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Affaire des crânes : les pleureuses de la mémoire ont perdu la leur

TRIBUNE

Affaire des crânes : les pleureuses de la mémoire ont perdu la leur

Beaucoup d’intellectuels algériens s’offusquent de crânes d’êtres humains assassinés au 19ème siècle et exposés dans des musées français. Ils ne se sont jamais offusqués de la collection de crânes des assassinés par le régime militaire algérien depuis 1962. Ces pleureuses de la mémoire ont en une qui est très sélective.

Mais comme on va encore me reprocher d’être violent envers le régime algérien sans apporter d’élément probants qui puissent amener à la réflexion, voici une tentative d’expliquer le sujet sous son angle strictement juridique. Je reviendrai à ma position plus politique au dernier paragraphe.    

Un sujet aussi délicat peut être pris par le public et les commentateurs sous l’angle moral ou politique, c’est inévitable. Mais pour les raisons que je viens à peine d’exposer dans le chapeau introductif, je rappelle la position générale du droit en de pareils domaines.

Le droit n’est pas la morale même si cette dernière l’influence depuis des siècles. Mais une fois la morale incluse dans le droit car voulue démocratiquement par la décision politique majoritaire, c’est lui qu’il faut invoquer et aucune autre justification. 

La morale est laissée à l’éducation religieuse personnelle et familiale, les juges ne s’occupent que des textes de droit ou vont trouver une interprétation strictement d’essence juridique si ces textes sont silencieux ou imprécis.

Il se fait, par le hasard d’un projet que nous devions entamer avec des étudiants préparant le diplôme d’Ortho-prothésiste, en 2009/2010, que j’ai du compiler un certain nombre de références juridiques concernant une exposition itinérante, très médiatisée à l’époque, « Our Body ».                                                                 

Cette exposition mettait en scène des corps humains dans des situations les plus diverses comme pratiquer l’équitation entre autres nombreuses autres postures de la vie quotidienne. Elle fut finalement annulée mais occasion fut donnée à ces étudiants de faire un point sur l’objet juridique qu’est le corps humain après la mort.

Une genèse datée du siècle des lumières

L’étude des restes humains, essentiellement sous leur forme d’ossements (les momies sont un tout autre sujet) sont le fait du XVIème siècle, à une époque où l’intérêt de la science se fait jour. Disséquer et étudier le corps de l’Homme était considéré depuis des siècles comme un sacrilège par les autorités religieuses.

Le siècle des Lumières est donc la première étape d’un long processus qui a vu la montée de l’intérêt de la conservation dans les musées de biens archéologiques à côté des conservations dans les écoles de médecine.                                                                                                                                            

La connaissance de l’anatomie ne serait pas ce qu’elle est actuellement si des précurseurs n’avaient eu l’idée de l’étudier directement par les restes humains, particulièrement dans les ossements. Aujourd’hui dans tous les collèges et lycées personne ne s’étonne de la présence d’un squelette (en matière non humaine) dans certaines classes. Le fameux « Oscar » baptisé ainsi par les carabins des facultés de médecine.

C’est l’extraordinaire progrès de la science (et de la lutte contre l’hégémonie du dogme religieux) qui va multiplier les conservations et l’étude des restes humains. Ce qui posait ultérieurement un problème d’éthique religieuse s’est transformé en un véritable questionnement juridique pour un sujet si sensible qui touche l’être humain dans ce qu’il a de plus identifiant, en dehors de sa personnalité, c’est à dire son corps.

Que disent les textes ?                                    

En France aucun texte précis n’aborde véritablement la question des restes humains, c’est indirectement que la base juridique peut être appréhendée dans un corpus qui, nous allons le voir, n’est pas aussi rigide qu’on pourrait le croire au vu du sujet concerné. En fait il s’agit plus d’un grand embarras que d’une réponse clairement exprimée, en tout cas au regard du droit habitué aux rigoureuses prescriptions légales.

C’est à travers la notion de la dignité humaine qu’a été trouvé l’angle juridique d’approche, tout de même interprété d’une manière très prudente. Ce principe de dignité est invoqué dans la constitution et rappelé dans l’article 16-1-1 du Code civil.

Sur cette base et non sur des textes invoquant clairement les restes humains, la Cour de cassation avait confirmé l’interdiction de l’exposition « Our Body ». 

Mais il faut remettre cette décision dans le contexte de l’époque, on soupçonnait que ces corps fussent des restes d’opposants politiques de la République Populaire de Chine. La Cour de cassation a ainsi trouvé le biais de « l’indécence » à vouloir utiliser ces corps à des fins commerciales.

Les juristes restent cependant sur leur faim car ils se demandent quelle aurait été la décision de la Cour si l’exposition était gratuite ce qui serait aller au fond du questionnement juridique.

Une jurisprudence historique qui privilégie le temps passé

Du propos précédent découle le fait qu’en cette matière c’est la jurisprudence qui va essayer de combler les vides et imprécisions des textes.

Dès 1891 une décision de la Cour d’appel de Bordeaux affirme : « La famille de la dépouille a un droit de propriété sur elle ». On peut, au passage, préciser que le défunt peut selon ses volontés faire don de son corps à la science, cela est entendu depuis longtemps par des textes comme par la jurisprudence. Le corps appartient donc à celui qui l’incarne et qui pourra autoriser son leg post-mortem.

La plupart du temps, une fois l’utilisation scientifique terminée les restes sont inhumés ou incinérés d’une manière anonyme.

La jurisprudence va introduire un élément très important qui sera l’une des bases de l’évolution de la doctrine à ce sujet. Elle considère que lorsqu’un temps assez long s’est passé et que les dépouilles deviennent non reconnaissables, des tiers peuvent utiliser ces restes à des fins commerciales ou d’exposition publique.

C’est ainsi que fut reconnue aux découvreurs la propriété de Ötzi, communément appelé « L’homme des glaces ».

Cependant si cette position est assez partagée dans de nombreux pays, le droit français rajoute une considération de qualification. Il considère les restes non pas comme des choses ordinaires mais comme des « objets hybrides ». Cela veut dire qu’ils ont des droits sans atteindre ceux des personnes physiques vivantes.

Encore une fois, lorsque le droit est gêné et ne peut prendre une décision tranchée, il a recours à des subterfuges que les juristes connaissent bien, nous y reviendrons.

On se souvient que l’embarras avait été identique pour la première visite de Toutankhamon en France, raison pour laquelle fut invoqué hypocritement l’excuse de l’étude scientifique. 

Mais les restes sont aussi un patrimoine culturel

Et comme si cela ne suffisait pas dans la confusion, le Code du patrimoine français prévoit que les restes humains peuvent concerner un « intérêt public » lorsqu’ils ont un intérêt archéologique et qu’ils sont les témoins d’une partie de l’histoire de l’humanité.

Certains peuvent mêmes être considérés comme « monuments historiques » et bénéficier d’une protection autant que d’un financement pour leur bonne conservation.

Mais comme le principe de dignité des corps est toujours opposable après la mort, comme nous l’avions affirmé, un certain nombre de principes éthiques ont du être édictés. C’est le cas du Musée de l’Homme qui, par son comité éthique, met une limite pour l’interdiction d’exposition de fœtus, d’enfants, de corps nus ou, comme précisé antérieurement, de corps identifiables.

Au niveau international le Code de déontologie du Conseil international des musées (ICOM) affirme que les restes humains sont des biens culturels « sensibles ». Nous retrouvons là l’embarras très classique du droit lorsqu’il faut attribuer des droits sans pourtant les aligner avec celui des vivants. Ce fut le cas des « objets hybrides » dont nous avions déjà mentionné la qualification.

J’enseigne à mes étudiants deux exemples de cette « zone grise » lorsque j’aborde la question de la personnalité juridique. Celui des animaux auxquels la loi confère la qualification « d’êtres sensibles » qui leur donne un statut autre que celui des objets meubles au titre du droit précédent sans aller jusqu’à leur accorder la personnalité juridique de l’être humain vivant (ce que réclament de nombreuses associations de défense des animaux).

Chacun aura deviné pourquoi cet embarras du doit. C’est qu’il se cache derrière celui-ci l’épineuse  question de l’abattage des animaux et de leur consommation, un débat qui est très présent actuellement. Les autres points du débat, comme les corridas ou les maltraitances dans la mise à mort dans les abattoirs sont relativement plus faciles à résoudre et commencent à l’être. 

Le second cas que j’évoque auprès de mes étudiants est le statut juridique du fœtus. Toujours par le même embarras la jurisprudence lui a accordé la position intermédiaire d’un « être en devenir ». Si la jurisprudence ou les textes étaient allés plus loin, nous voyons très clairement ce que cela veut dire pour la question de l’avortement.

Nous venons donc de montrer combien le droit était mal à l’aise pour ces questions qui touchent le plus souvent à la dignité humaine et aux principes de civilisation du moment qui sont de plus en plus exigeants. À cela s’est rajouté, depuis quelques décennies, la montée d’une autre réalité qui  pose une difficulté supplémentaire à toutes celles invoquées précédemment

La question des demandes de restitution

Avec cette nouvelle donne, nous nous rapprochons dons donc de notre histoire de crânes rapatriés après la demande insistante de l’Algérie.

Tout le monde se doute que ces exigences de restitution sont le fait des territoires anciennement colonisés. Les décolonisations sont récentes au point de vue relatif du temps historique mais c’est toujours ainsi que les choses se passent, il faut quelques générations pour que les demandes se réveillent, pour des raisons plus ou moins avouables.                         

Cette question juridique avait été assez bien gérée par des conventions internationales en ce qui concerne les œuvres d’art (assez bien signifie que la question suscite en soi des animosités bien plus explosives qu’elles ne sont exprimées dans la réalité pour des raisons d’apaisement diplomatique et  d’intérêts commerciaux).

L’ICOM, l’organisation internationale des musées, va se comporter comme ce que le lecteur a compris depuis le début de l’article , c’est à dire avec une extrême prudence de diplomate. L’organisation recommande que « Le musée doit répondre avec diligence, respect et sensibilité aux demandes de retrait, par la communauté d’origine des restes humains…. ». On ne peut être plus diplomate et ne rien dire pour ne fâcher personne que cette recommandation qu’on devrait enseigner dans les formations des diplomates. Plus prudent et édulcoré comme prise de risque, c’est un chef-d’œuvre.

Ain on peut citer de nombreux cas de restitution comme celle des têtes maories, initialement conservées au Muséum d’Histoire naturelle de Rouen, au gouvernement de la Nouvelle-Zélande. Et de biens d’autres exemples.

Le cas des crânes rapatriés en Algérie

Il est temps maintenant, après un gros effort, de retourner à ma profonde opinion sur cette histoire. Ce sera très court car je n’ai pas pour habitude de commenter les décisions du régime militaire sous l’angle mémoriel ou juridique. D’une part je ne suis pas comme de nombreux intellectuels algériens, des chroniqueurs  du régime militaire. Je ne dissèque pas ces monstres comme la science pour les étudier.                                                                                                         

Je dirais juste que je serais « explosé de la tête » si je tombe dans ce vieux et grossier piège de la mémoire et des larmes d’un régime militaire. D’ailleurs, pourquoi les généraux se lancerait-ils dans l’importation des crânes, le stock en est rempli dans leurs consciences.

On pourrait également dire, mais je n’oserais pas, qu’enfin c’est le tour de la France de constater la fuite des cerveaux. Mais je n’oserais pas.

Auteur
Boumediene Sid Lakhdar, enseignant

 




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