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Alerte sur la perte des libertés d’interprétation et de création en Algérie

LibertéDepuis une quarantaine d’années, j’effectue ponctuellement une revue de presse consistant à éplucher les articles des journaux algériens d’expression(s) française(s), particulièrement ceux dédiés à l’art et la culture (je dispose à ce titre d’un considérable et appréciable parc de presse).

Or, mise à part la période Boumediène, jamais jusqu’ici ces médias n’ont connu une telle chape de plomb, une coupe réglée consistant à conjuguer l’imprimatur d’État à la distribution parcimonieuse de la manne publicitaire.

Attribuée au profit de supports dociles et plutôt à faibles audiences, celle-ci fait donc l’objet de choix aléatoires empêchant les éventuels récepteurs (sociétés privées locales et étrangères) de confier leurs offres ou messages entrepreneuriaux aux tabloïds les plus consultés. En coupant ainsi l’herbe sous les pieds d’indépendants réalisant d’amples tirages (car probablement davantage émancipés des habituels oukases idéologiques), le pouvoir politique a réduit leurs encarts et spots, a sabordé cette gênante concurrence pour mieux  privilégier une clientèle rentière sans envergure, la choyer et la brosser dans le sens du poil.

Privé des milliers de dinars ou répartitions équitables de l’Agence nationale d’édition et de publicité (Anep), « El Watan » a dû s’extraire de la « Toile » pour, via les buralistes, capter directement l’attention des potentiels lecteurs-acheteurs, améliorer ses recettes propres et ne pas définitivement couler. Résultat direct, impossible dorénavant de lire sans abonnement les papiers de sa rubrique « Culture ».

C’est maintenant le périodique « Liberté » qui risque une mort programmée en raison pareillement de difficultés financières mais aussi des pressions exercées sur le patron Issad Rebrab. En l’occurrence, ce dernier « rebrade », semble devoir jeter l’éponge de manière à sauver un empire industriel convoité et menacé de divers côtés alors qu’il envisageait il y a peu de fonder un groupe médiatique à la ligne éditoriale autonome.

Faute de magazines spécialisés, quelques rares sites ou portails (principalement « Founoune DZ » et « Algériades ») informent d’une programmation culturelle que complète généralement les journaux algériens (électroniques ou pas).

À ce stade, principales sources, El Moudjahid, L’Expression, Lematindalgerie.com, Le Courrier d’Algérie, Le Quotidien d’Algérie, Le Quotidien d’Oran, Le Soir d’Algérie, Liberté et El Watan livrent des comptes rendus sur telle ou telle exposition, des contributions indicielles loin de satisfaire à l’analyse expertisée ou pointue. Sans profondeur intellective, elles floutent les indices subversifs d’auteurs engoncés au sein d’un environnement discursif voué à satisfaire les réquisits de l’authenticité patrimoniale.

Ce goût immodéré en faveur de la tradition architecturale, voire des habitus religieux, impacte les démarches esthétiques, à fortiori le contenu de textes reflétant la criante absence de visions disruptives chez des protagonistes dont le nivellement de valeur(s) au sein du champ approprié ne ressort pas de l’historiographie artistique (par ailleurs très approximative) mais de considérations annexes axées sur des postures aliénantes ou conciliantes.

En cause, toujours un manque notable de démocratie qui pèse considérablement en Algérie sur la liberté de création et d’interprétation.

Saâdi-Leray Farid, sociologue de l’art et de la culture

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