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Algérie : de l’identité d’exclusion à l’identité de cohésion (I)

Grand Angle

Algérie : de l’identité d’exclusion à l’identité de cohésion (I)

Ahmed Ben Bella et Gamal Abdelnasser à Alger ou le début de l’histoire de l’usurpation identitaire algérienne.

Etre Algérien ou ressortissant d’une autre nationalité, c’est signifier un lien de naissance ou d’adoption avec la nation dont nous portons la nationalité (par le sang ou le sol) et par-delà une part de notre identité. Etre Arabe en Algérie, comme le proclament les textes officiels et le commun des mortels, je ne sais ce que cela peut bien dire à moins de croire en l’existence d’un lien avec une nation nommée l’Arabie ! Allez donc trouver cette dernière dans l’espace nord-africain.

Cette mystification, déjà présente et en force dans le mouvement national à l’époque de la colonisation, est réaffirmée et renforcée, à peine l’indépendance acquise, par celui qui allait devenir le premier président de la République lorsqu’il déclara de Tunis : « Nous sommes arabes! Nous sommes arabes! Nous sommes arabes … Il n’y a d’avenir dans ce pays que dans l’arabisme »! Cette déclaration, que rien ne  pouvait justifier à l’époque, ni aujourd’hui et encore moins demain, répondait aux vœux du président égyptien- le colonel Nasser- de placer l’Algérie, comme il a placé la Syrie et l’Irak, dans le giron du panarabisme dont il se voulait le leader incontesté.

L’inféodation au panarabisme et plus tard à l’islamisme, à travers cette provocation de Ben Bella, renseigne sur la volonté du pouvoir naissant de maltraiter la mosaïque ethnolinguistique du pays, comme elle témoigne de sa stratégie d’instrumentaliser, à des fins de légitimation politique, les outils de conscientisation et de mobilisation contre l’ordre colonial : le religieux et la langue arabe. La présence explicite de ces référents dans les textes doctrinaux de base ne laisse aucun doute sur l’affermissement de l’identité arabo-musulmane comme modèle exclusif du pays.

De la proclamation du 1er novembre 1954(«La restauration de l’Etat algérien souverain, démocratique et social dans le cadre des principes islamiques ») à la charte d’Alger de 1964 (L’essence arabo-musulmane de la nation algérienne a constitué un rempart solide contre sa destruction par le colonialisme) en passant par le congrès de la Soummam de 1956 (La langue arabe, langue nationale de l’immense majorité, a été systématiquement étouffée…La religion islamique est bafouée… » et le congrès de Tripoli de 1962 (le rôle de culture nationale consistera, en premier lieu, à rendre à la langue arabe, expression même des valeurs culturelles de notre pays, sa dignité et son efficacité en tant que langue de civilisation … Pour nous l’islam, débarrassé… doit se traduire, en plus de religion en tant que telle, dans ces deux facteurs essentiels : la culture et la personnalité »… la volonté d’uniformisation est explicite et présage de ce que sera l’Algérie indépendante.

Ainsi d’emblée, le pays tourne le dos à son histoire, à sa sociologie, à sa géographie …  pour être arrimé à un monde(le monde arabe) véritable construction idéologique pour reprendre les termes de Mohamed Arkoun.

Cette orientation  idéologique sera gravée dans le marbre des différentes constitutions et autres textes officiels qui définissent l’identité algérienne comme étant exclusivement arabe et musulmane. L’Algérie officielle opère  ainsi un véritable hold-up historique : le pays n’aurait pas de trajectoire propre à l’inverse de ce que d’autres pays se revendiquant pourtant arabe ou musulman ont su valoriser. Les Irakiens se veulent dépositaires de la civilisation préislamique que fut la Mésopotamie ; les Iraniens (non arabes mais fervents musulmans) n’oublient pas la grandeur de la Perse Antique de Darius. A l’inverse les narrateurs du roman national algérien, évacuent les spécificités de cette terre et des peuples qui s’y sont succédé. Le seul élément de singularité historique qui est revendiqué est le soulèvement contre le joug colonial français. 

En somme, l’Algérie ne serait qu’un pays arabo-musulman, dont la trajectoire nationale propre se résumerait à la guerre d’indépendance. Voilà que le pays officiel tourne le dos au pays réel !

Pourquoi une telle orientation idéologique dont nous mesurons encore à peine les dégâts : montée des intolérances, infériorisation  du statut de la femme, dilapidation du patrimoine culturel, liquidation de l’intelligentsia… ?

Pour susciter le débat, il convient de s’interroger comment  les textes officiels fondateurs conceptualisent la problématique de l’identité nationale. Ensuite, nous nous attellerons à cerner les incidences d’une telle conception sur la société algérienne. Pour enfin, tenter d’exprimer des éléments de discussion pour une identité en adéquation avec le substrat culturel de l’Algérie et les impératifs de la modernité.

I – L’identité officielle à travers les textes officiels

« Créer un mythe n’est pas plus un mensonge que de labourer un champ ». Raphaël Aloyisus Lafferty        

L’identité officielle est fixée dans les différentes constitutions du pays à travers ce que l’on nomme : « les constantes nationales ». Examinons  rapidement les principales caractéristiques de ces textes constitutionnels :

La constitution de 1963

Cette constitution, élaborée en catimini à l’insu de l’assemblée constituante, fut plébiscitée par les militants du parti unique (le FLN) dans une salle de cinéma d’Alger, le 31 juillet 1963. Adoptée par référendum le 8 septembre 1963. Il s’agit là in fine d’un premier coup d’Etat.

Dès le préambule, les altérités historiques, culturelles, linguistiques…sont évacuées   au profit d’une langue (l’arabe classique) et d’une religion (l’islam) définies comme des   » forces de résistance efficaces contre la tentative de dépersonnalisation des Algériens menée par le régime colonial ». Cette  proclamation des tenants du pouvoir issu d’un coup de force en juillet 1962 fait alors écho aux  blessures encore vives de la guerre de libération (1954-1962).

C’est ainsi que les articles 4 et 5 disposent que :  » l’Islam est religion d’Etat » et que  « la langue arabe est la langue nationale et officielle de l’Etat ».

La constitution de 1976

Ce texte participe au renforcement des occultations des diversités historiques et culturelles de l’Algérie et de l’Afrique du Nord. L’article 3, particulièrement, met l’emphase sur la langue arabe et sur sa vocation englobante :  » L’Arabe est langue nationale et officielle. L’Etat œuvre à généraliser l’utilisation de la langue nationale au plan officiel »

Plus encore, l’article 19 en son point C, invite les Algériens à : « Adopter un style de vie en harmonie avec la morale islamique et les pratiques de la Révolution socialiste, tels définis par la charte nationale ». Cet article ouvre ainsi l’ère de « l’Algérien nouveau », si chère au colonel président Houari Boumediene! Un Algérien que le colonel veut exclusivement arabe et musulman et « spécifiquement socialiste » entendre par cette dernière formule non marxiste afin de ne pas choquer la bonne conscience des religieux qui constituent déjà un socle sur lequel repose son pouvoir.

La constitution de 1989

Les dispositions de ce texte atténuent l’option pour la Révolution socialiste, la déboumedienisation, entamée par la nouvelle équipe dirigeante, oblige. Toutefois, elles  maintiennent la conception religieuse et linguistique inchangée. L’Islam est religion de l’Etat (article 2) et « l’arabe est langue nationale et officielle de l’Etat » (article 3). Ce faisant Le déni identitaire se perpétue.

La constitution de 1996 modifiée par la loi n°08-19 du 15 novembre 2008 portant révision constitutionnelle

Le préambule de cette nouvelle loi marque un fait nouveau : il est fait mention, pour la 1ère fois,  de la composante amazigh du pays.

La dimension berbère dans la composante nationale est enfin introduite dans sous la pression des puissants évènements qu’a connus la Kabylie en 1980: « …aboutissement d’une longue résistance aux agressions menées contre sa culture, ses valeurs et les composantes fondamentales de son identité que sont l’Islam, l’Arabité et l’Amazighité… ».

Cependant, cette reconnaissance de la composante Amazigh du pays est aussitôt diluée quelques lignes plus loin par la disparition du terme Amazigh dans le rappel des composantes constitutives de l’identité  du pays. L’Algérie est d’abord considérée comme un pays arabe puis méditerranéen et enfin africain tel qu’en dispose la constitution révisée de 1996: « L’Algérie, terre d’Islam, partie intégrante du Grand Maghreb, pays arabe, méditerranéen et africain… ». Certes la reconnaissance des dimensions méditerranéenne et africaine est une avancée qu’il convient de saluer mais il apparait toutefois  que la loi fondamentale du pays hiérarchise les composantes de l’identité, peine à reconnaître la dimension amazighe du pays alors qu’elle  en est le substrat et ne fait mention d’aucune allusion à la langue berbère. Bien au contraire la reconduction in extenso des articles 2 et 3, relatifs à la langue arabe et à la religion, de la constitution précédente  atteste de cette reconnaissance au rabais. Il fallut attendre encore douze ans et beaucoup de combats pour voir enfin la langue amazigh accéder au statut de « langue également nationale » : article 3 bis du texte portant révision de la constitution.

La constitution revisitée en 2016

Tout en maintenant la hiérarchisation dans les composantes de l’identité algérienne (Islam, arabité, amazighité…) et tout en réaffirmant le statut (dominant) de la langue arabe : « l’arabe est la langue nationale et officielle. L’Arabe demeure la langue officielle de l’Etat » (article 3) les tenants des nouvelles dispositions constitutionnelles accordent (enfin) à la langue berbère le statut de langue nationale et officielle. L’art. 4 dispos en effet que « Tamazight est également langue nationale et officielle ».

Il s’agit là d’une ouverture significative en direction du pays réel confirmée, un an plus tard, par l’annonce de deux  mesures spectaculaires : l’Etat algérien décrète yennayer journée chômée et payée ( yennayer est le 1er jour du calendrier agraire chez les Berbères, il est fêté le 12 janvier de chaque année)  et annonce la mise en place prochaine d’une académie en charge de promouvoir la langue berbère.

Comment interpréter cette reconnaissance officielle de la langue amazighe érigée au statut de langue nationale et officielle et les annonces, du 27 décembre 2017, citées ci-dessus ? Tout d’abord, elles sont l’aboutissement logique d’un long combat dont les traits marquants furent les révoltes de la Kabylie d’avril 1980 et 2001 ; elles sont, ensuite, à saluer car elles  laissent croire à un schisme dans l’idéologie arabo-islamique mais elles ne sont pas pour autant satisfaisantes sur toute la ligne au motif qu’elles sont encore loin d’une volonté de refonder l’identité algérienne dans ses dimensions historiques, culturelles, cultuelles et sociologiques.

Deux raisons  pour justifier cette circonspection

 – La première raison  réside dans la formulation de l’article 4 ci-dessus où l’adverbe « également » signifie une  diglossie : la langue berbère, après avoir été longtemps niée voire interdite de citer, se voit reconnaître  un statut. Toutefois, ce statut sociopolitique inférieur et non à l’abri d’une remise en cause comme le laisse supposer l’article 212 de la constitution qui n’exclut de toute révision constitutionnelle que la seule langue arabe. De plus, le fait  qu’elle ne soit pas alignée, comme la langue arabe, langue officielle de l’Etat, laisse supposer que la volonté d’une reconnaissance pleine et irréversible n’est pas encore à l’ordre du jour.

– La seconde est contenue  dans les termes des dispositions du préambule du texte constitutionnel dans lequel les rédacteurs  éprouvent des difficultés à reconnaître explicitement que l’Algérie est d’abord un pays amazigh :  » L’Algérie, terre d’Islam, partie intégrante du Grand Maghreb, pays arabe, méditerranéen et africain, s’honore du rayonnement de sa Révolution du 1er Novembre et du respect que le pays a su acquérir et conserver en raison de son engagement pour toutes les causes justes dans le monde ». Ici encore nous relevons l’occultation délibérée de la dimension amazigh au profit exclusif de l’idéologie arabo-musulmane. Décidément l’encre des rédacteurs du texte constitutionnel éprouve des difficultés pour transcrire le terme amazigh!

Certes quelque chose de fondamental a changé dans la maison Algérie mais cela  ne remet pas en cause la prééminence de l’arabo-islamisme érigé au rang de constantes immuables et imprescriptibles. Qu’en est-il des incidences sur la société algérienne ? (A suivre)

Auteur
Salem Djebara

 




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