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jeudi 19 juin 2025
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Ahmed Hidouche : un regard lucide sur l’histoire d’une nation blessée

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Ahmed Hidouche Yacine fait partie de cette génération de diplômés algériens formés après l’Indépendance, qui ont rapidement accédé à des postes de responsabilité. Titulaire d’un magister en management obtenu en France en partenariat avec HEC Montréal, il a mené une carrière riche dans l’industrie, la formation et la gestion publique. Aujourd’hui à la retraite, il consacre son temps à l’écriture.

Dans Survivances – Mémoires d’un anonyme, son premier roman, il explore les souvenirs d’une enfance marquée par les violences de la guerre d’Indépendance, les silences familiaux, les fractures politiques, mais aussi la dignité populaire et la quête de liberté. À travers ce récit intime et universel, il rend hommage aux anonymes de l’Histoire.

À l’occasion de la parution de ce livre bouleversant, il revient sur son parcours, ses motivations d’écriture, et son regard sur l’Algérie d’hier et d’aujourd’hui.

Le Matin d’Algérie : Dès le titre, vous revendiquez une forme d’effacement personnel – “Mémoires d’un anonyme”. Pourquoi ce choix, alors que votre récit est profondément ancré dans une trajectoire singulière ? Est-ce une manière de dire que votre histoire est aussi celle de beaucoup d’autres ?

Ahmed Hidouche Yacine : Ce titre est effectivement un hommage à toutes celles et ceux qui, comme moi, ont vécu cette époque sans avoir eu la chance de voir leur histoire pleinement racontée. Je me considère comme un « anonyme » parce que mon récit n’est pas unique : il est le miroir de tant de parcours semblables, de vies traversées par les mêmes épreuves, les mêmes douleurs, mais aussi les mêmes espoirs. L’effacement personnel est volontaire pour souligner que mon histoire n’est pas seulement la mienne, mais celle d’un peuple, d’une génération. C’est une manière humble d’inscrire mon témoignage dans un collectif souvent oublié ou marginalisé.

Le Matin d’Algérie : Vous avez grandi dans une Algérie coloniale déchirée par la guerre, puis participé à la reconstruction du pays en tant que cadre formé à l’étranger. Comment cette double appartenance – à une époque et à une génération – a-t-elle nourri votre regard critique et votre désir de transmission ?

Ahmed Hidouche Yacine : Cette double appartenance m’a placé à un carrefour complexe entre mémoire et modernité, entre héritage et avenir. Grandir dans une Algérie en guerre a profondément marqué ma conscience, mes valeurs, mon engagement. Puis, partir à l’étranger pour ma formation a ouvert mon regard sur le monde, sur les possibles, mais aussi sur les failles.

Ce parcours m’a donné la distance nécessaire pour analyser sans concession les défis du pays, mais aussi la responsabilité de transmettre ce que j’ai vécu et appris. Mon regard critique est donc nourri à la fois par l’expérience directe de la colonisation et par la capacité à questionner le présent pour bâtir l’avenir.

Le Matin d’Algérie : Votre enfance, traversée par les violences de la guerre, est l’un des fils rouges du livre. Comment trouve-t-on les mots justes pour dire l’indicible sans tomber dans le pathos ou le règlement de comptes ?

Ahmed Hidouche Yacine : C’est un exercice délicat. Trouver les mots justes demande d’abord de respecter la vérité des émotions sans chercher à manipuler le lecteur par le pathos excessif. Il faut raconter avec simplicité, authenticité, sans excès, en laissant parfois parler le silence et les non-dits. Ce n’est pas un règlement de comptes mais une volonté de témoigner pour éclairer, pour transmettre. Parfois, l’indicible se raconte dans ce que l’on ne dit pas, dans les espaces laissés vides, dans les sensations et les gestes. Le défi est de rester fidèle à l’expérience vécue, sans trahir ni enjoliver.

Le Matin d’Algérie : Vous avez exercé des fonctions importantes dans l’industrie, la formation et la gestion publique. Que vous a apporté l’écriture que la vie professionnelle, aussi riche soit-elle, ne vous permettait pas ? Est-ce une forme de revanche ou de réconciliation ?

Ahmed Hidouche Yacine : L’écriture m’a offert un espace de liberté et de réflexion que la vie professionnelle ne pouvait pas toujours permettre. Ce n’est ni une revanche ni un simple exutoire, mais plutôt une forme de réconciliation avec moi-même, avec mon passé, avec mon pays. Par l’écriture, je peux donner une voix à ce qui a été tu, transmettre des mémoires parfois occultées, et partager une part intime de mon histoire. C’est un acte de reconstruction personnelle et collective, une manière de donner sens à ce que j’ai vécu et contribué à construire.

Le Matin d’Algérie : Dans Survivances, vous abordez des thèmes puissants : la mémoire blessée, les promesses de l’indépendance, les désillusions, mais aussi les petits gestes de résistance et d’humanité. Que souhaitiez-vous préserver dans cette mémoire : des faits, des émotions, des traces ?

Ahmed Hidouche Yacine : Je souhaitais avant tout préserver une mémoire vivante, c’est-à-dire non seulement des faits, mais surtout les émotions et les traces humaines qui donnent à ces faits leur profondeur et leur portée. La mémoire blessée contient des douleurs qu’il faut reconnaître, mais aussi des actes de courage, des gestes d’humanité souvent oubliés. Je voulais que le lecteur ressente cette complexité, cette richesse, pour qu’il comprenne que l’histoire n’est pas seulement une succession d’événements, mais une expérience humaine, multiple, parfois contradictoire, mais toujours porteuse d’enseignement.

Le Matin d’Algérie : Votre livre semble profondément habité par les silences – ceux des familles, de l’État, de l’Histoire officielle. Est-ce pour combler ces silences que vous avez écrit ? Et que nous disent-ils, ces blancs dans le récit national ?

Ahmed Hidouche Yacine : Cette interrogation rejoint votre question relative à la persistance des émotions dont les traces sont gravées dans le marbre de l’histoire de l’Algérie indépendante. L’écriture n’a pas vocation ni à masquer des silences ni à les combler. Le lecteur est en mesure de lire entre les silences mais aussi entre les bruissements du verbe et des mots. Il est toujours des endroits secrets, des jardins secrets dans lesquels tout un chacun, et donc tout auteur de quelque production artistique que ce soit, garde en lui-même des vérités, des fantasmes, des inventions imaginaires qu’il dévoile au moment qui lui semble opportun, parfois par inadvertance ou encore pour se faire plaisir ou séduire à qui il veut plaire. Dans mes prochains livres, j’aurai à dévoiler des vérités et combler quelques silences qui ne manqueront pas de surprendre.

Le Matin d’Algérie : L’écriture de la mémoire peut être un exercice périlleux : entre fidélité au souvenir et mise à distance, comment avez-vous trouvé votre ton, votre rythme, votre posture d’auteur ?

Ahmed Hidouche Yacine : Je n’ai, hélas, pas consommé tout mon réservoir de souvenirs et de mémoires. Bon nombre d’événements vécus ne sont pas relatés alors qu’ils comportent des stigmates méritant d’être connus, des histoires douloureuses méritant de ne pas tomber dans l’oubli. Cet ouvrage apporte le témoignage d’un regard d’un enfant ayant grandi prématurément et qui, en tant qu’adulte au crépuscule de son existence, s’empresse de léguer cette part de vérité qui a marqué l’histoire de notre pays. Une part de vérité tirée d’expériences et d’épisodes authentiques et vécus, même si le narratif est incapable de relater toute la portée du contexte dans lequel ces événements s’étaient produits.

Le Matin d’Algérie : Le livre semble à la fois personnel et collectif, intime et politique. L’avez-vous conçu comme un acte citoyen, une manière de contribuer au récit commun autrement que par l’engagement classique ?

Ahmed Hidouche Yacine : Pour tout vous dire, ce livre ne m’appartient pas en totalité. Il est la propriété du peuple algérien, il est le reflet vivant de nos martyrs. Il est aussi le creuset dans lequel pourraient se reconnaître positivement les autres acteurs de cette confrontation ayant opposé les colons et les indigènes. Y compris les pieds-noirs et les enfants des harkis, les appelés militaires qui, tous, ont laissé derrière eux, en Algérie, une partie d’eux-mêmes.

Vous avez parfaitement raison. Sauf qu’il est plus collectif que personnel. Il est bien entendu politique car comme me l’avait dit notre illustre écrivain Mouloud Mammeri en personne, alors que j’étais encore lycéen, être apolitique est en soi déjà une position politique. Pour être suffisamment clair, c’est un message qui me transcende et s’adresse tant aux vivants qu’aux générations à venir car l’objectif est de faire comprendre que nous vivions dans la misère, la dictature d’une colonisation qui nous considérait comme des sous-hommes, des personnes assujetties à un code abject de l’indigénat alors que les départements de l’Algérie étaient partie intégrante de la France et que les Algériennes et les Algériens, dans leur intégralité, devaient disposer des mêmes droits et des mêmes obligations que les citoyens français. S’il est des velléités de colonisation de par le monde, elles s’aviseraient à ne pas déconsidérer les peuples colonisés car les germes de la révolte poussent à grande vitesse dans les esprits des colonisés.

Le Matin d’Algérie : On sent dans votre prose une grande sobriété, presque une retenue. Refusez-vous la tentation du spectaculaire, du récit héroïque ? Est-ce une manière de vous opposer à la glorification ou à l’amnésie ?

Ahmed Hidouche Yacine : Si vous avez cru entrevoir un rejet de la glorification ou une amnésie quelconque, c’est que je n’ai pas su donner à mon message le contenu que je voulais lui attribuer. Ce n’est pas la mise en valeur d’une attitude d’un enfant, d’une bande de gamins désorientés par la guerre. C’est au contraire un bout du récit glorieux du peuple algérien face à la colonisation. Un peuple qui, avec des fusils archaïques, est arrivé à bout dans sa lutte contre une puissance militaire autrement mieux armée. C’est en fait le déroulement d’une insurrection générale alimentée par un sentiment d’adhésion et d’appartenance à une cause révolutionnaire tout à fait héroïque.

Ma sobriété dans le style ne traduit pas une volonté de minimiser ou d’effacer cette dimension héroïque. Au contraire, elle est une manière de laisser parler l’essentiel sans le déformer. Le spectaculaire, souvent amplifié dans certains récits, risque parfois de masquer la complexité et la vérité profonde des événements. En évitant l’exagération et le sensationnel, je cherche à rendre justice à cet héroïsme discret, populaire, parfois humble, mais d’une puissance morale immense.

Je refuse la glorification à outrance qui peut devenir un mythe déformant, tout comme je combats l’amnésie qui efface ces luttes fondamentales. Mon écriture cherche à préserver la mémoire dans sa vérité, dans ses nuances, dans ses douleurs mais aussi dans ses triomphes modestes. C’est une forme d’hommage sincère, loin des effets de style, pour que cette histoire continue d’être vivante, authentique et digne.

Le Matin d’Algérie : Enfin, si vous deviez adresser ce livre à une seule personne – réelle ou symbolique – qui serait-ce ? Et que lui diriez-vous à travers ces pages que vous ne pouviez dire autrement ?

Ahmed Hidouche Yacine : J’adresserais ce livre d’abord à mes enfants, mes petits-enfants, et plus largement à toute ma descendance. Ce sont eux les véritables destinataires de ce récit. À travers ces pages, je veux leur transmettre non seulement une histoire familiale, mais aussi l’âme d’un peuple, la force d’un combat et les leçons d’une époque. Je veux qu’ils comprennent d’où ils viennent, qu’ils mesurent la valeur de la liberté, et qu’ils sachent que rien n’est acquis, que cette liberté s’entretient par le courage, la vigilance et la solidarité.

Mais ce livre s’adresse aussi à tous les Algériens, présents et à venir. À ceux qui, parfois, regrettent des temps passés sans toujours en comprendre les enjeux, je voudrais dire qu’ils ont la chance inouïe de vivre dans une Algérie libre, portée par l’héritage courageux de leurs aînés. Je veux leur transmettre la fierté et le respect de ce passé, mais aussi les encourager à bâtir un avenir où le vivre-ensemble, la justice et la dignité seront les piliers.

Enfin, à travers ces pages, je m’adresse à l’Histoire elle-même, que je souhaite plus juste, plus attentive aux voix de celles et ceux qui ont vécu et souffert pour qu’elle existe.

Entretien Réalisé par Djamal Guettala  

Ahmed Hidouche Yacine Lounès Ghezali (Préface)
Survivances
Mémoires d’un Anonyme
Paru le 19 mai 2025, Essai (broché)
Editions El Amir Marseille France

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3 Commentaires

  1. Ahmed Hidouche Yacine Lounès Ghezali (Préface)
    Survivances
    Mémoires d’un Anonyme
    Paru le 19 mai 2025, Essai (broché)
    Editions El Amir Marseille France

  2. La sécurité militaire,en Algérie,a toujours été le bras armé de l’armée algérienne,comme naguère le sinistre KGB fût pour la nomenklatura soviétique.
    1917-1989,l’union soviétique.
    1962-2035,le régime algérien.

  3. jE REGRETTE MAIS CE N’EST PAS TOUTE L’ALGERIE QUI A COMBATTU LE COLONIALISME FRANCAIS.
    Plutot les Kabyles et Chaouis et rien d’autres!!!! Sachez de quoi vous parler.

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