Jeudi 27 septembre 2018
Abdelaziz Bouteflika : pièce décomposée du système prémoderne
À la remarque interrogative, «le président Bouteflika est en mauvaise santé, on peut dire les choses ainsi ?», que lui exposait l’animateur des matinales de « France Culture », Guillaume Erner, l’écrivain Boualem Sansal répondra ce même 31 août 2018 : «Oui, oui, c’est un légume (…), il ne gouverne pas, on ne sait pas par qui est gouverné le pays ».
Dans l’esprit de nombreux analystes, le locataire d’El Mouradia (plus exactement l’assigné à la résidence médicalisée de Zéralda) est depuis longtemps passé du statut de Grosse légume à légume, c’est-à-dire de personnage incontournable à malade en état végétatif, tellement arrivé au stade primaire de l’alacrité diplomatique que l’ancien ambassadeur de France à Alger, Bernard Bajolet, stipulait le vendredi 21 septembre 2018 (au sein du quotidien Le Figaro) qu’il est « (…) maintenu artificiellement en vie ».
Si aux yeux des habituels observateurs du champ politique algérien, son assertion n’apporte rien de nouveau, confirme en somme un mensonge qui dévoile la vérité, elle provoquera par contre quelques remous au niveau des cercles d’une « Famille révolutionnaire » manœuvrant depuis plusieurs semaines pour faire accepter à l’opinion l’entendu quatrième renouvellement
d’Abdelaziz Bouteflika.
Le scénario mis en place ressemble en tous points à celui orchestré dès octobre 2013,lorsque le Premier ministre d’alors, Abdelmalek Sellal, martelait le vocable « stabilité » et soulignait en gras «Les lignes rouges à ne pas franchir».
Trois mois avant le 17 avril 2014 (date du scrutin présidentiel), le chef de l’exécutif visitait la wilaya de Mila et arguait à l’auditoire que «les prochains jours seront décisifs pour l’Algérie qui a entamé son parcours vers le progrès et la modernité (…). Maintenant, nous nous dirigeons vers le développement (grâce) aux vertus apaisantes des quinze dernières années, de la politique de réconciliation nationale (…)» (Horizons, 16 fév. 2014).
Annonçant le proche 13ème anniversaire de cette charte pour la paix, le journal El Moudjahid du 20 septembre 2018 la perçoit lui-même comme le point de départ ou colonne vertébrale des vastes réformes de l’Algérie.
Lorsque plus de 6.000 djihadistes de l’Armée islamique du salut (AİS) quittaient le 11 janvier 2000 les bastions perchés de Jijel, déposaient les armes en échange de la « grâce amnistiante » (loi consentie après des pourparlers secrets débutés en octobre 1997), les dialoguistes (militaires et membres des services secrets) tournaient le dos à la modernité politique, économique, sociétale, culturelle et artistique.
Devenue le passe-partout de l’importation tous azimuts, leur rahma restait d’autant plus synonyme de reddition face à l’ordre archaïque que la guerre s’éternisait avec les têtes brûlées du GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat), que «toute allégation visant à faire endosser par l’État la responsabilité d’un phénomène délibéré de disparition» est depuis systématiquement rejetée, que les victimes ne peuvent porter plainte, dénoncer publiquement tout préjudice ou encore faire action de deuil, que le pardon sans la justice ressemble fort à «(…) une forme de violence», soulignera le psychiatre Mahmoud
Boudarène.
İnvité le 13 septembre 2018 de l’émission littéraire « La grande Librairie » (diffusée chaque mercredi sur la chaîne « France 5 »), l’ex-officier Mohammed Moulessehoul, plus connu sous le pseudonyme Yasmina Khadra, dira à son interlocuteur (le présentateur François Busnel) «En Algérie on a essayé une stratégie qui a été payante, celle d’aider les repentis à intégrer la société, ça a marché». Cela fonctionne tellement bien que le poids des conservatismes inhibe depuis davantage encore le potentiel réactif d’Algériens traumatisés, étouffe toute velléité de changement chez une jeunesse corsetée d’autoritarismes
postrévolutionnaires et de subordinations politico-religieuses.
İl y a une sorte de brouillage intellectif du côté de l’ancien directeur du Centre culturel algérien pourtant lucide lorsqu’il évoquera en mai 2014 la «(…) fuite en avant suicidaire» du quatrième mandat de Bouteflika (la remarque conduira à son limogeage). C’est donc en 2005 que ce dernier fera approuver (par 97 % des votants) le protocole offrant une seconde chance à ceux toujours dans le maquis et annihilant de manière concomitante « (….) toute allégation visant à faire endosser par l’État la responsabilité d’un phénomène délibéré de disparition ».
Le blanchiment général sera à double fonds ou tranchant puisque d’une part les pensées rétrogrades du Front islamique du salut (FİS) imprégneront les nomenclatures sociales et que d’autre part, les prédateurs affairistes accapareront les rouages propres à la financiarisation occulte de l’économie de bazar.
Au nom de la lutte en faveur de «l’éradication du terrorisme», des menaces exogènes potentielles ou fictives, de la souveraineté nationale et de l’image positive de l’Algérie, les citoyens devraient se résoudre à maintenir sur le trône suprême celui incarnant (de l’avis de ses thuriféraires) la légitimité historique.
En claironnant qu’il «(…) n’a pas besoin de faire campagne, son histoire et son parcours parlent pour lui» (in La Tribune, 08 mars. 2014), Abdelmalek Sellal traçait déjà le sillon emphytéotique du personnage souffrant d’un ulcère hémorragique, physiquement et intellectuellement inapte à assumer les charges du poste coopté, audible uniquement à travers des subalternes s’ingéniant à ce qu’il sorte vainqueur d’un simple « tour de choof » se décidant au final selon le rapport de force prévalant au stade de l’armée (au cœur des intrigues et des business, elle adoube l’élu de son choix, gère ses intérêts militaro-industriels) et des ententes cordiales à l’intérieur du clan de la représentation présidentielle.
Celui-ci se structure en quadrature institutionnelle : Département de surveillance et de sécurité (DSS), Front de libération nationale (FLN), Forum des chefs d’entreprises (FCE) et Union générale des travailleurs algériens (UGTA). Ce socle cohésif compose l’appareil de la nomenklatura, nébuleuse rentière des lobbies monopolistiques et de la rumination mémorielle permanente.
Sa survie se coagulant autour de la figure de Bouteflika, elle fait acte d’allégeance (moubayaâs), se moque de la promesse ou « tab djenana » du 08 mai 2012 à Sétif (quand l’actuel Président laissait supposer que «le temps de ma génération est révolu ») et de surcroît du bilan comptable de la Concorde civile qui a hypothéqué pour longtemps une réelle montée en modernité. Croire que celle-ci se concrétisera grâce à l’armée, que cette entité la symbolise, cela équivaut à proroger un mythe.
Après la charge goupillée par Bernard Bajolet (autrefois patron de la Direction générale de la sécurité extérieure et de la cellule « Maghreb » du Comité interministériel du Renseignement), le haut commandement militaire confectionnera lui-même des leurres dont participe la récente interview que l’ex-ministre de la Communication Abdelaziz Rahabi concédera au quotidien arabe Al-Quds Al-Arabi.
Selon l’ancien ministre, Abdelaziz Bouteflika ne briguera pas un autre fauteuil en raison de son organisme chancelant et de l’absence de réelles motivations. Les baltaguia (nervis) de la prébende ou du pseudo-Front populaire, de la hogra (mépris), de la rechoua (corruption) ou chkara (achat frauduleux de voix) ne l’entendent certainement pas de la même oreille.
En fond sonore, résonne d’ailleurs le refrain d’une chanson de Francis Cabrel : et ça continue encore et encore, d’accord ?, d’accord ?