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Aides françaises au développement : 8 des 10 premiers pays bénéficiaires sont européens

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Image par Alex Barcley de Pixabay

Le monde francophone n’a reçu que 20,1% des aides françaises au développement en 2022. Contrairement à une idée largement répandue, le monde francophone ne bénéficie que d’une partie très minoritaire des aides publiques françaises au développement, face à une Union européenne qui se taille constamment la part du lion.

Une politique peu francophonophile, contraire aux intérêts économiques et géopolitiques de la France, et traduisant un cruel manque de pragmatisme et de vision à long terme.

À partir des dernières données disponibles auprès de l’OCDE et de la Commission européenne, en se basant sur la contribution nette de la France au budget de l’Union européenne (UE) et en tenant compte des aides multilatérales reçues par les pays situés en dehors de l’UE (dont celles provenant du budget de l’UE), la part du monde francophone dans les aides publiques françaises au développement peut être estimée à 20,1 %en 2022, soit un montant de 4,8 milliards d’euros. Un niveau se situant loin derrière celui de l’UE, dont la part s’est établie à 37,2 % (9,0 Mds d’euros), et essentiellement au bénéfice des 13 pays de sa partie orientale et de leurs 114 millions d’habitants, seulement, la même année.

Une politique qui demeure peu francophonophile

Les 27 pays francophones du Sud, rassemblant non moins de 474 millions d’habitants mi-2022, et presque entièrement situés sur le continent africain, ont donc continué à ne bénéficier que d’une faible part des aides françaises au développement. Une part oscillant chaque année autour de 20% de l’enveloppe globale, avec une moyenne estimée à 20,3 % pour les aides cumulées sur la période de cinq années 2018-2022 (soit 4,1 milliards d’euros en moyenne annuelle, aides multilatérales et bilatérales confondues).

Ce chiffre constitue une estimation avec une marge d’erreur d’environ un point de pourcentage, compte tenu de l’existence d’un certain nombre de sommes ne faisant pas l’objet d’une répartition précise pour les pays bénéficiaires non membres de l’UE.

Par ailleurs, cette estimation ne tient pas compte des aides destinées à Wallis-et-Futuna, archipel du Pacifique Sud comptabilisé par le gouvernement français et l’OCDE parmi les bénéficiaires des aides publiques au développement, mais ne pouvant être pris en considération puisqu’il s’agit d’un territoire français.

À l’inverse de l’espace francophone, l’UE continue donc d’accaparer la part du lion, avec une part se situant autour de 40% de l’effort financier de la France. Sur la période 2018-2022, celle-ci s’est ainsi établie à 38,5 %, soit 7,7 Mds d’euros en moyenne annuelle. Ainsi, l’UE s’accapare chaque année l’écrasante majorité des dix premières places des principaux pays bénéficiaires des aides françaises au développement.

En 2022, et sans tenir compte, évidemment, de la Belgique et du Luxembourg, qui bénéficient d’importants transferts au titre des frais de fonctionnement des institutions de l’UE, ce sont non moins de sept des dix premières places qui étaient donc occupées par des pays membres de l’UE, contre seulement deux pour le monde francophone, qui de surcroît n’étaient que les sixième et dixième places, et auxquels s’ajoutait un huitième pays européen, à savoir l’Ukraine (classée deuxième, avec une aide de 1,522 Md d’euros).

Les sept pays membres de l’UE concernés sont la Pologne (2,210 Mds d’euros), la Roumanie (1,094 Md), la Hongrie (837 millions), la Grèce (681 millions), le Portugal (557 millions), la République tchèque (525 millions) et la Slovaquie (426 millions). Quant aux deux seuls pays francophones, il s’agit de la Côte d’Ivoire (600 millions) et du Maroc (421 millions).

Comme chaque année, la Pologne continue donc à être, et de loin, le premier pays bénéficiaire des aides publiques françaises au développement, avec une enveloppe près de quatre fois supérieure en 2022 à celle reçue par le premier pays francophone bénéficiaire. Cette prépondérance de l’UE se manifeste également par la présence de 10 pays membres parmi les 20 premiers pays bénéficiaires des aides françaises au développement, ces pays se concentrant d’ailleurs dans les 14 premières places.

Dans ce cadre, ceux de la partie orientale de l’UE, soit au total 13 pays allant des pays Baltes, au nord, à Chypre, au sud, et formant un ensemble que l’on peut désigner par l’appellation UE-13, représentent chaque année l’écrasante majorité des pays bénéficiaires, soit neuf de ces dix pays membres de l’UE présents parmi les principaux pays bénéficiaires des aides françaises au développement en 2022.

À l’inverse, seuls trois pays francophones font partie des 20 premiers pays bénéficiaires, le Cameroun étant le troisième d’entre eux et n’arrivant qu’en 19e position. Une marginalisation de l’espace francophone qui s’observe également par la présence de non moins de six pays non francophones, à savoir l’Afrique du Sud (11e), l’Égypte (15e), le Bangladesh (16e), le Mexique (17e), le Nigeria (18e) et la Turquie (20e).

Le tropisme européen de la politique française d’aide au développement se manifeste donc naturellement au niveau du volume des aides publiques versées par habitant. Ainsi, et selon ce classement, neuf des dix premiers pays bénéficiaires sont membres de l’UE, tous appartenant à l’UE-13, contre aucun pays francophone (le dixième étant l’Arménie). De même, 12 des 20 premiers pays bénéficiaires sont membres de l’UE, se concentrant dans les 13 premières places, contre seulement deux pays francophones, et n’occupant que les 14e et 20e places (à savoir la Gabon et le Congo-Brazzaville, respectivement). Par ailleurs, 15 des 20 premières positions sont occupées par des pays du continent européen, membres ou non de l’UE.

Ainsi, et bien que peuplée de seulement 1,3 millions d’habitants, l’Estonie, qui arrive en tête, a reçu en 2022 une aide publique française au développement presque égale à celle reçue par le Congo-Kinshasa (174 millions d’euros, contre 188 millions), qui n’est autre que le premier pays francophone du monde avec ses 110 millions d’habitants actuels, et dont la capitale Kinshasa est la plus grande des villes francophones avec ses 17 millions d’habitants, ne cessant de creuser l’écart avec Paris (11 millions).

En d’autres termes, le montant de l’aide française par habitant reçue par ce petit pays balte a été non moins de 68 fois supérieure à celle reçue par le Congo-Kinshasa (ou République démocratique du Congo, RDC), selon la population estimée de l’époque, soit 129,3 euros par habitant contre seulement 1,9 euro. Autre exemple frappant, le Maroc, un des plus grands et sincères amis de la France, et modèle de développement et de bonne gouvernance pour le monde arabe et le continent africain, a reçu une aide de 421 millions d’euros, soit 5,2 fois moins que la Pologne à laquelle a été octroyée une somme de nouveau supérieure à 2 Mds d’euros (2,2 Mds en 2022). Et ce, pour une population quasi égale, et en dépit des politiques économique et étrangère polonaises souvent hostiles aux intérêts français.

Des écarts considérables que confirment d’ailleurs les transferts observés sur la période de cinq années 2018-2022, la Pologne ayant bénéficié d’une moyenne annuelle de 2,014 Mds d’euros, contre seulement 333 millions pour la Maroc. Quant à l’Estonie et à la RDC, la première s’est vue allouer une aide de 132 millions d’euros en moyenne, soit un niveau également comparable à celui de la RDC (153 millions).

Par conséquent, force est de constater que les pays de l’UE-13, pourtant déjà assez développés, ont bénéficié d’un effort financier 1,6 fois plus important que pour l’ensemble des 27 pays francophones du Sud (soit 7,5 Mds d’euros, frais de fonctionnement inclus), en dépit d’une population 4,2 fois inférieure en 2022 (et répartie sur un territoire 11 fois moins vaste), soit un volume d’aide par habitant 6,5 fois supérieur.

Des aides publiques qui sont, de surcroît, octroyées à des conditions plus favorables aux pays de l’UE-13, car intégralement versées sous forme de dons, et non assorties de la moindre condition, directe ou indirecte, ni même ponctuelle (par exemple en matière d’attribution de marchés).

Certes, et outre le fait que les montants indiqués pour les pays francophones puissent être légèrement revus à la hausse, par l’intégration de la partie non imputée des aides versées aux étudiants et aux demandeurs d’asile (les demandeurs d’asile en France n’étant toutefois qu’à un quart, au plus, francophones), les aides publiques françaises au développement ne constituent évidemment pas les seuls flux financiers en provenance de France, puisque doivent être également pris en compte les flux en provenance des diasporas francophones vivant dans l’Hexagone, ainsi que les investissements réalisés par les entreprises françaises dans les pays francophones. Toutefois, et à l’exception du Maroc et de la Tunisie (qui comptent une importante diaspora en France et accueillent de très nombreuses entreprises tricolores, ayant créé des dizaines de milliers d’emplois, directs et indirects, et payant de nombreux impôts, sous différentes formes), la prise en compte de ces flux supplémentaires ne change rien au fait que les transferts reçus par les pays francophones demeurent proportionnellement très en deçà de ceux reçus par chacun des 13 pays d’Europe orientale membres de l’UE (et dont certains comptent également de nombreux ressortissants en France, permanents ou temporaires, et reçoivent d’importants investissements français).

Une politique qui demeure surtout irrationnelle

Cette politique d’aide au développement est contraire à toute logique économique ou géopolitique. D’un point de vue économique, d’abord parce que les pays de l’UE-13 s’orientent principalement et historiquement vers l’Allemagne, qui arrive très largement en tête des pays fournisseurs de biens de la zone, avec une part de marché souvent proche des 20 % (16,9 % en 2022), contre toujours environ 3 % pour la France (2,9 % en 2022), dont les aides massives reviennent donc quasiment à subventionner les exportations allemandes. Une politique que l’on pourrait résumer par la célèbre expression « travailler pour le roi de Prusse », qui semble être désormais la doctrine de la politique étrangère de la France.…

Ensuite, parce que toutes les études économiques démontrent que les échanges peuvent être bien plus importants entre pays et peuples partageant une même langue. À ce sujet, un seul exemple suffit à prouver l’impact économique du lien linguistique : les touristes québécois sont proportionnellement quatre fois plus nombreux que les touristes américains à venir chaque année en France… et à y dépenser. En d’autres termes, toute richesse générée dans un pays francophone au profit de l’économie locale finit par être intégrée en bonne partie au circuit économique d’autres pays francophones, et ce, en vertu d’un mécanisme semblable à celui des vases communicants. D’où le concept de « zone de coprospérité », qui est d’ailleurs une des traductions possibles du terme Commonwealth. Ce lien linguistique explique également en bonne partie la position encore assez bonne, globalement, de la France en Afrique francophone, dont elle demeure le second fournisseur en dépit d’un certain manque d’intérêt, avec une part de marché globale estimée à 9,6 % en 2022. Une part inférieure à celle de la Chine (15,5 %, Hong Kong inclus), mais largement supérieure à celle de l’Allemagne, estimée à seulement 3,3 %, et qui arrive même derrière l’Espagne (6,5 % et troisième fournisseur), l’Italie (4,7 %) et les États-Unis (4,4 %).

Ces données permettent d’ailleurs de constater un écart considérable, pour ne pas dire colossal, en matière de rapport entre les parts de marché de la France et le montant de ses aides publiques au développement. En effet, et malgré une enveloppe financière de 7,5 Mds d’euros en 2022, la part de marché de l’Hexagone n’a été que 2,9 % dans les pays l’UE-13, alors qu’elle s’est établie à 9,6 % en Afrique francophone, malgré une aide de seulement 4,7 Mds d’euros.

Ainsi, la part de marché de la France dans les pays de l’UE-13 a atteint seulement 0,39 % pour chaque milliard d’euros versés par le contribuable français (pour une zone de 114 millions d’habitants mi-2022), contre 2,04 % en Afrique francophone (463 millions d’habitants à la même date), soit 5,2 fois plus dans cette dernière (ou + 424 %).  En d’autres termes, toute dépense publique française dans les pays d’Europe orientale constitue un manque à gagner considérable pour la France, son économie et sa population, et donc un appauvrissement de même ampleur.

Enfin, parce que c’est dans cette même Afrique francophone qu’il convient d’investir massivement, d’une part afin de tirer pleinement profit des opportunités et du dynamisme que l’on trouve dans ce vaste ensemble de 25 pays, partie globalement la plus dynamique économiquement du continent et désormais important relais de la croissance mondiale, et d’autre part car c’est bien en accélérant l’émergence économique de cet ensemble qu’augmentera encore plus fortement le nombre d’apprenants du français à travers le monde, et ce, au bénéfice économique et géopolitique de la France, mais aussi au bénéfice de tous les pays et peuples francophones du monde. En effet, la langue est le principal vecteur d’influence culturelle, avec, in fine, d’importantes répercussions économiques et géopolitiques.

Quant au niveau géopolitique, justement, le caractère irrationnel de la politique française d’aide au développement s’explique également par le fait que l’écrasante majorité des pays de l’UE, malgré les aides massives versées chaque année par le contribuable français, vote régulièrement contre les positions françaises au sein des grandes instances internationales, au profit des États-Unis (auprès desquels ils se fournissent d’ailleurs presque exclusivement en matière d’armements lourds, alors que les richissimes pays du Golfe et les grandes puissances émergentes préfèrent souvent acheter du matériel militaire français…). Et ce, contrairement à la majorité des pays francophones, qui partage avec la France nombre de valeurs et d’orientations communes en matière de politique étrangère, et dont il convient alors d’accroître le poids.

Ainsi, l’intérêt pour la France de consacrer une part aussi importante de ses aides et de son énergie aux pays de l’UE-13 se révèle donc extrêmement marginal, en comparaison avec les avantages économiques et géopolitiques qu’elle tirerait d’une nouvelle répartition plus favorable aux pays du monde francophone. En d’autres termes, la prépondérance européenne dans les aides au développement ne fait incontestablement qu’affaiblir la France au niveau international, tant économiquement que géopolitiquement (les deux étant d’ailleurs, à terme, étroitement liés).

Certes, la France est une grande puissance mondiale, la deuxième ou troisième en tenant compte de tous les critères de puissance (économie, capacités militaires, technologie, industrie spatiale, influences diplomatique et culturelle, territoire maritime…). Des critères qui doivent d’ailleurs toujours être pris en compte dans leur ensemble afin de pouvoir correctement apprécier le poids d’un pays (tout comme l’on compare toujours les élèves d’une même classe sur l’ensemble des matières étudiées, et non sur une seule d’entre elles).

La France est territorialement présente sur quatre continents et militairement sur les cinq continents, notamment grâce à ses territoires d’outre-mer. Grâce à sa vaste zone économique exclusive (ZEE), la seconde plus vaste au monde avec des 10,2 millions de km2, elle compte non moins de 32 pays frontaliers à travers la planète (dont 21 uniquement par mer), ce qui constitue un record mondial, devant le Royaume-Uni (25 pays) et les États-Unis (18 pays). En tant que puissance mondiale, la France se doit donc d’être financièrement présente sur tous les continents, y compris en Europe.

Mais afin de consolider ce statut, la France doit privilégier le vaste monde francophone, où le retour global sur investissement est bien supérieur, grâce au lien linguistique et aux grandes opportunités économiques qu’il présente, et grâce à sa contribution considérable à l’augmentation du nombre d’apprenants du français à travers le monde, notamment du fait de son émergence démographique (le monde francophone ayant d’ailleurs assez récemment dépassé démographiquement l’ensemble UE – Royaume-Uni, avec une population estimée à 584 millions d’habitants mi-2024, contre 519 millions, hors territoires français d’outre-mer, et ayant dépassé auparavant l’espace hispanophone, peuplé de 483 millions d’habitants). Occasion de rappeler, au passage, que l’espace francophone est près de quatre fois plus vaste que l’UE tout entière, contrairement à ce qu’indiquent la plupart des cartes géographiques en circulation, qui en divisent la taille par deux ou par trois).

L’Afrique francophone subsaharienne, un espace de plus en plus propice à l’investissement

La priorisation du monde francophone est d’autant plus justifiée que la majorité des pays francophones du Sud ont réalisé de grandes avancées en matière de bonne gouvernance et d’amélioration du climat des affaires, qui ont notamment contribué à faire de l’Afrique francophone la partie la plus dynamique économiquement du continent africain.

En effet, celle-ci constitue le moteur de la croissance africaine, en plus d’être globalement et historiquement la partie du continent la moins touchée par l’inflation, la moins endettée, mais aussi la moins frappée par la corruption, les inégalités (avec seulement deux pays francophones parmi les dix pays africains les plus inégalitaires, selon l’indice Gini, et se classant à partir de la neuvième place), la violence sociale, la criminalité et les conflits, comme on le voit actuellement au Soudan (où la guerre civile a déjà fait, en une seule année, plus de victimes que les troubles observés dans toute l’Afrique de l’Ouest francophone depuis les indépendances, il y a plus de 60 ans), ou comme on l’a récemment vu en Éthiopie (où la guerre civile, achevée en novembre 2022, a fait bien plus de victimes en seulement deux années qu’il n’y en a eu dans toutes les anciennes colonies françaises d’Afrique subsaharienne depuis leur indépendance également !).

Ainsi, l’Afrique subsaharienne francophone, vaste ensemble de 22 pays, a réalisé en 2023 le niveau de croissance économique le plus élevé d’Afrique subsaharienne pour la dixième année consécutive et la onzième fois en douze ans (avec une croissance annuelle de 3,9 % sur la période décennale 2014-2023, contre seulement 2,0 % pour le reste de l’Afrique subsaharienne), tout en enregistrant une bien plus faible inflation (4,1 % sur la dernière décennie, contre 17,2 %), et un endettement davantage maîtrisé (51,3 % du PIB en 2023, contre 67,1 %, et avec seulement deux pays francophones parmi les dix pays les plus endettés). Une différence que l’on observe également en Afrique du Nord, avec des niveaux d’inflation et d’endettement bien plus faibles dans les pays francophones du Maghreb qu’en Égypte.

Au cours de la dernière décennie, huit des dix plus fortes croissances réalisées sur le continent l’ont ainsi été par des pays francophones (un classement qui n’intègre pas le cas très particulier du Rwanda anglophone, qui ne peut plus être pris en compte vu que les performances officielles sont largement faussées par le pillage massif des richesses de la RDC voisine, qui représentent désormais près de 50 % des exportations rwandaises.

Un cas unique au monde, accompagné de massacres réguliers de populations civiles, et permis par une féroce protection des États-Unis, qui avaient, dans ce but, préparé l’arrivée au pouvoir du régime dictatorial rwandais dès la fin des années 1980). Un dynamisme notamment dû aux nombreuses réformes accomplies par la plupart des pays francophones afin d’améliorer le climat des affaires et de progresser en matière de diversification et de bonne gouvernance, et qui ont été particulièrement importantes dans les pays de l’Afrique de l’Ouest francophone, qui continue à être la plus vaste zone de forte croissance de l’ensemble du continent (5,5 % de croissance annuelle sur la décennie 2014-2023).

Il convient d’ailleurs de souligner que le statut de zone la plus dynamique du continent constitue une très bonne performance pour l’Afrique de l’Ouest francophone, vu que la région la plus pauvre du continent, et qui devrait donc connaître la croissance la plus élevée, et l’Afrique de l’Est. En effet, cette dernière affiche des niveaux de PIB par habitant souvent largement inférieurs, et ce, en plus d’être également la partie la plus instable du continent, puisque l’on y trouve notamment les pays ayant connu les conflits les plus meurtriers de la dernière décennie, proportionnellement à leur population (le Soudan, le Soudan du Sud et l’Éthiopie).

Des conflits auxquels s’ajoutent un certain nombre de problèmes sécuritaires (terrorisme islamique en Somalie, dans le nord du Mozambique, en Ouganda…), et de tensions interethniques, comme en Éthiopie où elles avaient déjà provoqué la mort de nombreuses personnes avant même le début de la guerre civile, fin 2020 (ce qui en fait l’un des pays africains souffrant des plus fortes tensions sociales, avec, en particulier, l’Afrique du Sud et ses plus de 27 000 homicides en 2023).

La vitalité économique des pays francophones s’est notamment traduite par le fait que la Côte d’Ivoire a réussi l’exploit de devenir le pays le plus riche de toute l’Afrique de l’Ouest continentale (avec un PIB par habitant de 2 729 dollars en 2023), malgré une production pétrolière environ 50 fois inférieure à celle du Nigeria au cours de la dernière décennie, et des productions pétrolière et aurifère également très faibles en comparaison avec celles du Ghana voisin.

Un dynamisme supérieur que l’on observe également au Sénégal et au Cameroun, qui viennent eux aussi, en 2023, de dépasser le Nigeria en PIB par habitant, en dépit d’une production pétrolière 20 fois moindre pour le Cameroun au cours de cette même décennie, et tout simplement encore inexistante au Sénégal. Par ailleurs, il est à noter que l’Algérie devrait dépasser cette année le Nigeria en termes de PIB nominal, malgré une population quatre fois inférieure, et que le Bénin devrait également passer devant en matière de PIB par habitant.

Par ailleurs, et grâce à une croissance de 6,3 % en moyenne sur la décennie 2014-2023, soit la plus forte progression au monde de ces dix dernières années pour la catégorie des pays qui avaient un PIB par habitant supérieur à 1 000 dollars en début de période, la Côte d’Ivoire est récemment devenue le premier – et encore le seul – pays africain disposant d’une production globalement assez modeste en matières premières non renouvelables, à dépasser en richesse un pays d’Amérique hispanique, à savoir le Nicaragua dont le PIB par habitant a atteint 2 530 dollars en 2023 (hors très petits pays africains de moins de 1,5 million d’habitants, majoritairement insulaires et ne pouvant être pris en compte pour de pertinentes comparaisons).

Autre exemple de dynamisme, mais situé en Afrique centrale, le Gabon a réaffirmé son statut de pays le plus riche d’Afrique continentale, avec un PIB de 8 420 dollars par habitant en 2023, creusant ainsi légèrement l’écart avec le Botswana, deuxième producteur mondial de diamants, après la Russie (7 250 dollars). Une performance obtenue grâce aux grandes avancées réalisées au cours de la dernière décennie en matière de diversification et de bonne gouvernance.

Enfin, il convient de rappeler que l’espace UEMOA est également la zone la plus intégrée du continent, devant la CEMAC qui recouvre une partie de l’Afrique centrale francophone. Ces deux exemples d’intégration poussée, loin devant les autres ensembles régionaux, démontrent d’ailleurs que le panafricanisme est avant tout une réalité francophone.

Au nom de ses propres intérêts, la France doit donc porter une attention plus importante au monde francophone, à travers une répartition plus favorable à celui-ci de ses aides publiques au développement. Une nouvelle répartition qui permettrait notamment à la France de renforcer ses positions dans les pays francophones du Sud, et en particulier dans ceux où elle est assez faiblement présente.

Et ce, comme en RDC, grand pays stratégique qui n’est autre que le premier francophone du monde avec ses 110 millions d’habitants, et où la quasi-absence de la France constitue probablement la meilleure illustration de son manque d’intérêt aberrant et irrationnel pour l’espace francophone. En effet, la part de la France dans le commerce extérieur de la RDC, vaste comme plus de la moitié de l’Union européenne tout entière, s’est de nouveau établie à seulement 0,5 % en 2022, très largement derrière la Chine dont la part se situe régulièrement au-dessus de 30 % (38,5 % en 2022, soit environ 77 fois plus !).

Comme les années précédentes, la RDC, qui a réalisé un taux de croissance de 8,9 % la même année, est arrivée au-delà de la 100e position dans le classement mondial des partenaires commerciaux de l’Hexagone, dont elle n’a représenté que 0,02 % du commerce extérieur (soit seulement 1 cinq-millième du total). Ce désintérêt de la France se traduit également au niveau de la part des étudiants originaires du pays dans l’ensemble des étudiants présents en France (0,7 % du total pour l’année universitaire 2022-2023, et seulement 1,5 % des étudiants africains), de la part du pays dans les aides françaises au développement (0,8 % du total en 2022, et 1,2 % des aides versées hors UE), ou encore au niveau de la part infime des projets et jumelages réalisés au titre de la coopération décentralisée française pour ce qui est du seul continent africain (moins de 0,3 %). Pourtant, la France pourrait sans grande difficulté accroître sa présence en RDC, dont la forte dépendance vis-à-vis de la Chine risque de nuire, à terme, à la souveraineté et aux intérêts du pays (dont le principal créancier bilatéral est aussi la Chine).

Des perspectives peu encourageantes

Contrairement aux discours officiels sur la francophonie, les dernières évolutions de la politique française d’aide au développement ne permettent guère de déceler un réel changement d’attitude, et encore moins de paradigme et de tropisme, de la part des autorités françaises, qui demeurent profondément marquées par une irrationnelle et néfaste obsession européiste.

De toute façon, tant que le vaste espace composé par les pays francophones du Sud continuera à ne recevoir qu’environ un cinquième du total des aides versées par l’Hexagone à des pays tiers, et tant qu’il recevra proportionnellement à sa population six ou sept fois moins d’aides que l’ensemble composé par les pays de la partie orientale de l’UE, toutes les déclarations officielles en faveur de la « francophonie » ou de la « francophonie économique » ne seront guère à prendre au sérieux.

Mais toute redéfinition en faveur du monde francophone de la politique française d’aide au développement, au nom des intérêts économiques et géopolitiques de la France, grande puissance engluée, anesthésiée, par les obligations liées à son appartenance à l’UE, ne pourra se faire qu’à travers une redéfinition en profondeur, pour ne pas dire radicale, du fonctionnement de celle-ci. Voire, si nécessaire, et même probablement, une sortie pure et simple de cet ensemble qui ne fait que l’épuiser financièrement et l’affaiblir, en l’éloignant du monde francophone et en l’alignant sur les intérêts économiques de l’Allemagne et économico-géopolitiques des États-Unis (notamment à travers une attitude hostile et belliqueuse à l’égard de la Russie, accompagnée d’une politique d’anglicisation forcenée, à laquelle échappent, à leur plus grand bénéfice, la Chine, la Russie et bien d’autres puissances).

Par ailleurs, ce manque d’intérêt des gouvernants français pour le monde francophone, et leur politique de repli sur l’Union européenne, ont donc naturellement des répercussions fort négatives sur le niveau d’intérêt des Français eux-mêmes, qui, maintenus à l’écart, ignorent pratiquement tout de ce vaste espace.

À titre d’exemple, la quasi-intégralité de la population française ne sait rien des Jeux de la Francophonie qui se tiennent tous les quatre ans (contraste frappant avec la couverture médiatique dont jouissent les Jeux du Commonwealth au Royaume-Uni), de la Basilique Notre-Dame de la Paix de Yamoussoukro en Côte d’Ivoire (qui n’est autre que le plus grand édifice chrétien au monde, quasi-réplique de la basilique Saint-Pierre de Rome), ou encore du concours musical « The Voice Afrique francophone » (qui fût dans sa saison 2016-2017 le plus grand concours musical au monde en termes d’audience cumulée, avec son équivalent arabophone).

Or, cette large méconnaissance de la grande famille francophone et de sa dimension mondiale, et outre le fait de priver nombre d’investisseurs et de représentants de la société civile de multiples opportunités d’échange et de partenariat mutuellement bénéfiques, a pour conséquence préjudiciable de réduire considérablement l’attachement des Français à leur langue.

Eux, qui n’ont jamais été si peu intéressés par la promotion et la diffusion de celle-ci à travers le monde, alors même qu’elle n’a jamais été autant parlée et apprise. Et ce, au grand étonnement des francophones extra-européens, auxquels est aujourd’hui entièrement attribuable la progression constante de l’apprentissage du français hors espace francophone, face à une France qui est désormais clairement un frein, et même un obstacle en la matière (et dont l’inconscience des graves conséquences économiques et géopolitiques de pareille attitude dénote une évidente immaturité).

Une ignorance française au sujet de l’espace francophone qui s’oppose d’ailleurs à la plus grande culture qu’ont les Britanniques de leur espace linguistique, et qui explique en bonne partie leur attachement viscéral à leur langue, à sa défense et à sa diffusion.

À bien des niveaux, la France devrait donc s’inspirer du Royaume-Uni qui a toujours su faire preuve de pragmatisme, d’intelligence et de vision à long terme en privilégiant constamment son espace géolinguistique, dès sa création au début du 17e siècle.

À titre d’exemple, l’Angleterre, quatre fois moins peuplée que la France d’alors et également engagée dans de très nombreuses guerres européennes, fournissait proportionnellement, et hors dépenses militaires, 30 à 40 fois plus d’efforts dans le développement de ses modestes territoires d’Amérique du Nord, région très majoritairement française à l’époque. Ainsi, la France a toujours fini par payer lourdement ses périodes d’irrationnelle obsession européiste, et ne doit donc plus reproduire les mêmes erreurs.

Au lieu de s’épuiser inutilement à financer une Europe anglophone, germanophile et américanophile, et donc par définition hostile aux intérêts français, elle doit donc au contraire privilégier systématiquement l’espace francophone dans toute coopération internationale, économique, politique ou scientifique. Et ce, aussi bien dans le monde d’aujourd’hui que dans le futur, et notamment dans le cadre de la prochaine conquête « territoriale » de l’espace, où la langue française devra être solidement présente.

Ilyes Zouari, président du Centre d’étude et de réflexion sur le monde francophone

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