Mercredi 6 janvier 2021
98 % de pétrole, 99 % de chefs, 100 % de chômeurs !
L’Algérie, « un drapeau planté sur un puits de pétrole ». C’est le pétrole qui préside aux destinées du pays depuis sa découverte par les français en 1956 et son épuisement par les algériens dans un avenir jugé très proche soit 2030 selon les prévisions officielles.
Ce sont les pétrodollars qui dirigent le pays et lui donnent sa substance et sa stabilité. La gestion des hydrocarbures échappe aux acteurs locaux tant en amont qu’en aval. « Contrôler le pétrole et vous contrôlerez les nations » aurait dit Henri Kissinger. La rente est une donnée exogène qui échappe à la compétence des acteurs locaux. Elle n’est pas un élément constitutif du prix de revient. Le pétrole n’est pas cher parce qu’une rente est payée, mais une rente est payée parce que le pétrole est cher.
La rente dont bénéficient les pays producteurs masque les défaillances de production et les perversions de gestion. Parler de rentabilité et de productivité en Algérie nous semble être une gageure.
Tout échappe au calcul économique. L’économie locale est livrée pieds et poings liés au marché mondial qui décide de la survie de la population locale. Ce qu’elle doit produire, à quels coûts, pour quelle période. Avec la pandémie du covid-19, le tarissement de la rente énergétique, et la fermeture des frontières, l’Algérie apparaît dans toute sa nudité et l’élite dans toute sa nullité. Comment est-on arrivé là ?
Evidemment, « ce n’est pas moi, c’est l’autre, et l’autre n’est rien d’autre que soi-même mais on n’ose pas l’admettre de peur de rougir en se regardant dans la glace ! ». Les pétrodollars constituent un instrument imparable de « domestication » des peuples et de corruption « des élites ».
A défaut d’être un levier de développement économique et d’émancipation sociale, les revenus pétroliers et gaziers ont débauché la société et perverti les politiques économiques. Ils ont « pollué» nos esprits, nos corps et nos institutions. Ils ont créé le droit à la paresse de la population, à la médiocrité des gestionnaires, au gain facile des monopoles importateurs privés spéculatifs et au déficit chronique des entreprises publiques productrices.
Ils ont « cannibalisé » une économie traditionnelle de subsistance, « perverti » une société en quête d’identité, « dénaturé » les rapports sociaux, « inversé » la pyramide des valeurs, « assis » un système suranné sur des fondations antisismiques et « détruit » un environnement post colonial propice pourtant au développement des forces productives locales en devenir. Ils masquent l’autoritarisme des Etats et la paresse congénitale des populations.
Il abolit la propriété privée des moyens de production au profit de la propriété « publique » rendant invisibles et infaillibles les actionnaires « politiques » en socialisant les pertes et en privatisant les profits. Ils seront à l’origine de la constitution d’une classe sociale formée d’une bourgeoisie d’Etat parasitaire et d’une oligarchie hégémonique, disposant d’un appareil sécuritaire puissant et de l’argent du pétrole et du gaz pour se pérenniser.
Ils ont empêché quasiment le renouvellement du personnel politique atteint par la limite d’âge, la diversification de l’économie et la renaissance d’une culture ancestrale qu’elle soit ethnique ou religieuse. Ils ont donné lieu à une véritable débauche des dépenses publiques et à une grande auto-complaisance en matière de politique économique et financière qui ont déstabilisé les attentes et entraîner des tensions sociales provoquant le chaos économique, social et culturel dans lequel « baigne » le pays.
Finalement, les pétrodollars, c’est la mort de l’économie locale de subsistance. Les déséquilibres de l’économie algérienne (interne et externe) sont les résultats d’une productivité insuffisante et d’une gestion laxiste. L’entreprise publique ne peut déclarer faillite puisque s’agissant d’une propriété publique.
L’Etat se trouve condamné à financer ses déficits et à couvrir sa mauvaise gestion. Dans un contexte de crise financière, déclarer faillite pour une EPE, ce n’est pas rendre les clés de la société à son propriétaire, c’est recevoir les clés du Trésor Public. Quel en est le mécanisme ? En période de vaches grasses, ce sont les recettes pétrolières et gazières et en période de vaches maîtres c’est l’endettement extérieur. Toutes les réformes ont tenté de remettre les comptes à zéro. Autrement dit « On efface tout et on recommence ».
C’est le même manège, on change de place. On tourne en rond. On ne s’amuse jamais à faire le bilan et si par hasard on tente de le faire, il ne comporte qu’une seule colonne, le passif de notre prédécesseur pour reproduire ses mêmes erreurs sans tirer les leçons. En Algérie, le pouvoir n’est pas une abstraction, il est avant tout une personne, un groupe ou un clan, d’où la nécessité pour domestiquer cette puissance, d’établir des relations personnelles avec elle.
Cette personnalisation n’est pas la personnalisation de l’entreprise publique, mais la personnalisation des ressources publiques. Chaque position hiérarchique implique généralement le contrôle de certaines ressources ; le titulaire d’une fonction publique gère les ressources d’une façon personnalisée. Mais lorsque la personnalisation des ressources s’estompe, c’est pour faire face à la logique du marché. Une logique économique annihilée par une logique politique. Une logique qui échappe à l’entendement.
L’accélération des évènements politiques en Algérie continue d’entretenir la confusion et l’inquiétude. Les regrettables voltes faces des uns et des autres contribuent gravement à accentuer les interrogations et à conforter l’écœurement généralisé. La dérive dans l’expression quotidienne touche aussi bien les discours que les concepts. Que font ceux qui se sont investis dans le génie de la plume et des idées.
Est-ce le regard qui s’éteint ou la plume qui se brise ? Pourtant ni la creuse magie du pouvoir, ni les vraies chimères des nantis du régime et encore moins le pathétique réveil des héros de la révolution ne doit nous faire renoncer à élucider un peu mieux les raisons de ce désarroi. L’histoire recèle tant de leçons dans lesquelles bien des vérités ont déjà été énoncées, il suffit de se réformer dans ses attitudes et dans ses comportements. Il suffit de se regarder dans la glace sans rougir.
Se remettre en cause et enquêter soi-même sur les avantages et les acquis d’une carrière artificiellement prospère que la jeunesse découvre et met à nu la mort dans l’âme puisque s’agissant de ses aînés que peuvent être ses parents ou ses grands-parents. C’est pourquoi la réhabilitation de la dignité de l’individu ne peut être restaurée que par la dépersonnalisation des rapports dans le travail c’est-à-dire le primat du professionnalisme sur le clientélisme voire le tribalisme.
Pour que l’esprit de la civilisation moderne s’épanouisse, il faut qu’il y ait une relation entre le travail et sa rétribution. Il faut que l’entrepreneur ou le travailleur ait le sentiment qu’une augmentation de ses efforts se traduira par une amélioration de son sort. Or dans un pays où les revenus sont distribués selon des critères de proximité du cercle du pouvoir et/ou d’adhésion à une communauté d’intérêts, il devient difficile sinon impossible à un individu quel que soit son travail ou ses aptitudes d’accéder à un minimum de confort matériel sans prêter allégeance au prince du moment.et/ou sans donner des gages de compromission.
En effet, tant que les relations personnelles avec la hiérarchie sont intéressées et donc intéressantes, nombreux peuvent être les avantages, les faveurs et les privilèges. Les techniques d’approche sont personnelles, la stratégie est commune. Le bénéfice est individuel mais le risque est collectif. « Tu me prends par le ventre, je te tiens par la barbichette ».
Il y a une solidarité de groupe. Il n’y a point de réussite sociale en dehors du groupe. La personnalité de chaque individu se fond et se confond avec le groupe et devient un élément d’un tout disparate, précaire et révocable. Lorsque de telles relations envahissent tous les espaces et neutralisent toutes les fonctions, le pouvoir rentier distributif devient par voie de conséquence le régulateur exclusif de la société dans son ensemble. La vie politique, économique, et sociale, s’organise autour de la distribution de cette rente à travers des réseaux clientélistes et de soumission au pouvoir politique.
La société algérienne est fondée sur la négation de l’individu libre et elle fonctionne au commandement.
Or une des défaillances de l’économie nationale réside dans l’irresponsabilité des vrais décideurs. Elle s’observe d’une manière presque caricaturale en Algérie. Des voix de plus en plus nombreuses remettent en cause la légitimité d’une gestion par l’Etat. Le développement des déficits des entreprises publiques, les perversions de gestion, l’ampleur du chômage sur une longue durée, le poids excessif des dépenses publiques improductives, la baisse drastique des revenus pétroliers, l’effondrement des cours pétroliers et gaziers, la flambée des prix des denrées alimentaires sur le marché international, la dépendance de la population à l’égard des importations, la fragilité de la santé de la population, la récession économique mondiale, la pandémie du coronavirus covid-19 font peser sur le budget de l’Etat et donc sur l’impôt ordinaire un poids excessif qu’ils ne pourra pas supporter la chute de la fiscalité pétrolière (« le couteau a atteint l’os »)i.
Désormais, il ne suffit plus de savoir que les entreprises sont gérées par l’Etat pour être assurés qu’elles remplissent concrètement les objectifs de service public. Il faut montrer quels services elles rendent à la collectivité et selon quels coûts.
La légitimité de l’action de l’Etat se trouve ainsi soumise aux critères de rationalité économique. deux enseignements à tirer : la première, c’est que l’absence de toute forme de responsabilité juridique de l’Etat vis-à-vis des opérateurs économiques privés ne pouvait aboutir qu’à un retrait voire une paralysie des interventions économiques privées ; la seconde c’est que la recherche tout azimut de l’engagement de la responsabilité de l’Etat débouche nécessairement sur une paralysie des opérateurs économiques publics d’où le gel en définitive par l’Etat du mouvement historique de la formation économique et sociale.