Voilà la librairie Cheikh devenue le symbole de l’arbitraire administratif ! Cette vénérable institution, véritable sanctuaire de la pensée à Tizi-Ouzou, a récemment été fermée par les autorités pour avoir organisé une vente-dédicace « sans autorisation préalable ».
Ce prétexte kafkaïen confirme les dérives d’une administration qui s’arroge le droit de régenter la vie culturelle sous couvert de réglementations absurdes. Nous sommes témoins d’une tragédie où la bureaucratie se fait ouvertement censeur, étouffant l’initiative et l’esprit critique au nom de normes obsolètes et malveillantes.
Un règlement qui asphyxie la culture
Selon les autorités, organiser une dédicace relève de l’exclusivité des « cafés littéraires »1, une activité curieusement régie par la réglementation relative aux débits de boissons ! Voilà donc comment le système algérien réduit un événement littéraire à un commerce alimentaire. La vente de livres, acte par essence noble et intellectuel, est subordonnée à un cadre législatif qui frôle l’absurde.
La nomenclature des activités économiques (NAE) attribue aux librairies la simple fonction de vendre des fournitures et des publications. Organiser un événement culturel ? Pas question, sauf à passer par le statut de « café littéraire » et ses obligations de soumission à la DRAG.
Cette situation illustre une manie bien algérienne : détourner l’esprit de la loi pour mieux paralyser la société. Comme un héritage du parti unique, ce cadre légal, conçu pour normaliser, devient une arme contre la diversité et l’émergence d’espaces culturels indépendants.
La mainmise bureaucratique : un réflexe colonial !
La fermeture de la librairie Cheikh doit être replacée dans un contexte plus large : celui d’un système postcolonial qui s’est perpétué dans ses méthodes. La centralisation autoritaire, couplée à une gestion clientéliste de la société, reflète une persistance des structures héritées de la colonisation.
L’administration, bien loin de faciliter l’épanouissement culturel, s’emploie à maintenir un contrôle étouffant. Ce despotisme, où chaque activité doit être approuvée, validée et parfois monnayée, étouffe l’élan créatif.
Cette fermeture coïncident avec la nomination d’Aboubakr Essedik Boucetta à la tête de la wilaya. Serait-ce là un excès de zèle de sa part, ou un piège tendu par ses propres services ? La question, bien que légitime, importe peu. Ce qui est sûr, c’est que l’administration algérienne excelle dans l’art de verrouiller toute initiative.
Cultiver l’oubli
Le drame dépasse la librairie Cheikh : il concerne une société entière, où la culture est reléguée au rang de préoccupation secondaire. En associant les librairies aux débits de boissons et en exigeant d’improbables autorisations pour le moindre événement, La Régence cultive une inertie dévastatrice.
Que reste-t-il alors aux promoteurs de la culture ? Peut-être devraient-ils se recycler en gérants de « cafés littéraires » où le lait de chamelle et le thé ottoman au jasmin seraient les seules attractions autorisées ?
Résistance
Face à ce marasme, il nous appartient, il appartient aux citoyens, aux écrivains, et aux libraires de s’unir pour réclamer un cadre législatif qui valorise et protège la culture. La bureaucratie algérienne n’est pas une fatalité, mais une construction humaine qu’il est possible de déconstruire.
Cette affaire doit servir d’électrochoc : la culture ne peut et ne doit pas être sacrifiée sur l’autel de l’absurde administratif.
Qu’importe les codes, les réglementations alambiquées et les intimidations, la culture, toujours, trouve ses chemins. La fermeture d’une librairie est une alerte, mais elle est aussi un appel aux consciences : les livres vivront et avec eux, l’esprit libre ! Que ceci soit écrit et accompli !
Mohand Bakir
1 Le commerce « Café littéraire », pas les initiatives citoyennes qui, elles, sont proscrites.