Mercredi 22 novembre 2017
Adieu l’ami des causes justes
Saïd Boukhari vient de quitter ce monde après avoir mené de nombreuses luttes. Il a fait partie de cette génération qui s’est dressée pour abattre la dictature du parti unique. Il est parti avec cette soif des premiers matins laissant un pays à vau-l’eau.
C’est un homme sincère et généreux, né au matin de l’indépendance, qui vient donc de partir. Son père a participé à la guerre de libération. Il est mort alors que Saïd n’avait que six mois. C’était en 1962. Un drame que sa mère devait surmonter dans cette Algérie qui se libérait des limbes du colonialisme pour élever seule son unique enfant.
Brillant, Saïd fera le lycée technique de Dellys, un établissement qui a accueilli les plus brillants enfants de la Kabylie. Néanmoins pour subvenir aux besoins de la famille, Saïd Boukhari choisit de devenir enseignant. Il le sera dans un collège de Tigzirt. Un métier qu’il a exercé comme un sacerdoce. Avec humilité et conviction.
En 1980, lors de l’explosion populaire du printemps berbère, Saïd Boukhari avait 18 ans. L’âge aussi de ces milliers de militants qui avaient décidé de braver avec un mépris souverain la peur de la dictature pour crier leur volonté inébranlable d’exister en Amazigh non dans une identité de substitution.
Saïd Boukhari était un membre très actif au deuxième séminaire du Mouvement culturel berbère (MCB). Mais c’est pendant le boycott scolaire en 1994 en Kabylie que cet homme a montré toutes ses capacités de dialogue. Saïd était un grand juste. Il savait allier avec générosité conviction et négociation. C’est tout naturellement qu’il est investi comme membre permanent de la commission de suivi du boycott scolaire. « Saïd était un homme de paix, de synthèse, je ne lui connais pas d’adversaire, il a toujours su dialoguer avec les différents mouvements politiques, c’est un grand témoin des luttes sociales et politiques que nous venons de perdre », confie Ali Naït Djoudi, un ami de longue date. Dans la foulée de cette terrible année, Saïd Boukhari a fait partie aussi de la délégation du MCB qui a négocié avec Mokdad Sifi, chef du gouvernement, la fin du boycott scolaire et les revendications du MCB, en décembre 1994. Il a été aussi parmi les membres fondateurs du Mouvement pour la démocratie et la citoyenneté au côté de Saïd Khelil, un autre compagnon de longue date.
En avril dernier, il a participé à la marche du printemps berbère à Tizi-Ouzou. L’un de ses derniers actes militants est sa participation active à la naissance du Forum international pour la justice et les droits humains (FIJH), une ONG de défense des droits de l’homme.
S’il y a une leçon à retenir c’est cet engagement désintéressé et sans faille pour l’identité amazighe, la démocratie et la justice sociale. Il a fait de cette génération de l’indépendance qui a poussé et grandi sous la chape de plomb des colonels.
« Un grand militant nous quitte ! Son combat nous interpelle, sa droiture et son engagement seront pour nous des exemples », témoigne l’écrivain et chercheur Rachid Oulebsir.
Saïd Boukhari a laissé cinq enfants et une mère qui aura perdu deux hommes. Son mari, dans sa prime jeunesse, et son fils, au soir de sa vie. C’est à ces personnes que vont nos pensées les plus profondes. Nos très sincères condoléances.