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40 ans après, taisons Boumediene ! Célébrons El-Anka !

Notre Histoire… leurs p’tites histoires !

40 ans après, taisons Boumediene ! Célébrons El-Anka !

S’il y a un passé peu commun entre le pouvoir et le peuple, on peut lui associer toutes sortes de divergences à travers ces deux statures antithétiques toutes deux disparues fin 1978 !

L’une représente l’âme populaire et l’autre la face sombre la plus impopulaire de notre Histoire. Ce fossé relationnel entre dirigeants et dirigés de force est mis en évidence par les récents billets de célébration de la mort du dictateur.

Une ligne de démarcation infranchissable est tracée entre eux et nous, au vu de ces quelques « honneurs » réservés à la mémoire du despote Boumediene et de l’oubli abyssal dans lequel on a plongé l’enfant prodige de la Casbah d’Alger, El-hadj M’hamed El-Anka !

Les jeunes de notre génération ont tous eu à subir, à un moment ou un autre de leur parcours, un ou plusieurs traumatismes liés à la face patibulaire d’un colonel sanguinaire qui vous interdit d’être ce que vous êtes et de rêver du monde, en soumettant vos quêtes de liberté, de découverte et d’évasion à une autorisation de sortie de « Son » territoire délivrée par une administration « harkie » (pardon aux vrais Harkis !) acquise à ses élucubrations ! Tout adolescent ayant passé ses plus belles années à gambader dans les ruelles magiques de la Casbah, ne peut effacer les nombreuses réminiscences d’une époque de dictature qui a fait fuir une bonne partie de la sève du terroir !

Quarante années après leur disparition, de nombreux articles de presse sont revenus sur le parcours atypique de Boumediene, alors que, à ma connaissance, aucun n’a été dédié à El-Anka ! La presse est-elle à ce point acquise aux accointances avec la tyrannie pour ainsi se souvenir de Boumediene et oublier El-Anka ?

Pour ceux qui ne le savent pas, rappelons que le père de la musique populaire, ce style chaâbi unique synonyme de tous les « gusto » du pays, du temps où la blancheur d’Alger représentait le miroir du terroir, a rendu l’âme un mois avant Boumediene, le 23 novembre 1978.

Cependant, sa disparition est passée quasiment inaperçue, en comparaison de la folie des « Lla-illaha illa Allah Boumediene Rassoul Allah » scandés par une foule en délire accrochée à la dépouille du dictateur, le long de l’avenue de l’ALN. Ce jour-là, le décor pour le FIS et autres GIA fut planté ! Et c’est au terme de ce voyage vers la demeure éternelle, au cimetière d’El-Alia, que Boumediene avait été pleuré à chaudes larmes par cet « enfant » spirituel né dans l’indignité et l’imposture des frontières, lui qui s’est inventé un nom de guerre, celui de Aek-El-Mali, pendant qu’avec ses troupes il était bien tapi aux frontières du Maroc et de Tunisie.

Ce décalage d’hommages funéraires avait fait écrire à des journalistes courageux, pour l’époque, que le sort d’El-Anka était comparable à celui de Raymond Poulidor, l’éternel second de la plupart des courses cyclistes, lui qui arrivait souvent derrière le champion Jacques Anquetil, aux temps glorieux où ce dernier remportait fréquemment le tour de France !

Se souvenir de Boumediene et oublier El-Anka serait une insulte à l’Histoire du peuple ! Telle carence serait une injure aux souffrances de la Casbah at aux « qasidat » chantées par ce Chaâbi rassembleur, et apaisant de contemplation !

Quoiqu’en pensent et en disent ses admirateurs, le nom de Boumediene sera à jamais entaché du sang de nombreux innocents, en plus d’être associé à la dérive d’un peuple pacifique contraint de verser dans un orientalisme suicidaire, contraire à ses valeurs ancestrales de paix, de tolérance et de générosité !

Se souvenir d’El-Anka, c’est remonter le temps et convoquer sa musique et les délicieuses anecdotes qui entouraient son aura et circulaient à grande vitesse pour égayer les foules aux détours de chaque rue de la capitale.

En voici une, parmi tant d’autres : souvent, lors de chaleureuses soirées de Ramadhan, attablés dans son café, avenue Malakoff, de nombreux Algérois, jeunes et vieux se rassemblaient autour du cardinal pour l’écouter parler et parfois l’agacer… Lors de l’une de ces mémorables tranches de Vie, un de ces jeunes parvenus formatés pour irriter et déclencher l’ire de notre Phénix, occupe le terrain du ton et de la répartie, le dos tourné au cardinal… Quand il réalise son méfait, le jeune se retourne et s’excuse « s’mahli y’a Elhadj, a3titek dahri ! » (Pardonne moi Elhadj de t’avoir tourné le dos !) Et le cardinal de répliquer en toute majesté « ma3lich y’awlidi, dahrek kheir m’ene wadj’hek » (Ce n’est pas grave petiot, de dos, tu es plus beau !).

Remonter le temps jusqu’aux débuts des années 1970, c’est replonger dans une générosité populaire sans limites.

En été, quasiment chaque samedi soir, nous avions droit à un couscous, lors de fêtes de circoncisions ou de mariages organisées sur les terrasses des bâtiments périphériques à la Casbah, la voix d’un cheikh disciple quand ce n’est pas celle du maître lui-même, en fond sonore remplissant les cieux à des kms à la ronde, une surenchère de youyous amplifiant l’atmosphère de grande gaieté qui émanait de ces terrasses, jusqu’au bout de la nuit.

Combien de fois n’avions-nous pas été interpellés par des invitations inopinées adressées par de parfaits inconnus à notre petite bande de copains du quartier Cadix-Rovigo (actuel Debbih-Cherif) ! « Aya ouled el-houma, ettel3ou t’aklou t’3am 3ars’na ! »

Ainsi vivait Alger ! en osmose avec ses racines et sa joie ! On a enterré El-Anka la même année que Boumediene. Par la grâce de tous ces Aek-el-Mali au sommet, la dictature du moustachu a survécu, la joie de vivre du cardinal a disparue ! D’ailleurs, le dictateur n’avait-il-pas préféré une Warda-El-Djazaïria qui chantait l’Egypte et glorifiait l’Orient à tous ces maîtres qui transpiraient le chaâbi populaire de Bab-el-Oued au boulevard Télemly ?

Le premier est enterré à El-Kettar, sur les hauteurs de Soustara, parmi les siens, ces ouled El-Casbah qui le chérissaient, et l’autre, à El-alia, le cimetière des militaires, des suppôts du pouvoir et des officiers des frontières !

Dans la mémoire populaire, El-Anka restera éternel ! Dans la vôtre, vous les héritiers de ces pillards des frontières, Boumediene et Bouteflika finiront en poussière ! Ainsi va l’Histoire ! L’homme finit toujours par reconnaitre les siens ! Quant à Dieu, nous vous laissons le soin d’en être les filous porte-paroles, le gardien de vos biens et de l’aisance de votre youm el-kiyama, vous qui osez pousser le ridicule jusqu’à imposer à Allah d’être ses seuls et uniques représentants sur Nos terres !

Qu’on le veuille ou non, Boumediene était un dictateur !

Bouteflika et Tliba les imposteurs en perpétuent les frayeurs !

Elhadj M’hamed El-Anka n’exhalait que gaieté et bonheur !

Boumediene a conquis le pays par l’artillerie et une soumission à une contrée lointaine, l’Arabie !

El-Anka nous a séduits par la poésie et l’amour d’une Algérie au centre de laquelle rayonnait l’indomptable Kabylie !

Nous ne t’oublions pas Cardinal !

Tu resteras, à jamais, tapi dans nos cœurs ! Dans les cœurs de ces gens modestes et secrets que tu as conquis en maestro rassembleur et, mieux que tous, su faire vibrer, d’Ath Djennad à Alger, avec cette voix unique qui savait si bien chanter les quasidat et les poésies populaires, la justesse du ton, celles du verbe et des mots toujours au rendez-vous !

40 ans après ton départ, les féroces héritiers de Boumediene sont toujours là !

Quant à nous, d’Oran à Annaba, de Tizi-Ouzou à El-Kala, mazal a3chikna fi khnata ! (*)

K. M.

(*)https://www.youtube.com/watch?v=IZnwi19H-sA

Auteur
Kacem Madani

 




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