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Aït Djellil, une commune à l’abandon 

REGION

Aït Djellil, une commune à l’abandon 

Enclavée, la région d’Aït-Djellil, en Basse-Kabylie, distante d’environ 60 kilomètres du chef-lieu de la wilaya de Béjaia, peine à se relever.

Avec plus de 14 000 habitants, la commune déficitaire consomme mal sa ruralité, la dégradation du cadre de vie de ses citoyens, l’éloignement, la précarité, etc. Aux journalistes de Berbère Télévision venus, il y a quelques mois, réaliser un reportage de terrain sur les raisons du blocage répétitif de la mairie, un habitant contestataire en sit-in a eu le réflexe ironique de leur souhaiter la bienvenue en ces termes : « Ansuf yiswen dans le Quart-Monde »(bienvenus dans le Quart- Monde). La réponse, bien qu’ironique, porte toute sa signification, au vu de la situation catastrophique dans laquelle patauge la région depuis des années.

Récemment seulement, toute la commune s’inquiète de l’absence de décharge publique. Pendant plus d’un mois, et en temps de confinement partiel contre le Coronavirus, des bacs à ordures remplis  jonchent les trottoirs et les villageois, livrés à eux mêmes et ne trouvant pas d’oreille attentive à leurs doléances auprès des élus locaux, ne savent plus où tourner la tête. La situation aurait failli dégénérer s’il n’y avait pas ce sursaut salutaire d’une poignée de jeunes volontaires, lesquels ont pris le défi de les ramasser, dans une initiative ramadanesque bénévole, et les jeter quelque part! Oui, quelque part, parce que l’APC n’a pas encore dégagé un terrain d’assiette pour une décharge publique communale. Et pourtant, le problème ne date pas seulement d’aujourd’hui. 

L’année passée déjà, l’assiette de la décharge publique, pourtant acquise par l’ex-APC à raison de 20 millions de dinars (2 milliards de centimes), a provoqué le blocage de la mairie, à plusieurs reprises, par de nombreux citoyens  de Tizi N’Djeber, le village où elle y fut mise en place. Se sentant lésés, ces derniers reprochent à l’APC son emplacement inadéquat et sa nuisance à l’environnement. Cependant, dans l’entourage de M. Fetissi, l’actuel maire, on avance autre chose : les cadres des services de l’environnement n’ont opposé aucune réticence à son installation, et puis, disent-ils « on s’interroge pourquoi pendant toute la période de l’ installation de ladite décharge lors du mandat de l’ex-maire M. H. Titem  (originaire de ce village-là), aucun blocage ni plainte n’ont été relevés! » L’affaire, désormais en justice, traîne et les grands perdants sont, sans doute, les pauvres citoyens.

Pas de trêve, les blocages du siège de la mairie revendiquant la dissolution de l’APC se multiplient, ces derniers temps, pour différentes autres raisons : le non-bitumage d’une piste d’un village, la non-construction d’une cantine scolaire pour un autre, la privation des plans communaux de développement (PCD) pour un troisième et ainsi de suite. Ce qui a poussé un cadre associatif local à se permettre cette boutade :  » A ce rythme, sur les 15 villages que compte cette pauvre commune, on aura 15 blocages du siège de la mairie, et ça devient vraiment compliqué pour s’en sortir. » Bref, la cassure entre les élus et les citoyens est telle que ces derniers ont décidé de se prendre en charge, fatigués de la lenteur et du manque de réaction de leurs gestionnaires.

Pour preuve, ils organisent périodiquement des campagnes de nettoyage des rues et des places publiques. Même l’éclairage public a été mis en place, grâce aux dons financiers de la diaspora et à l’élan de solidarité déclenché à travers les quatre coins de la commune par un groupe de militants associatifs. D’aucuns, déçus par le désengagement de l’édile et son staff, comptent même construire des dispensaires et une clinique pour l’accouchement afin de pallier le manque flagrant en matière d’infrastructures de base au niveau local. Et l’APC dans tout ça? Aux grands abonnés absents!

Toutefois, ce qui inquiète au plus haut point, ce sont les blocages anarchiques de la mairie! « Pourquoi on bloque, au lieu de négocier ou de chercher des solutions appropriées? » Question à double tranchant car certains, bien qu’ils accordent foi aux revendications des masses en colère, craignent ou plutôt voient dans ces façons brutales de procéder le retour de refoulés clanistes et tribalistes, qui ne servent en fin de compte qu’à diviser les frères de la même région, et menacer l’exercice de la démocratie participative. En tout cas, dans cette commune rurale à l’abandon, il semble que c’est la loi de la débrouillardise qui s’impose à tous les niveaux : se déplacer, travailler, construire un logement social, se soigner, etc.

Les citoyens, complètement désabusés, se plaignent de la malvie, du réseau routier vétuste surtout en période de l’hiver, de l’incurie des responsables locaux dans la gestion courante des affaires de leur commune, et rient à volonté quand quiconque leur parle des « grands projets », tels que la construction du tronçon d’Amacine par exemple, lequel est à même de désenclaver la région, en la reliant directement via la commune limitrophe de Feraoun au chef-lieu de la daira d’Amizour (moins de 30 minutes de trajet), évitant le long circuit inutile qu’empruntent actuellement les automobilistes via Semaoune et Ilematen (plus de 1h15 de trajet, la durée d’un vol entre Alger et Marseille, soit dit en passant). « On est allé partout, on a frappé à toutes les portes.

On était même soutenus par des députés de la région comme M. Tazaghart  » nous confie M. Kamel Tetah, un ex-enseignant de primaire, militant associatif de son état, qui se bat depuis quelques années pour la réalisation de ce projet.  » Mais, poursuit-il, malgré nos nombreux sit-in devant le siège de la wilaya et toutes nos démarches administratives, le projet est en instance! Je m’interroge pourquoi on s’en fout comme ça de nous! C’est triste! Et pourtant, ce tronçon pourrait limiter l’exode rural, ouvrir de nouvelles perspectives commerciales, éradiquer le problème de transport, faciliter la vie du citoyen.

Les services de la wilaya ont intérêt à se pencher sur ce dossier avec sérieux ». Même son de cloche chez M. Khodir Kolli et M.Moussa Ghanemi, infatigables hirakistes qui tiennent, par leur travail pédagogique de terrain, à dissiper le brouillard de l’animosité qui circule dans la commune « On est tous de la même région et on doit se battre pour cet idéal », clament ces derniers avec ferveur. Autre important problème à mettre en exergue, les recettes budgétaires font cruellement défaut à Aït-Djellil. Faut-il attendre le maigre budget qui vient d’en haut pour renflouer les caisses et mettre de côté un matelas financier qui permette le développement serein de la commune? Pas évident !

A ce titre, la fermeture  inexpliquée de l’abattoir communal demeure, pour la plupart des citoyens, une énigme. « Pourquoi on fait tout notre possible afin de nous briser les ailes, au lieu de nous entraider pour sortir la tête de l’eau? » s’est interrogé M.Ahcène Djoudi l’un des jeunes à l’origine de la création d’une filiale locale du CRA (Croissant Rouge Algérien), croisé récemment dans un café associatif, qui se dit avec son ami M. Fatah Challali, très frustré dans ce désert où aucun centre culturel n’est ouvert pour la jeunesse.  « Il y a tout chez nous, dit-il, des structures locales à viabiliser, des compétences qui ont fait leurs preuves, une jeunesse dynamique, mais la situation empire d’une année en année, à l’image du pays lui-même d’ailleurs » Et à la question si la faute incombe seulement à l’exécutif actuel, il répond souriant : »non, c’est une accumulation d’erreurs et de ratages des anciennes équipes gestionnaires. Et le malheur, c’est qu’on n’apprend jamais de ces erreurs-là, pour se corriger et améliorer le quotidien des citoyens ».

Le tableau brossé est, hélas, noir. Mais, en attendant, les citoyens d’Aït-Djellil espèrent qu’ils sortent rapidement de cette zone d’ombre où ils ont été « confinés », à leur corps défendant, depuis des décennies! Ils espèrent surtout qu’on les regarde d’une autre manière et qu’on s’occupe un peu d’eux.   

Auteur
Kamel Guerroua

 




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