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Affaire Benjamin Griveaux, un lourd questionnement sur Internet

TRIBUNE

Affaire Benjamin Griveaux, un lourd questionnement sur Internet

Un coup de tonnerre sur la vie politique française avec la démission de l’un des candidats à la mairie de Paris suite à la révélation de l’existence de vidéos compromettantes sur Internet le concernant. Ces vidéos sont d’ordre privé puisque volées et communiquées sans autorisation. Cela pose encore une fois la question de la dérive du réseau qui, après en avoir été son allié le plus extraordinaire, commence à se retourner en une menace contre la démocratie.

Benjamin Griveaux, « marcheur » de la première heure lors de la campagne triomphale d’Emmanuel Macron, ancien conseiller à la présidence, s’était lancé dans la conquête des municipales à Paris, l’une des fonctions les plus convoitées de la république lorsqu’on est élu maire.

Laissons de côté les graves divisions de son groupe de campagne qui l’avaient mis dans une position d’échec annoncé. Ce qui nous intéresse sont les faits qui l’ont contraint à démissionner provoquant un fracas médiatique. Non que ce personnage politique, inconnu il n’y a pas si longtemps, soit un dinosaure de la politique française mais parce que c’est Paris et qu’il s’agit d’un homme politique proche du Président.

Encore une fois Internet fait de très gros dégâts dans ce qui devait rester privé et qui, par la malveillance, brise les vies jusqu’aux suicides parfois, notamment des jeunes gens fragiles qui sont moqués, harcelés et menacés. C’est aussi le cas des hommes politiques depuis quelques années.

Avant d’aller plus loin dans le raisonnement il faut immédiatement préciser un point préalable.

1. Internet, un fabuleux outil de connaissance et de liberté 

Dans toute ma courte existence, en comparaison avec l’âge de l’unanimité, je n’ai vécu une avancée aussi extraordinaire que seuls les pas de Neil Amstrong sur la lune en juillet 1969 avaient égalée. Ce qui d’ailleurs fut l’une des voies qui a mené vers l’explosion des innovations (celles-ci n’ont jamais cessé dans l’histoire mais c’est leur accélération qui constitue la nouveauté).

Internet a non seulement ouvert une gigantesque bibliothèque disponible pour la planète  mais encore une fabuleuse fenêtre sur les libertés individuelles contre les dictatures qui emprisonnent dans un carcan liberticide.

Devant une telle euphorie l’humanité s’est bien gardée de réglementer cet outil dans ses  écrits et ses libertés. On peut la comprendre et on applaudit le principe général d’une telle doctrine.

Mais aujourd’hui nous faisons face à un détournement de cette liberté qui est au service de toutes les perversités jusqu’à menacer les démocraties elles-mêmes. Comme toujours les démocrates font face au même dilemme, où placer le curseur de telle manière que la liberté ait un champ inépuisable d’expression sans pour autant créer les germes menaçant son existence ?

C’est une très vielle discussion doctrinale. Les démocraties ont déjà posé un principe de base, certes imparfait car il peut basculer à tout moment vers le dirigisme et l’autoritarisme de l’État, mais qui est la seule voie d’équilibre communément admise. 

Ce juste milieu est souvent signifié par une phrase qui se trouve dans nombre de constitutions avec différentes variantes de son écriture, « Les libertés s’exercent dans le cadre des lois qui les règlement ». Et c’est là où commence le dur labeur des démocraties car seules les dictatures ont des certitudes, jusqu’où réglementer ces libertés ?

Commençons l’argumentation pour présenter l’affaire Griveaux, le cadre légal et les dérives qui sont actuellement constatées.

2. L’affaire Griveaux, le droit malmené

Benjamin Griveaux a filmé ses ébats intimes et extra-conjugaux. À l’heure où ces lignes sont écrites, il semblerait qu’il ait diffusé ces images vidéos à travers une plateforme cryptée donc sans intention d’une diffusion ouverte au public.

Le droit n’est pas la morale. Les circonstances relèvent ici d’un acte privé donc sacré pour l’intimité des êtres humains et protégé par les lois de toute démocratie. Le fait de les enregistrer et de les partager avec un cercle intime restreint ou de les stocker relèvent de cette intimité inviolable.

Deux  conditions seulement peuvent être opposées à ce droit à l’intimité :

1/ La diffusion publique volontaire par l’intéressé. Ce n’est pas le cas en raison de la précision précédente.

2/ Les actes contreviennent à la loi. Il n’y a manifestement aucune illégalité car les personnes concernées sont majeures et consentantes, dans un lieu qui n’est ouvert à aucun regard, encore moins à celui des mineurs.

Un point a été soulevé par certains, notamment par celui qui a diffusé illégalement les images, soit la contradiction entre la vie privée et le discours moralisateur du candidat. En aucun cas cet argument ne peut être recevable en droit par l’usurpation et la diffusion d’images privées de surcroît légales.

Je ne sais pas si un certain public, prompt à l’accusation dès qu’il s’agit d’une suspicion d’ordre moral, se rend compte de l’immensité du danger. Et si demain on allait rechercher dans le téléphone portable, dans les tiroir des bureaux, des ordinateurs ou dans les affaires personnelles, la moindre trace d’une information personnelle, y compris révélatrice d’un passé lointain ?

Lorsqu’on cherche de cette façon on finit toujours par trouver quelque chose de compromettant, tout au moins d’embarrassant. Et ce qui a été recherché et trouvé va inéluctablement, même par le minuscule détail, être opposé à la personne pour prouver que ses actes ne correspondent pas à ses discours. 

On peut s’imaginer l’opportunité à nuire que cela serait pour les adversaires ou tout simplement les gens qui ont une animosité ou un contentieux avec la personne dont les informations ont été dévoilées. Nous l’avons déjà précisé seuls les faits délictueux ou criminels peuvent trouver une légitimité à être divulgués, c’est même un délit que les dissimuler. 

Je partage tout à fait la déclaration de l’avocat de Benjamin Griveaux qui affirme que nous avons basculé dans un autre monde que celui de la civilisation, c’est à dire vers le monde du retour à la barbarie.

Il faut rappeler encore une fois que le droit n’est pas la morale car cette dernière relève strictement des normes que les sociétés ont édifiées et des choix privés. Et ces normes ne peuvent être discutées que par des débats politiques, y compris au terme de rudes batailles, souvent violentes lorsqu’il s’agit de questions sociétales, aux fins de les inclure éventuellement dans les lois républicaines.

Il faut rajouter que beaucoup ont fait une surprenante confusion car ils ont cru que le candidat évoquait la morale au sens de leur mauvaise interprétation alors qu’il s’agissait de la défense de la morale républicaine, une toute autre chose.

Je ne suis ni l’avocat de Benjamin Griveaux ni ne milite à ses côtés. J’ai cependant une conception du droit qui me fait toujours douter de la probité de ceux qui brandissent la morale pour  jeter les victimes en pâture au public. Surtout lorsque la justice n’a pas encore rendu son verdict sur l’illégalité ou la conformité aux lois des actes en question.

2. Internet, un univers sans régulation

Des personnes, y compris de très jeunes, ont connu le martyre, voire ont été poussées au suicide. Des personnalités politiques subissent un harcèlement et des menaces d’une violence jamais égalée. Des appels sont lancés de partout afin de brûler ou de détruire leurs permanences. La démocratie est en grand danger si ce merveilleux outil n’est pas régulé comme n’importe quel média. 

Si nous prenons le cas de la France, la loi de 1881 régit les conditions dans lesquelles la presse (à cette époque c’était l’unique média) dispose de libertés et assume des responsabilités. Bien entendu, ces libertés ont mis plus d’un siècle à s’installer véritablement. De nos jours cette liberté est quasiment complète, même le blasphème n’existe plus dans le droit français, c’est dire l’espace qui est ouvert à la libre parole.

Depuis la mise en œuvre de cette loi fondatrice, la charge de la responsabilité est assumée  par le directeur de la publication qui doit veiller à ce que les écrits ne soient pas en contradiction avec les lois.

A Paris, c’est la 17ème chambre correctionnelle qui est en charge de ce type de délits. Il y a donc bien une régulation par la mise en accusation possible de tout dérapage dans les médias traditionnels. Pourquoi Internet est-il exclu de cette condition légale ? 

Ces géants n’ont même pas un directeur de publication identifiable dans sa personne comme dans son lieu de résidence. C’est un monde hors de contrôle dont on perçoit les tentacules en tous lieux mais jamais la tête.

Dans ces conditions, les abus sont en train de détruire toute la fantastique avancée technologique et humaine d’Internet. Il est urgent que la régulation puisse enfin intervenir.

Quant à l’anonymat, fléau considérable qui cache les courageux anonymes qui répandent fausses nouvelles, accusations et menaces, la question est un peu plus mesurée de ma part. L’anonymat a toujours existé dans les publications traditionnelles, pour des raisons diverses, souvent légitimes. Il a été le moteur des libertés prises par certains contre la censure des régimes autoritaires ou l’oppression de la société.

Car au-delà de l’État autoritaire, on peut concevoir qu’une personne ne souhaite pas dévoiler son véritable patronyme et ses orientations diverses.

Mais alors face aux dégâts sur Internet que l’anonymat provoque, que faire ? Il n’y a pas de solution miracle mais il n’est pas normal que les plateformes de diffusion, au regard de ce qui a été dit précédemment, ne contrôlent pas la réelle identité de celui qui utilise l’anonymat pour la dévoiler strictement en cas d’investigation légitime des autorités policières et de justice. Cela n’a jamais été contradictoire avec la démocratie, c’est même sa protection que d’avoir ce types de  garde-fous

3. Le faux argument de l’impossibilité technique du contrôle 

Depuis le début l’argument avancé est celui de l’impossibilité de contrôler les dizaines de millions de flux à travers le monde dans une complexité où les individus peuvent se camoufler dans des réseaux internationaux opaques, de la même manière que les comptes offshore dissimulés.    

Cet argument est très vite tombé avec plusieurs exemples qui sont, hélas, aux antipodes de la démocratie, c’est le cas de la Chine ou lorsque les grands États veulent un contrôle sur certains dossiers et activités. Lorsqu’ils ont voulu contrôler le net les moyens techniques leur ont été possibles.

Ce n’est bien évidemment pas l’exemple à retenir mais il est significatif pour démontrer qu’Internet n’est pas un monde entièrement incontrôlable. Pourquoi ce que peut faire techniquement une dictature ou un acte malveillant, une démocratie ne pourrait le faire au service du bien et de la liberté des citoyens ?

En conclusion nous nous apercevons qu’Internet est progressivement en train de créer la mort de la démocratie alors qu’il en est un fantastique outil de développement, de connaissance et de culture.

Nous apprenons d’ailleurs, dans les dernières révélations que certains pays, non démocratiques, ont pris l’habitude de déstabiliser les démocraties par l’intermédiaire de manipulations sur le réseau mondial, et ne seraient pas entièrement innocents dans cette affaire Griveaux (le conditionnel s’impose). 

Les révélations sur un personnage d’origine russe, sulfureux dans son parcours et poursuivi pour actes de violence en France sont assez troublantes. Il a avoué être l’auteur de la diffusion des images pour montrer à la société la contradiction entre les actes de Benjamin Griveaux et ses déclarations de campagne. Il y a quelque chose de peu convaincant dans cette histoire rocambolesque.

En conclusion, on peut affirmer que la religion de la transparence absolue qui ne laisse aucun espace à la part d’ombre des citoyens, à leur vie privée et à leurs contradictions, c’est la parfaite définition du fascisme.

 

Auteur
Boumediene Sid Lakhdar, enseignant

 




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