Le vendredi 12 janvier 15h à la Coupole, célèbre salle de spectacles d’Alger, les amoureux de l’art, les admirateurs, les amis de Lounis Aït Menguellet vont converger vers ce haut lieu de la culture nationale pour écouter le maestro et, pour beaucoup d’entre elles et eux, danser et chanter aux sons mélodieux de ses créations.
Des créations qui prennent racine dans la pensée kabyle contemporaine elle-même enracinée dans tout l’imaginaire amazigh imprégné d’inépuisables récits populaires. Un mélange de contes, de légendes, de culture vécue et de faits historiques douloureux, le tout stratifié depuis le creuset méditerranéen le plus lointain que l’on puisse imaginer. Yennayer 2974 n’en est qu’une étape, une étape plutôt proche de nous.
Dans l’étendue si diversiforme, si innovante, si dense de l’œuvre de Lounis, chaque poème chanté occupe une place assez particulière. Chaque vers, chaque métaphore a son souffle propre.
Attachée à décrire un terrain d’apparence familier voire ordinaire, chaque chanson a, pourtant, sa singularité, sa profondeur, sa charge émotionnelle qui ont tôt fait de séduire l’auditeur. Et, si cet auditeur se trouve être comme votre serviteur que vous lisez à l’instant, un ami fidèle à l’auteur et fervent écoutant/lecteur de son œuvre, le chant prend alors une dimension supplémentaire : on y découvre d’abord de l’amour puis une logique littéraire inattendue d’où surgissent une pensée philosophique rigoureuse du poète, une rêverie sans fin qui traduit une époque tourmentée, une pensée qui dépeint la société en proie à une spirale déceptive et des jeux psychologiques qui racontent les rapports sociaux de notre temps.
Un temps qui se nourrit de valeurs contradictoires dont les plus menaçantes ébranlent nos esprits non préparés au point où « ur ye3qil hedd axsim-is » (tous, nous nous trompons d’ennemi) comme le disait si bien Slimane Azem.
Nécessairement subjectives, la réception et la compréhension du spectateur construisent le chant et le reconstruisent indéfiniment. Cependant, l’ordre et le désordre que le poème chanté produit dans nos champs émotionnels, s’explique principalement par l’immanence du sens.
Le chant de Lounis Aït Menguellet semble se positionner hors du temps, hors d’une histoire événementielle. Bien que séduisant, le texte menguelletien n’est pas construit pour séduire. Il est « le souffle de l’éloquence qui vient du caractère et du cœur » pour reprendre l’expression heureuse d’Alphonse de Lamartine.
Lounis, comme à son habitude, sera presque immobile au milieu de ses musiciens éminents et concentré sur la guitare posée à même sa jambe elle-même repliée sur une chaise. Lounis se présente ainsi, avec humilité, à son public comme un jeune Maître de conférences à la fois heureux et inquiet trônant sur sa chaire à chaque fois renouvelée, à chaque fois dévisagée et jugée. Là, il entonne son chant (j’allais dire son enseignement) d’une voix mesurée et scrute vaguement son public qui, immanquablement, se laisse guider, se laisse mener progressivement comme dans une lente hypnose ericksonnienne.
Peu à peu, il livre les architectures de son monde imaginaire et nous pousse discrètement à épouser le rythme de son aventure poétique et musicale. Les poitrines se soulèvent dans un soupir collectif avant de se libérer et, rang par rang, des centaines de spectateurs reprennent des morceaux choisis tandis que d’autres rentrent dans la dance comme pour signifier au poète leur enthousiaste accompagnement par le langage du corps, le langage de l’émotion. Un langage qui illumine les visages, dilate les pupilles et libère les sens dans un frisson continu mais raisonnablement contenu.
Le 12 janvier 2024, à une semaine de son 74ème anniversaire, Lounis dévoilera tous les univers difficiles qui l’habitent et hantent son peuple : celui de l’amour, zone interdite de notre société, celui du politique, domaine de l’arbitraire traité en langage grave et docte, celui de la philosophie, champ sensible menacé par l’irruption de dogmes que l’on croyait démystifiés mais toujours ressuscités comme il le précise avec talent : « azaglu yerrẓen, nettrajju a ɣ ɛiwden wayeḍ » (à peine avons-nous brisé un joug qu’un suivant nous brise la nuque).
Bonne fête à toutes et tous, merci Lounis, yennayer imgerrez !
Hacène Hirèche, consultant