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40e anniversaire du Printemps berbère : des acquis et de nouvelles interrogations 

DECRYPTAGE

40e anniversaire du Printemps berbère : des acquis et de nouvelles interrogations 

Quarante ans après le soulèvement des populations de la Kabylie pour revendiquer la réhabilitation de la culture et de la langue amazighes, la question semble gagner en maturité, même si elle donne lieu encore à des malentendus ou à des tiraillements politiciens.

La consécration, pour cette langue, parlée encore par des millions d’Algériens, du caractère national, en 2003, et du caractère officiel, en 2016, est supposée « pacifier » un front ouvert au moins depuis cette date emblématique d’avril 1980, renforcé depuis le 22 février 2019 par le front du Hirak, rassemblant tous les Algériens contre une tyrannie rentière tenant encore le peuple dans le statut d’ « Indigènes ». Et l’on sait que la revendication berbère plonge réellement ses racines dans les remous du mouvement national, sous le règne de Messali Hadj, lorsque des cadre du parti nationaliste PPA-MTLD eurent à réclamer, dans les structures organiques de cette organisation, plus de démocratie et une prise en compte de l’histoire et de la culture algériennes, lesquelles ne se commencent pas avec l’avènement de l’Islam en Afrique du Nord. 

Le besoin d’intégration et de cohésion nationales ont fini par faire prévaloir une certaine « lucidité » (non complètement dénuée de manœuvres politiciennes) dans les institutions nationales, face à une revendication qui a montré chaque jour son caractère populaire, profondément ancré dans la société. Une chose est sûre: si le mouvement de revendication berbère avait été exclusivement élitiste, il n’aurait jamais pu acculer le pouvoir politique jusqu’à ouvrir des classes en tamazight et créer des départements à l’Université dédiées à la langue et la civilisation amazighes. 

Avec le foisonnement politique qui anime la scène kabyle, l’officialisation de la langue amazighe depuis février 2016 n’a pas manqué de charrier des comportements aux antipodes les uns par rapport aux autres. Face à l’excès de satisfaction et à l’euphorie, qui risquent de rendre un mauvais service à la cause, se trouvent les sceptiques qui font souvent une lecture contorsionnée de tout ce qui vient du pouvoir politique. Pire, il s’en trouve même ceux, parmi les anciens militants berbères, qui se déclarent non concernés par ce que d’autres appellent un nouvel « acquis », en renvoyant tous leurs plans à cette feuille de route qui a pour nom l’autonomie ou l’indépendance de la Kabylie.

Imparablement, les anciennes impasses, ingénieusement construites par un pouvoir politique autiste, s’appuyant sur la seule rente pétrolière, ont considérablement contribué à alimenter l’extrémisme sous toutes ses déclinaisons. Quand on regarde de plus près, ce même pouvoir n’a réservé une place honorable à aucune des composantes de l’identité algérienne, chantées aujourd’hui sur tous les toits. La religion a été manipulée par l’administration avant qu’elle ne le soit pas des partis islamistes.

La langue arabe, sous couvert d’arabisation de l’école, a été ravalée à une langue de lyrisme exacerbé et de liturgie. En croyant bien défendre cette langue par le fait de la déclarer à tout bout de champ « langue du Coran », ses zélateurs lui rendent un mauvais service. Il n’y a qu’à prendre des échantillons de lycéens ou de licenciés universitaires pour se rendre compte des dégâts. On a perdu Racine, Lamartine, Balzac, Gide et Proust, sans gagner Taha Hussein, Djamal Al Ghitany, Wassyni Laâredj ou Benhadouga. 
La langue française, qui, en réalité habite nos administrations, nos universités et une grande partie de nos médias, est plus qu’un « butin de guerre ».

Elle peut être un formidable moyen d’ouverture sur le monde et sur une grande partie du patrimoine littéraire algérien, qui continue d’ailleurs à prospérer dans cette langue. L’option hypocrite, avancée par un certain courant baathiste à chaque fois qu’il se trouve dans l’impasse- à savoir privilégier l’anglais au détriment du français, sous prétexte que la langue de Shakespeare est techniquement plus avancée- ne tient pas la route. On ne peut pas enjamber d’une façon aussi légère les données de l’histoire et de la sociologie. 

Ainsi, coincée et tiraillée par des courants contraires, qui ont installé une forme de fatal statu quo, l’école algérienne a formé ceux que l’on appelle chez nous les « analphabètes bilingues », qui plus est, déconnectés souvent de toutes les matières- histoire, géographie, éducation civique- porteuses d’un certain capital culturel, formatrices aux valeurs de la citoyenneté.

La médiocrité de l’école, aussi bien dans le savoir technique et technologique, que dans le versant de la formation culturelle, est puissamment liée aux ravages de la rente pétrolière qui a quelque part décidé que « personne n’est indispensable ». Pour les chômeurs en puissance sortis de l’Université, le seul réceptacle qui est offert- sans épreuve particulière ni test de compétence-, c’est la Fonction publique, aujourd’hui étranglée par la crise financière. Le maigrichon tissu économique, largement supplanté par l’importation massive permise par les recettes pétrolières, ne peut offrir aucune alternative d’emploi. Si, demain, la machine économique redémarrait, l’Algérie aurait un grave problème de ressources humaines qui rendrait la mission presque impossible. 

C’est dans ce contexte que l’Algérie a officialisé la langue amazighe. Celle-ci, avec l’effort qui lui reste à fournir dans le domaine de la standardisation, de la recherche, de la diffusion,…etc., pourra-t-elle échapper au sort de la langue arabe? À ses défenseurs, aux militants de la cause et aux institutions de l’Etat, il est demandé aujourd’hui de mettre les moyens qu’il faut pour donner un prolongement concret- sur le terrain de l’école, de l’Université, de l’administration, des médias,…- à une décision « politique ». 

 

Auteur
Amar Naït Messaoud, journaliste

 




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