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Ahcène Mezani : du grand art et une fin tragique

Impérieuse culture du terroir 

Ahcène Mezani : du grand art et une fin tragique

Ahcène Mezani fait partie de ces géants qui ont donné à la chanson kabyle ses lettres de noblesse. On se souviendra de lui, non seulement pour le duo magistral avec Aït Farida dans « Fehm imanik » (*), ou encore le premier interprète de « Adh iveddel zemane » devenu un classique du genre que même Cheikh El-Hasnaoui et Idir ont chanté, mais aussi pour bien d’autres succès.

Ahcène Mezani, c’est un destin dramatique qui prouve que le talent ne se conjuguait pas toujours avec opulence et embonpoint, en ces années de disette générale pour nos compatriotes. On chantait sans savoir de quoi serait fait demain. Le parcours atypique de ce talentueux artiste est là pour démontrer que l’art ne vous met jamais à l’abri de revers inattendus. 

Après 30 années de difficile labeur, notamment en tant qu’éboueur à Paris, Ahcène Mezani est carrément expulsé de France comme un vulgaire intrus pour errer dans les rues d’Alger quasiment en vagabond dans une solitude et une ingratitude sidérales !  

Il aurait passé ses derniers jours comme gardien de chantier à Larvaâ Nath Iraten. 

Voilà comment on a laissé sombrer celui qui nous aura laissé en héritage une grande part de notre patrimoine culturel !

Petite anecdote : son admiration pour El-Anka l’avait, un jour, poussé à l’accoster en pleine Casbah. Ce que notre Cardinal ne supportait pas, au point de le renvoyer comme un malpropre. Mais quand il le revoit à nouveau attablé dans un café de quartier, il lui offre un petit café-crème avant de s’excuser. 

Biographie

Ahcène Mezani est né le 15 mai 1922 au village de L’hammam, dans la commune de Larbâa-Nath-Iraten. Elève d’Iguerbouchene et virtuose instrumentiste dans l’orchestre de Missoum. Après Slimane Azem qui a chanté avec Bahia Farah à l’orée des années 1950, Il fut l’un des artistes pionniers à avoir introduit dans la chanson algérienne de l’émigration l’interprétation en duo, avec Aït Farida (*). 

Il émigra en France dès l’âge de 19 ans, en 1941. 

La vieille tradition de Cheikh M’hamed El-Anka du chaâbi algérois et son istikhbar dominent dans ses compositions. Eboueur à la ville de Paris, il compose en 1956 l’une des plus belles chansons sur la révolution algérienne, riche de symboles : « Yélis N’chérif ».

Deux autres chansons enregistrées en 1957 allaient connaître également un succès mérité : « Zwadj ighorva » (dont le thème aborde les problèmes consécutifs aux premiers mariages mixtes dont il a vécu les déchirements). Après l’indépendance, il développe des thèmes restés à ce jour inexploités dans la chanson : « Nadrit anfas » ainsi que « Ruh ateghred ruh » (Instruis-toi), dans laquelle le chanteur se fait éducateur et exhorte à l’instruction, au savoir qui libère l’esprit. C’est ce titre que nous avons choisi de vous faire découvrir.

Expulsé de France en 1971, il se retrouve errant à Alger dans une chambre d’hôtel à la rue Tanger. Quelques amis, comme Cheikh Nourdine et Oultache Arezki lui viennent en aide. 

En 1974, son frère aîné le ramène au village natal. Il succombe à un cancer de la gorge le 24 septembre 1985.

Le titre « Ruḥ ad teɣṛeḍ ruḥ » (va t’instruire) reproduit ci-après est un appel contre l’illettrisme ambiant de l’époque. D’emblée Dda Ahcène assène :

Va donc t’instruire va 

Que tu sache au moins écrire

L’instruction t’apprend

C’est un investissement…

C’est dire les frustrations que pouvait susciter l’analphabétisme. En Kabylie, plus qu’ailleurs, nos aînés avaient compris que seule une éducation de qualité pouvait nous offrir des lendemains meilleurs et nous éloigner de ces collines ingrates. Et, ils avaient bien raison ! Ce qui frustrait le plus nos émigrés, c’est d’être éloignés de leurs familles et ne pas pouvoir communiquer directement par voie épistolaire.

Pour la petite histoire ; dès nos premières années de scolarité, les femmes du village affluaient pour nous solliciter afin de rédiger des lettres à leur maris exilés. Quand bien même nous le faisions dans un français approximatif, mais nous le faisions quand même. Et, ce furent pour nous, de sacrés exercices de traduction. L’introduction de ces missives était bien rodée « Je t’écris cette lettre pour te faire savoir de mes nouvelles, que la santé est bonne, en espérant que toi de même… ».

Le plus drôle, c’est que quand, enfants, nous nous sommes retrouvés en France, ce furent les mêmes sollicitations de la part des maris qui, tout comme leurs épouses, ne savaient ni lire, ni écrire.

Ruḥ ad teɣṛeḍ ruḥ

Ruḥ ad teɣṛeḍ ruḥ

Ruḥ ad teɣṛeḍ ruḥ

Ruḥ ad teɣṛeḍ ruḥ

Isin meqqaṛ ad tketbeḍ

 

Leqṛaya temmal

Tinna d ṛas lmal

Xḍu-k i-lehbal

Aqlik aṭṭas i-t-ɣefleḍ

 

Tett selik lewḥal

Mačči d-lmuḥal

Kulci s-lmijal

Ma tsebb beḍ ad ad-tawḍeḍ

 

Ruḥ ad teɣṛeḍ ruḥ

Ruḥ ad teɣṛeḍ ruḥ

Ruḥ ad teɣṛeḍ ruḥ

Isin meqqaṛ ad tketbeḍ

 

Ma teɣriḍ lif

Yis att zegreḍ asif

Ad tenğuḍ g-lḥif

Mat ɛettbeḍ ad att ɣelteḍ

 

Ccetwa anebdu kif kif

Ddunit d-lexrif

Tettɛic-iḍ ɛel kif

Andda teddiḍ att selkeḍ

 

Ruḥ ad teɣṛeḍ ruḥ

Ruḥ ad teɣṛeḍ ruḥ

Ruḥ ad teɣṛeḍ ruḥ

Isin meqqaṛ ad tketbeḍ

 

Γeṛ ṣṣeḥi lsas

Ad tiliḍ labas

Baṛka-k tteḥwas

Aqlak Agma t-ɛeṭleḍ

 

Wḍu-k i-lexdeɛ d-Isas

Ak yekkes l-weswas

L-heddṛa-w cfu felas

Γer lxiṛ ad tefɣeḍ

 

Ruḥ ad teɣṛeḍ ruḥ

Ruḥ ad teɣṛeḍ ruḥ

Ruḥ ad teɣṛeḍ ruḥ

Isin meqqaṛ ad tketbeḍ

(*) https://lematindalgerie.comahcene-mezani-et-ait-farida-f-hem-iman-ik-lechange-bouleversant

 

Auteur
Kacem Madani

 




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