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Abdelaziz Ghermoul : écrire pour briser le silence et habiter le temps

Abdelaziz Ghermoul

Abdelaziz Ghermoul

Né dans le fracas et la quête d’une Algérie encore en devenir, Abdelaziz Ghermoul n’a jamais été un simple écrivain parmi d’autres. Il est l’un de ces rares esprits qui refusent de céder à l’oubli, à la compromission ou à l’amnésie imposée.

Dès son adolescence, il choisit la parole comme arme et comme refuge — non pour orner le monde, mais pour l’interroger au plus profond de ses contradictions, de ses douleurs et de ses espoirs déchus.

Son écriture, lancinante et révoltée, est une traversée dans le temps suspendu d’une société aux mémoires fracturées. De ses premiers récits publiés dans les années 1970 jusqu’à ses romans majeurs, il déploie un souffle singulier. Dans Maqama layliyya (Prose nocturne, 1982), il expérimente le langage comme un dialogue entre la nuit et l’âme, entre silence et cri. Harat taraf al-madina (Le Quartier en lisière de la ville, 1992) esquisse les contours d’une Algérie marginale, où les histoires individuelles résonnent comme des échos d’un destin collectif brisé.

Avec Rasul al-matar (Le Messager de la pluie, 1993), il donne corps à la quête d’un sens dans un monde dévasté, entre chute et renaissance. Sa plume s’impose alors comme une forge où le réel est confronté à l’invisible, à ce qui ne se dit pas mais s’éprouve.

Plus tard, dans Za‘im al-aqalliyya al-sahiqa (Le Chef de la minorité écrasante, 2005), il dénonce avec une acuité implacable les mécanismes de pouvoir, l’ironie cruelle d’un régime qui prétend représenter la majorité tout en réduisant au silence. Enfin, dans Massaḥat Franz Fanon (La Clinique Frantz Fanon, 2018), il déploie un travail de psychanalyse collective, plongeant dans les blessures laissées par le colonialisme, dans l’espoir d’une guérison lente et douloureuse.

Aujourd’hui, Ghermoul poursuit cette quête littéraire et philosophique avec la sortie prochaine de son nouveau recueil de nouvelles intitulé Maḥaṭṭat Dostoyevski al-Ṣaghīra (La Petite Station de Dostoïevski), publié par la maison d’édition algérienne Publications du XXIe siècle. Cette œuvre s’inscrit en rupture avec la frénésie du récit rapide et consumériste. À travers dix nouvelles, Ghermoul invite le lecteur à une immersion lente et contemplative, où la pensée et l’angoisse existentielle se mêlent à la poésie du quotidien.

Dans sa préface, il décrit cette « petite station » comme un espace métaphorique, un lieu de silence et de passage dans le métro de la vie, un arrêt discret où peu s’aventurent, mais où celui qui ose entrer ne ressort plus le même. Ce recueil renouvelle sa réflexion sur le temps, la mémoire et l’âme humaine, redonnant à la nouvelle sa place de laboratoire d’idées et de sensations, loin des modes superficielles.

Un écrivain dans la cité

Loin du confort de la tour d’ivoire, Ghermoul s’engage aussi dans la vie publique. En 1998, il rejoint l’Union des écrivains algériens, dont il deviendra président en 2005. Non pour honorer un titre, mais pour ouvrir des brèches. Il milite pour une culture vivante, critique, affranchie des injonctions idéologiques. Il se bat pour que l’écrivain algérien retrouve sa place dans la cité, non comme décor, mais comme conscience.

À travers ses interventions, ses essais, ses prises de parole, Abdelaziz Ghermoul incarne une pensée libre dans un environnement cadenassé. Une voix rare, non parce qu’elle se veut unique, mais parce qu’elle ne veut ressembler à aucune autre.

L’héritage d’une parole vivante

Avec plus d’une dizaine d’ouvrages à son actif, Ghermoul continue d’écrire contre l’amnésie, contre la résignation. Ses livres sont des chantiers de mémoire, mais aussi des laboratoires de sens. Il ne propose pas de solution toute faite. Il préfère ouvrir des brèches, poser les vraies questions, celles qu’on évite.

Dans un pays souvent tenté par l’oubli, Abdelaziz Ghermoul rappelle que la liberté commence par le refus de se mentir. Et que les mots — quand ils ne flattent pas — peuvent encore réveiller.

Écrire, pour lui, c’est habiter la fracture du temps, creuser les plaies ouvertes, et entrevoir dans la nuit les lueurs d’un avenir possible.

Djamal Guettala

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