La relation algéro-française est des plus singulières. Soixante ans après l’indépendance de l’Algérie, cette relation est aussi sujette à la méfiance qu’elle l’était au temps des négociations des Accords d’Evian.
Sept chefs d’Etat en France et autant en Algérie se sont succédé depuis sans qu’aucun n’ait réussi à la placer sur de bons rails, sur la bonne voie qui est celle du réalisme, des intérêts mutuels et de la vision stratégique hauturière.
Sous chacun d’entre eux il y a eu un déraillement provoqué par un rien, un propos jugé vexatoire ou une position réputée provocatrice, qui a tout de suite pris une dimension catastrophique et ouvert une ère de bouderies ruineuses pour les intérêts réciproques, en attendant qu’un mot flatteur ou un geste de solidarité vienne l’effacer aléatoirement mais pour un moment seulement.
On ne construit pas l’avenir sur du mépris, des haines inassouvies, du ressentiment ou des malentendus. L’Algérie et la France ne pourront pas tisser une relation viable et durable tant que la question mémorielle n’aura pas été réglée. Cette question est essentielle pour les Algériens qui n’exigent pas des Français ce qu’eux-mêmes ont exigé des Allemands : reconnaître leurs torts, juger les criminels de guerre (Nuremberg) et supprimer de leur histoire la période 1933-1945.
Ce n’est qu’après avoir levé la question mémorielle que la France et l’Allemagne ont pu se réconcilier et se dévouer au projet d’un avenir commun qui a commencé à deux avec une coopération sur le charbon et l’acier, et s’est achevé à vingt-sept sous forme d’Union européenne.
Lorsque cette hypothèque aura été levée, il deviendra alors possible de s’élever à une appréhension commune du présent et du monde qui se profile, un monde porteur de bouleversements inédits et de dangers colossaux.
La guerre d’Ukraine ouvre un chapitre nouveau et inconnu de l’histoire humaine. Ce pourrait être aussi celui de sa fin. Elle est en train de changer subrepticement le monde. La géopolitique européenne a modifié les équilibres géostratégiques mondiaux qui pourraient, par un effet de cascade, conduire l’Algérie et la France à se positionner dans des camps opposés.
Nous n’assistons pas à l’avènement d’une ère multipolaire, mais à la montée en puissance d’un modèle de pensée qui va effacer plusieurs siècles d’efforts tendant à inscrire la résolution des problèmes de la condition humaine dans une perspective universelle.
Nous sommes les témoins d’une renaissance fulgurante et synchronisée d’anciens empires (Empire du milieu, Empire russe, Empire ottoman, Empire perse), pleins de «l’affirmation de soi » contre les idéaux universels, justement, et dotés de capacités destructrices sans précédent.
La visite du président Macron en Algérie sera-t-elle une énième séquence infructueuse à inscrire sur la longue liste des occasions ratées, ou l’occasion d’un sursaut moral, politique, diplomatique et économique face aux enjeux de l’avenir ?
Le contexte mondial incite à regarder vers le futur plutôt que de demeurer les otages d’un passé clivant et inapte à fournir les bases d’une relation apaisée, solide, créatrice d’opportunités de développement et de prospérité pour les deux pays.
Nour-Eddine Boukrouh