Lundi 8 octobre 2018
Abdelaziz, un dieu Hadès invisible !
« Il est où ? », « Il va parler ! », « Il est vivant ! », je lis tous les jours des articles se questionnant sur une abstraction, un demi mort. C’est que probablement les rédacteurs n’ont pas notre âge, celui qui a vu régner Abdelaziz durant une vie. Ils ne savent pas qu’Abdelaziz n’est jamais parti, n’est jamais mort, n’est jamais visible. Il fut de tous temps une évanescence, une sorte de dieu Hadès de la mythologie grecque.
Tout d’abord il faut savoir que Abdelaziz fut un globe trotter, il n’a jamais eu de réalité politique quotidienne auprès des Algériens. Pattes d’éléphant, chevelure au vent, entre la limousine et le Jet Falcon qui l’emmenait au bout du monde, on l’apercevait furtivement exécuter la démarche rapide des gens jouant à l’homme pressé mais qui, en réalité, devait compenser sa hauteur avec la rapidité des pas.
L’image de notre adolescence, c’est celle d’une méga star s’engouffrant rapidement dans l’avion comme s’il était poursuivi de paparazzis. Juste l’instant d’un signe de la main à la caméra officielle de cette très grande chaîne de télévision indépendante, la RTA.
Mais Abdelaziz, ce n’est pas seulement une représentation iconique, c’est aussi un fantasme. Le pouvoir et la puissance ont toujours rendu aveugle ou, certainement, font perdre tout discernement. C’était « un temps que les moins de quarante ans ne connaissent pas », Abdelzizou était le play-boy de ces dames.
Il était dans toutes les discussions, dans tous les chuchotements coquins, pour son charme à la mode. Boumédiene et les autres avaient des statures de dieux de la nation, Abdelaziz était le dieu de la beauté des années soixante-dix, le chouchou de la jeune fille jusqu’à la grand-mère. Oui, cher lecteur, le pouvoir rend aveugle ceux qui le regardent de trop près, comme Icare en fit la fatale expérience pour ses ailes.
Mais si Abdelaziz fut une icône évanescente et une star furtive, il était également au centre de tous les ragots, corollaire inévitable de ce que nous venons de dire. « Il s’est marié » disent certains, « Je la connais, c’est la cousine du voisin de palier de mon beau-frère qui l’a dévoilée. Il travaille lui-même avec le gendre d’un secrétaire au ministère des affaires étrangères ».
C’est que Gala et Paris Match n’existaient pas en cette époque, nous avions la version people du FLN de l’Algérie d’autrefois. Vous rendez-vous compte, dans un pays où vous ne pouviez sourire à une jeunes fille, à cinq cent mètres, sans que le quartier, la famille et tout le lycée le sache. Le célibat persistant d’Abdelaziz était ainsi leur journal en papier glacé, leur roman feuilleton local.
Mais si Abdelaziz fut une évanescence, une icône et un fantasme, il fut également une légende. On ne lui a pas construit un passé à l’image du dictateur nord coréen car il n’aurait pas terrassé l’armée française à lui tout seul, il n’a pas gravi les hautes montagnes, mains nues et à douze ans. Mais Abdelaziz, accrochez-vous bien, fut le plus grand intellectuel de toute la génération FLN.
Il se plaisait lui-même à dire que c’est un grand connaisseur de Napoléon et des grands écrivains classiques. Passionné d’histoire et de littérature, jamais une goutte d’alcool, comment voulez-vous que les fantasmes n’atteignent pas les sommets du délire ? Il discute et négocie avec les rois et les plus grands chefs d’état, il ne peut qu’être d’une intelligence supérieure, disait-on !
Alors, chers lecteurs, lorsque je lis les nombreux articles relatant les mystères de la vie d’Abdelaziz, de sa présence ou de sa mort, je me dis que la génération algérienne a bien changé. Ils ne semblent pas connaître l’extraordinaire légende de ce petit bonhomme, aussi invisible que puissant. Seule la religion peut créer des fantasmes aussi gigantesques et inexplicables, par la crainte de l’invisible, de l’insaisissable puissance.
Abdelaziz est une idée, un concept et ce n’est ni plus ni moins le reflet de la propre lâcheté de certains, de la compromission pour d’autres et, des deux, pour la majorité. Cet être nourri et fabriqué par la terreur, le sang et la sueur des Algériens a toujours servi de paravent aux fuites et aux lâchetés d’un peuple qui est dirigé par un homme grabataire, qui bave en murmurant et qui digère soixante ans de dictature et de corruption.
Les fantasmes ne meurent jamais car la nation ne meurt jamais. Hadès retient les âmes dans les ténèbres de l’enfer comme Abdelaziz a pu le faire si brillamment pour les Algériens.
Il est le dieu gardien des morts et, par définition, ne meurt jamais.