Il faut que les choses soient dites pour que les maux se taisent. L’Algérie a vécu plus de la rente et de la gabegie que de l’effort et de l’économie. La règle étant de s’enrichir et non d’enrichir le pays.
L’argent facile fascine. L’argent privé se terre. L’argent public se volatilise. Il s’expatrie vers les paradis fiscaux. Personne ne lui demande des comptes. C’est un « bien vacant ». Il appartient au plus fort. Longtemps sevrés par la colonisation, les algériens mettent les bouchées doubles.
Ce n’est plus le doigt qu’on met dans le bol de miel pour y gouter mais toute la main qui y passe sans se rassasier. La richesse distribuée ne craint pas de se montrer au grand jour tandis que les inégalités sociales s’accroissent. La consommation devient ostentatoire, signe de distinction de classe, tous sont malades de l’argent, tous finalement regardent vers les revenus pétroliers et gaziers pour étancher cette soif.
Cela commence très tôt, par des mariages somptueux ostentatoires avec tintamarres et fanfaronnades, puis devenus jeunes parents, nous nous mettons à travailler à deux pour gagner plus d’argent, nous confions la garde et l’éducation de nos enfants en mal d’affection aux crèches.
Nous avons notre propre appartement, il ne nous suffit pas, nous voulons un autre pour le louer et avoir plus d’argent. Nous disposons d’une belle voiture familiale, comme nous n’avons pas le sens du partage, nous voulons une deuxième pour notre fille et une troisième pour notre fils. Devenus riches grâce aux « affaires » et aux « réseaux », nous bâtissons des « bidons-villas » à plusieurs étages dans les quartiers populaires que nous transformerons plus tard en bazars ou en entrepôts.
Et cela ne s’arrêtera pas là. Sur conseils de nos proches, nous construisons sur des terres agricoles des demeures royales, avec « jardins importés d’Andalousie » et de nombreux domestiques venus d’Afrique noire, dans des endroits réservés spéciaux très sécurisés avec des clôtures en béton, des caméras cachées de surveillance et des agents de sécurité tout autour. Nous avons peur de notre ombre.
Nous fuyons la vérité et nous nous refugions dans le mensonge. Le regard de la société nous hante. Qui oserait serpenter les rues d’Alger sans garde rapprochée ? Pourtant, nous poursuivons notre route vers plus de biens. Et avec tout cela, nous ne sommes jamais contents, nous voulons toujours plus.
Nous achetons des résidences dans des quartiers huppés des grandes capitales étrangères que nous occuperons que rarement et généralement pour un court séjour. Cette course vers plus de richesses ne finira jamais. « Rien n’apaisera le ventre d’un fils d’Adam sauf la poussière de sa tombe » (hadith). Une fois que nous atteignons l’âge de la vieillesse, c’est au tour de nos enfants devenus adultes de nous ’envoyer à leur tour dans des maisons de retraite au moment où nous avons besoin d’aide pour aller aux toilettes.
Des maisons de retraite ou hospices pour les initiés d’inspiration de la charité chrétienne, qui n’ont ni leurs moyens, ni leur organisation, ni leur personnel qualifié pour finir par devenir au début par un univers carcéral, ensuite un asile psychiatrie et enfin un mouroir. Des vieux, ces « déchets de l’humanité » qu’on est pressé de faire disparaître de la vue des vivants ; nous récoltons dans la vieillesse ce que nous avons semé dans notre jeunesse.
Nous avons fait de notre progéniture des enfants rois, alors pourquoi s’étonner qu’ils deviennent des adultes tyrans ; la richesse ne nous épargne ni de la cruauté de nos enfants, ni de la maladie, ni de la vieillesse, ni de la mort. Malades et abandonnés par nos enfants, nous partons nous soigner dans les hôpitaux parisiens, recherchant la quiétude et finir nos jours dans les bras de notre mère patrie la France.
Nos grands-parents ont participé la libération de la France de l’occupation nazie ; nos parents l’ont aidé dans sa reconstruction ; nos enfants se sont installés durablement sur le sol français. Une fois décédés, de retour sur notre sol natal dans des cercueils plombés pour être enterrés selon le rite musulman dans un cimetière populaire par des gens que nous n’avons jamais côtoyés durant notre vie entière. Nous vivons à l’occidentale et nous sommes inhumés à l’orientale Une fois mis sous terre, nos enfants s’entretueront pour le partage de l’héritage tout en nous méprisant. Seule la mort arrête cette course infernale vers plus de richesse, plus de gloire, plus de plaisir.
Nous cherchons en vain notre bonheur dans la possession des biens matériels. En vérité, ce n’est pas nous qui possédons les biens, ce sont les biens qui nous possèdent. Plus nous avons de biens, plus nous en voulons, moins nous avons de temps pour nous-mêmes. Le bonheur n’est pas dans la possession des biens mais dans la possession de soi.
Jeunes, nous usons prématurément notre santé pour gagner plus d’argent, vieux nous dépensons cet argent pour retaper cette santé vacillante. Nous pouvons acheter des lunettes mais nous ne pouvons pas acheter la vue, nous pouvons nous offrir un lit luxueux mais nous ne pouvons pas acheter le sommeil, nous pouvons acheter du sexe mais nous ne pouvons pas acheter l’amour. Tout cela et infiniment plus est un don de Dieu et non un produit de l’homme. Il est vrai d’affirmer qu’un minimum de confort est nécessaire à l’exercice de la vertu comme il est juste de dire que l’extrême pauvreté comme l’extrême richesse mènent vers l’impasse.
La solution est dans le juste milieu: La tradition musulmane nous apprend que se lever le matin en bonne santé physique et mentale et disposer pour soi et sa famille de quoi se nourrir la journée vous donne le sentiment de posséder les biens de la planète toute entière. Evidemment le contentement est une valeur qui a perdu ses lettres de noblesse par les temps qui courent. Dans ce monde, nous ne sommes qu’un numéro dans une course effrénée vers plus de richesses.
La consommation devient ostentatoire, signe de distinction de classe, tous sont malades de l’argent, tous finalement regardent vers les revenus pétroliers et gaziers pour étancher cette soif. La richesse distribuée ne craint pas de se montrer au grand jour tandis que les inégalités sociales s’accroissent. La corruption et la mauvaise gestion des ressources conduisent la majorité de la population à un appauvrissement certain.
Un argent qui formate les cerveaux, endurcit les cœurs, enlaidit les corps, anesthésie la société, pourrit la politique. Si l’on avait rêvé un jour de prendre à l’occident la science et la technique en gardant son âme, il semble que l’on est en train de perdre son âme sans réussir à maîtriser cette science et cette technique.
Malheureusement, les discours ont peu d’effet puisqu’on a pris l’habitude de consommer sans produire, de dépenser sans compter, de gérer sans rendre compte, de gouverner sans la participation pleine et entière des larges couches de la population. Le pétrole n’aurait été qu’un mirage dans un désert. « Les mirages sont en quelque sorte le mensonge du désert » écrit Jean Cocteau.
Dr A. Boumezrag