en dehors doivent s’entendre, discuter, trouver des solutions, et pourquoi pas, inventer de nouvelles idées. Une négociation ne vaut-elle pas mieux qu’une capitulation ?  

Auteur
Djalal Larabi

 




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