Une salle des fêtes sans musique vient d’ouvrir à Jijel. Pas de chant, pas de raï, pas de chaâbi, pas même une derbouka pour rythmer un youyou. Juste des tables, des chaises, et un silence propre sur lui. Cela pourrait faire sourire, ou sembler anecdotique. Mais dans l’Algérie d’aujourd’hui, ce type d’initiative est tout sauf neutre.
Car cette salle s’inscrit dans un climat de plus en plus pesant : celui d’un conservatisme moral qui avance, gagne du terrain, et cherche à redéfinir le vivre-ensemble à coups d’interdits déguisés en choix. Ce n’est pas simplement une affaire de goûts. C’est une offensive. Une tentative de modeler la société sur les normes d’une minorité bruyante qui se rêve majorité silencieuse.
Le piège de l’“option”
Certains diront : « Ce n’est qu’une option, une offre parmi d’autres ». Faux débat. Car derrière ce vernis de “liberté de choix” se cache une volonté de rééducation sociale. Le message est clair : la musique, la fête, le chant sont des marqueurs de relâchement moral. On les bannit pour purifier l’espace. Aujourd’hui dans une salle de mariage, demain dans les rues, les écoles, les médias.
Et pendant ce temps-là, les véritables urgences – le chômage, le mal-logement, la pauvreté, la corruption – restent hors-champ. C’est vieux comme le monde : quand les pouvoirs n’ont plus rien à offrir, ils vendent du sacré, du halal, du silence.
La musique, outil de liberté populaire
Qu’on le veuille ou non, la musique dans notre pays a toujours été une arme. Contre l’ennui. Contre l’oppression. Contre l’oubli. Dans les ruelles populaires d’Alger, dans les Aurès rebelles, dans les stades et les cabarets de l’exil, la chanson a porté les douleurs et les espoirs des opprimés. Supprimer cela, c’est supprimer une partie de la mémoire collective. Une manière de faire taire ce qui ne rentre pas dans la case.
À Jijel, on ne propose pas un modèle. On l’impose par la norme sociale, en culpabilisant tout ce qui dépasse. Et on appelle cela “respect des valeurs”. Mais de quelles valeurs parle-t-on ? Celles du silence et du contrôle ? Ou celles de la joie populaire, du partage, de la résistance culturelle ?
Djamal Guettala