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Albert Camus, écrivain français d’Algérie (IV)

LITTERATURE

Albert Camus, écrivain français d’Algérie (IV)

Après le débarquement des allies en Afrique du Nord, en novembre 1942, il se séparé de sa famille restée à Oran et de l’Algérie, où il ne fera plus que de brèves visites. En France, Camus participe à la résistance, il est délégué à Paris par le mouvement «Combat». Il entre alors comme lecteur chez Gallimard et il ne quittera pas ce poste jusqu’à sa mort. 

Après la libération de Paris  

Dès la libération de Paris, Camus est désigné comme rédacteur en chef du journal «Combat». En 1944, évoquant les combats pour la libération de Paris, il écrit dans l’article Le sang de la liberté: une fois de plus, la justice doit s ’acheter avec le sang des hommes61. Cette phrase «la justice doit s’acheter avec le sang des hommes» c’est exactement le contraire de ce qu’il dira dans Actuelles III. Un contexte historique et politique différent : cette fois il ne s’agira pas de la libération de Paris mais de la libération de l’Algérie. Le lendemain, le 25 août 1944, il écrit avec non moins de lyrisme:

Dans la plus belle et la plus chaude des nuits d’août, le ciel de Paris m èle aux étoiles de toujours, les balles traçantes, la fumée des incendies et les fusées multicolores de la joie populaire. (…) cette nuit vaut bien un monde, c ’est la nuit de la vérité. (…) Elle est partout dans cette nuit où peuple et canon grondent en même temps. (…) Oui, c ’est bien la nuit de la vérité et de la seule qui soit valable, celle qui consent à lutter et à vaincre62.

Albert Camus avait l’horreur de la violence et des options politiques très déterminées; l’exception faite dans son cas pour la Resistance et l’écriture de La Peste, symbole du nazisme. À propos de la question: «pourquoi refuser la violence et le meurtre, acceptés sous l’occupation nazie?», Camus confia en 1958, à sa secrétaire, Suzanne Agnely, avec honnêteté, si l’on peut dire: Il est vrai que je n’ai pas été choqué par la résistance aux nazis, parce que j ’étais français et que mon pays était occupé. Je devrais accepter la résistance algérienne aussi, mais je suis français…63

Prises de position après le 8 Mai 1945

Après le 8 mai 1945, une manifestation des Algériens pour la liberté de leur pays qui a fait des milliers de victimes, Camus part en Algérie pour une enquête qui durera trois semaines. Une partie des articles publiés à cette occasion dans «Combat» figure dans Actuelles III sous le titre Crise en Algerie64.

On voit bien que Camus est loin de ses prises de position catégoriques, dans un autre contexte bien sûr, à l’époque d’«Alger-Républicain». Camus, à la recherche d’un juste milieu entre les deux communautés, écrit: Devant les événements qui agitent aujourd’hui l’Afrique du Nord, il convient d’éviter deux attitudes extrêmes. L’une consisterait à présenter com me tragique une situation qui est seulement sérieuse. L’autre reviendrait à ignorer les graves difficultés où se débat aujourd’hui l’Algérie65. 

Face à la crise économique66 et politique67 Camus dénonce l’injustice qui commande la distribution des blés, due à l’inégalité des droits. Enfin et c est le point le plus douloureux, dans toute l’Algérie la ration distribuée à l’indigène est inférieure à celle qui est consentie à l’Européen 68. Camus regrette l’abandon de la politique d’assimilation proposée par le projet Blum-Violette en 1936, qui a échoué à cause de l’hostilité des grands colons. Il appelle à la reconquête de l’Algérie par la France à travers la justice et demande au gouvernement français de confirmer «son désir d’exporter en Algérie le régime démocratique dont jouissent les Français»69.

Par la même occasion, Camus manifeste sa grande estime pour le peuple arabe: Sur le plan politique, je voudrais rappeler aussi que le peuple arabe existe. Je veux dire par là qu’il n’est pas cette foule anonyme et misérable, où l’Occidental ne voit rien à respecter ni à défendre. Il s ’agit au contraire d ’un peuple de grandes traditions et dont les vertus, pour peu qu’on veuille l’approcher sans préjugés, sont parmi les premières. Ce peuple n’est pas inférieur, sinon par la condition de vie où il se trouve, et nous avons des leçons à prendre chez lui, dans la mesure même où il peut en prendre chez nous70.

Après le 1er Novembre1954

Au milieu de 1955, Camus revient au journalisme et L’«Express» lui ouvre ses colonnes. Dans un article intitulé Terrorisme et répression, le 9 juillet, il met en lumière les causes de la révolte qui en réalité est une révolution à ses débuts. Le dernier espoir, avant la flambée, a été le statut de l’Algérie, enfin voté par les Chambres. Mais … l’application du statut fut sabotée et les élections de 1948 systématiquement truquées. De ces élections falsifiées est sortie, non pas Algérie du statut mais l’Algérie du meurtre et de la répression. A cette date, en effet, le peuple arabe a retiré sa confiance à la France71.

En Algérie, comme ailleurs, le terrorisme s ’explique par l’absence d’espoir72. (…) Le silence, la misère, l’absence d ’avenir et d’espoir, le sentiment aigu d ’une humiliation particulière au moment où les autres peuples prenaient la parole, tout a contribué à faire peser sur les m asses algériennes une sorte de nuit désespérée … »73 L’Algérie n’est pas la France -Albert Camus 

L’appel pour la trêve civile : 22 janvier 1956

Dans la gauche algérienne deux groupuscules travaillent: des catholiques et des communistes, indépendantistes résolus, militent aussi avec des intellectuels. Partout, on attend une prise de position de Camus, le plus célèbre écrivain d’Algérie. 

En 1956, la plupart des amis de Camus: Jean de Maisonseul, Charles Poncet, Louis Miquel, font partie du groupe des «libéraux», qui maintiennent des contacts avec les milieux musulmans. Les «libéraux» français réclament unanimement la suppression du statut colonial, l’élimination des «gros colons» opposes à toute évolution, et une «table ronde» des divers courants algériens. Camus, en arrivant à Alger en janvier 1956, a derrière lui une riposte à Edgar Faure, nouveau président du Conseil qui déclare à la radio le 25 septembre 1955 : Tout l’honneur de la France com m e sa mission humaine, tout nous impose absolument, sans équivoque et sans réticence, de garder l’Algérie à la France et dans la France74.

Et Camus, éditorialiste de «L’Express», de répliquer dans l’article intitulé « L’absenté : L’Algérie n’est pas la France »15, elle n’est même pas l’Algérie, elle est cette terre ignorée, perdue au loin, avec ses indigènes incompréhensibles, ses soldats gênants et ses Français exotiques dans un brouillard de sang76. Camus tente de se situer non au-dessus de la mêlée, mais avec toutes les parties prenantes, Français d’Algérie et Algériens de souche, qu’il appelle toujours «les Arabes».

Il veut se battre pour une trêve; il publie, dans «L’Express» du 10 janvier 1956, Trêve pour les civils11 qui s’adresse aux Français d’Algérie et aux militants du FLN78.

En même temps il annonce son intervention à une manifestation du groupe à côté des représentants des autres tendances ou confessions. «L’Express» et les articles de Jean Daniel expriment l’idée que, peu avant l’indépendance du Maroc et de la Tunisie, celle de l’Algérie paraît inéluctable.

Le climat politique et militaire en Algérie pourrit. Camus, arrive à Alger en janvier 1956, se rend compte que l’opinion publique est contre l’idée de la trêve. Un instituteur algérien s’en prend à Camus: – Votre trêve civile, on s ’en fout.

Ce qu’il nous faut, c ’est l’indépendance immédiate, absolue e t sans conditions19. Camus définit un objectif limite: pendant la trêve les belligérants s’engageraient à respecter les civils, les prisonniers, tous ceux qui ne sont pas armés. Il insiste sur le dialogue nécessaire entre toutes les familles religieuses et politiques «européennes et arabes». Malgré les remontrances de Poncet, Camus dit – et écrit: «les Français», «les Arabes» – pas «les Algériens».

Des musulmans précisent qu’il ne s’agit pas de condamner la lutte actuelle du peuple algérien, mais d’humaniser la guerre. Certains voudraient reconnaître le FLN comme combattant et non uniquement comme assassin. (A suivre)

Maria Stepniak

Notes

61- Voir: A. Camus, Essais, «Combat», 24 août 1944, p. 255.

62- Op. cit., La nuit de la vérité, «Combat», 25 août 1944, pp. 256-257.

63- Cité par H. R. Lottman, op. cit., p. 633.

64- In: A. Camus, Essais, Gallimard, Pléiade, Paris 1965, pp. 941-959. 65 Ibid., p. 941.

66- Voir: La famine en Algérie, op. cit., pp. 944-946.

67- Voir: Le m alaise politique, pp. 950-953.

68- Article Des bâteaux et de la justice, op. cit., p. 948. 69- Op. cit., Conclusion, p. 959.

70- Op. cit., p. 942. 71- A. Camus , op. cit., Chroniques algériennes, Textes complémentaires, p. 1868.

72- Ibid., p. 1867.

73- Ibid., p. 1868.

74- Cité par O. Todd in: Albert Camus, une vie, Gallimard, Paris 1996, p. 616.

75- C ’est nous qui soulignons.

76- A. Camus, L’Absente, in: Actuelles III, L’Algérie déchirée, Plèiade, p. 969.

77- Ibid., pp. 983-985. 78- Front de Libération Nationale. 79- C’est nous qui soulignons. Cité par O. Todd , op.cit., p. 624, d’après la correspondance avec André Rosfelder, 1994-1995.

Auteur
Maria Stepniak

 




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