La mémoire historique des Algériens n’a jamais été séquestrée dans les seules boîtes des archives de France et de Navarre. Elle a été spoliée par un bon nombre de pays européens et ce depuis le XVe siècle. Leur hantise coloniale avait bien débuté par cette Barbaria qu’ils inscrivaient sur leurs cartes marines. Et quelles cartes ?
Ne devrions-nous pas penser à élever des légions algériennes de fouineurs d’archives et les parachutés de par le monde pour pouvoir assembler ce qui représentent comme débris de faits historiques.
La commission algérienne chargée d’études sur les archives de la période coloniale, entre « Badisisme » et « Novembrisme », a bien abandonné son historicisme au niveau du Bastion-23 et cela pose un réel problème sur le véritable rôle de ce « bureau d’étude ».
Leurs confrères parisiens ont été bien désignés. Les « cinq doigts de la main » experte, comportent deux femmes dont l’une est Algéro-Française. Leur tâche : se ronger les ongles dans la poussière millénaire d’une histoire qui n’est nullement commune.
Les devoirs de chacune des commissions ont été admirablement dilués dès le communiqué algéro-français du mois d’août dernier. Il est question d’un travail dans « le respect des mémoires » et dans une « paisible appréhension d’un avenir » qui ne se détermine que par les événements à venir.
En termes clairs, « c’est une fausse solution à de vrais problèmes », précise Hosni Kitouni de l’Université d’Exeter (UK) lors d’une interview qu’il donna à Middle East Eye du 8/12 en cours. Il est clair que nous n’avons nullement besoin d’embrouilles supplémentaires lorsqu’il est question de notre mémoire historique bien spécifique que nos premiers historiens, d’Ibn-Khaldoun à Mohammed Harbi, ont disséquée afin de la faire connaître au reste du monde.
Nous savons pertinemment en Algérie que le fait colonial porte une multitude de signatures en plus de celle de la France qui fut en pleine mutation capitaliste. Les plans d’envahir le pays des hommes libres datent du siècle des Lumières, un siècle de la codification de l’esclavage africain aux Antilles. En Algérie, il est question de conquête coloniale européenne, bien concurrente l’une de l’autre.
« La Suisse traite sa vache paisiblement »
La phrase est de Victor Hugo, un célèbre vers extrait de La Légende des siècles (1859) où il est dit aussi que ce pays, dont l’indigence éclairant l’univers, n’est pas du tout aussi loin de notre misère coloniale. La Suisse de la colonisation en Algérie se nomme, Georges Henri Borgeaux (1826-1964) un des fondateurs de l’Ecole d’agriculture de Rouiba en 1882, il a été propriétaire du domaine de la Trappe de Staouéli, après avoir été consul de son paisible pays en Algérie. Sénateur d’Alger de 1946 à 1958, il fut le seigneur des colons européens dans le pays. Henri Dunant (1828-1910), un Genevois et fondateur de la Croix-Rouge et prix Nobel de la Paix en 1901, est le terrible architecte de la mission coloniale suisse en Algérie. Travaillant pour le compte de la Compagnie Genevoise, il prépara l’arrivée des premiers 300 colons suisses à Sétif et sa région. Il collabora fortement dans l’expropriation des forets de l’Akfadou, de l’Edough (Annaba) et celles du chêne-liège de Jijel et du nord constantinois tout entier.
Il y a encore, Eugène Daumas (1803-1871) qui mena ses compagnes militaires contre l’émir Abd-el-Kader sous les ordres des généraux Lamoricière et Clauzel, il sera le chargé des affaires « indigènes » en Algérie et concepteur des Bureaux arabes qui ont recrutés des Arabes chrétiens de Syrie et du Liban pour traduire le parler algérien ! Enfin, le général exterminateur Alexandre-Charles Perrégaux (1791-1837) qui succombera suite à une balle à la tête durant la seconde expédition militaire contre la ville de Constantine.
Aux premières années de la colonisation de l’Algérie, ce sont les Suisses et les Allemands de Rhénanie qui prirent part à l’extermination des grandes tribus algériennes. Leur enrôlement pour la première Légion étrangère est lourdement documenté. Alors que l’appel au recrutement exigeait quelque 6% de Suisses et 43% d’Allemands, les citoyens des « Trois Suisses » d’antan ont formé les premiers adorateurs de l’aventure sanguinaire et ils formaient quelque 18% de l’armée coloniale.
Mais la force de frappe de la colonisation dans son ensemble nous parvenait d’une société financière bien suisse. La Compagnie Genevois du comte François-Auguste Sautter de Beauregard qui a bénéficié de l’exploitation de 22 229 hectares des terres archs des Medjana et du Constantinois. Le plan était de construire entre 1852 et 1867 quelque 21 villages suisses dans la région de Sétif, cette dernière comptait déjà 3 000 habitants transalpins. S’enrichissant grâce à la spéculation foncière, le comte de Beauregard finit par être la 1ere fortune de la colonie-Algérie aux côtés de la Compagnie algérienne, la Société Générale et la BN Paris-Pays-Bas. Exploitations forestières et déplacements des populations faisaient partie de ses cahiers de charges.
Devrions-nous mettre une commission d’études algéro-helvétique afin d’exiger des réparations matérielles et historiques à ce pays bien effacé et tranquille ? Que dire des Allemands, Espagnols, des Italiens et des Maltais de la minuscule île-forteresse de la chrétienté-armée ? Autant le demander aux Vandales, Phéniciens, Romains, aux Ottomans et autres anéantis de l’histoire. L’Histoire ne fonctionne jamais comme une machine à remonter le temps. Elle est une matière vivante, elle ne peut être aussi réduite à un champ heuristique. C’est un long travail de prospection et d’études qui nous permettra de construire et de consolider notre identité plurielle, l’articuler autour de notre avenir afin d’éviter les erreurs d’antan.
Becqueter vos mémentos !
Durant le chadlisme jusqu’en 1989, on nous a bien bercés par le refrain idéologique qui nous disait que « notre histoire a bien été volée par la France coloniale » et qu’elle est en possession, de toutes nos archives. Il y a tout juste sept ans, que nous entamions un travail d’archives sur le premier quotidien du soir d’après 1962, Alger-Ce soir et que l’ensemble des numéros étaient au niveau des archives de la wilaya d’Alger, nous avions entretenu le premier responsable de cette institution sur la véracité de ses propos. La réponse était accompagnée d’un grand air d’étonnement : « Jamais. Il leur a fallu tous les cargos du monde pour transporter les 150 années de colonisation ». Nous parlions d’archives de toutes natures, y compris celles des différentes polices coloniales.
La France, avec le regain de violence et le néofascisme, est parée d’un visage labouré de rides de notre Histoire. Elle tente une énième fois de tirer profit des deux commissions dont l’objectif réel est avant tout de régler ses propres questions internes qui résonnent fortement dans l’opinion française. L’Algérie n’est qu’un « cheval de Troie » dans l’imaginaire de l’Elysée.
Mohamed-Karim Assouane, universitaire