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Ahmed Rouadjia; « N’est-il pas risible d’attribuer des propos et des intentions à une momie ? »

ENTRETIEN

Ahmed Rouadjia; « N’est-il pas risible d’attribuer des propos et des intentions à une momie ? »

Ahmed Rouadjia, professeur d’université et un des analystes qui a l’habitude d’intervenir chez nous, a donné un entretien au site Atlantico. Nous le reproduisons avec l’aimable autorisation de l’auteur.

Atlantico : Le président algérien assure qu’il quittera son poste une année après avoir été réélu, c’est à dire en 2020, ce qui le ferait rester un an de plus au pouvoir avant son départ. Cette « négociation » n’est-elle pas une forme de chantage ?

Ahmed Rouadjia : Comment peut-on venir à l’esprit qu’un président gravement malade, et durement frappé d’aphasie puisse parler et  assurer en même temps « qu’il quittera son poste une année après avoir été réélu » ? N’est-il pas risible et absurde d’attribuer des propos et des intentions à une momie ? Néanmoins, dans l’Algérie officielle, le ridicule et l’absurde ne tuent pas et font partie de la logique d’un système politique hermétiquement fermé, et donc complètement imperméable à la logique. Tout ce que l’on peut dire à propos de ce cinquième mandat « brigué » par  un Bouteflika  plongé dans un coma profond depuis 2013, c’est qu’il est voulu, manigancé par le clan maffieux et corrompu qu’il avait lui-même initié dès son arrivée au pouvoir en 1999.

Bien qu’il soit assoiffé de pouvoir et de vengeance contre tous ceux qui l’ont discrédité et obligé à s’exiler après la mort de son patron, Haouari Boumediene, en 1978, Bouteflika n’a plus la force physique ni les facultés réflexives pour savoir s’il est vivant ou mort. Il est dans le monde de l’inconnu…C’est son clan qui parle à sa place et en son nom, et c’est son clan qui négocie la prorogation indéfinie de son mandat en usant de toutes sortes de « chantage », notamment le chantage « sécuritaire », qui veut dire : c’est moi ou le déluge ! Telle est la vérité du cinquième et absurde mandat….

Les annonces sur la santé du président algérien restent très encadrées. Est-il toujours en capacité de gouverner ? Qui contrôle vraiment le pays ?

La santé plus que fragile (euphémisme) du président ressort du secret de Polichinelle. Quant à la question de savoir qui gouverne le pays et le contrôle, il n’est pas difficile de le deviner : l’armée. Celle-ci est le fer de lance du régime, et elle dispose de ressources formidables, de compétences réelles et de penseurs machiavéliques de haute volée. Avec ses services de sécurité (DRS, ex-sécurité militaire, police, renseignements divers…), l’ANP (Armée nationale Populaire) contrôle de manière efficace un territoire cinq fois plus grand que la France. L’encadrement du pays ne dépend pas du chef d’Etat, en bonne santé ou malade, mais de ce gigantesque appareil étatique aux ramifications quasi infinies

Les manifestations se multiplient dans les rues à travers tout le pays. La jeunesse manifeste son ras-le-bol quotidiennement. La jeunesse algérienne peut-elle espérer du changement malgré la corruption endémique du pays ?  

Les gigantesques manifestations du 22 février et celles qui se poursuivent en ce moment même un peu partout à travers le pays traduisent non seulement un refus indigné contre le cinquième mandat, mais aussi contre le système politique corrompu, contre la vénalité, la gabegie et le népotisme qui sont devenus une véritable gangrène.

Les clans anti-Bouteflika, issus eux-mêmes du système Etat-FLN, corrompu et décadent, s’efforcent de faire accroire que ces grandes manifestations pacifiques, disciplinées, responsables et dignes, sont dirigées uniquement contre le cinquième mandat, alors qu’en vérité elles le sont également contre le système politique considéré comme un bloc…Les anti Bouteflika constitués en réseaux financiers et économiques, en lobbys maffieux, se réjouissent de ces grandes protestations qui servent leurs desseins dans la mesure où elles leur permettraient  de retrouver les positions perdues…

Victimes de l’«assainissement » entrepris par Bouteflika au sommet de l’Etat, et aussi  de la haine dont il se regorge contre ses « ennemis » de naguère, certains clans ressortent « la tête de l’eau » et tentent d’exploiter l’intifada pacifique du peuple à leur profit. Ils encouragent en sous main les manifestations pour qu’elles mettent à bas le clan incarné par Bouteflika, cette momie qui préside paradoxalement à la destinée d’un grand peuple rebelle autant par son tempérament national  que par son passé historique….

 

 




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