24 avril 2024
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Algérie : gouverner c’est importer, gérer c’est dépenser 

L’économie algérienne est une économie largement ouverte sur l’extérieur, les exportations d’hydrocarbures constituent l’unique possibilité sinon l’unique recours au financement d’un vaste programme d’investissement et d’importation. Les recettes pétrolières et gazières représentent 98 % des revenus en devises du pays et couvrent plus de 75 % des besoins des ménages, des entreprises et des administrations.

Etant propriétaire des gisements pétroliers et gaziers, l’Etat a donc le droit de s’approprier la rente qui la conforte dans la gestion de l’économie et de la société. L’existence d’une rente importante a permis aux salaires d’absorber l’ensemble des pertes de productivité ; le développement du pouvoir d’achat n’est pas suivi d’une offre substantielle et finit donc par aller gonfler la demande d’importation. La prodigalité peut être largement montrée à travers une logique distributive particulièrement due à une politique d’emplois improductifs et des salaires sans rapport avec les normes d’encadrement et de productivité. L’Etat, en généralisant le système de distribution sans contrepartie productive offre des avantages aux favoris du système c’est-à-dire à la couche au pouvoir et à sa périphérie. Pour bénéficier de tels avantages, il suffit de jouir d’un « capital relations » assez important ; il n’est pas besoin d’avoir davantage d’argent. Plus encore, ces nouvelles fortunes se développent sous la protection de l’Etat qui leur réserve l’accès à ce marché. L’abondance des ressources a permis de reléguer à l’arrière-plan tout effort en offrant à une population un minimum rendu possible par un environnement international favorable.

C’est la politique de « la carotte au bout du bâton » qui va s’installer durablement en Algérie pratiquée tant localement que par l’étranger. L’absence d’autorité légitime maintient le niveau de production et de productivité au plus bas, un niveau de gaspillage et de dilapidation au plus haut et un niveau d’instruction et de formation au plus bas. De plus, il suffit de considérer les graves dysfonctionnements dont souffre actuellement l’Algérie pour se persuader qu’une forte croissance de revenu en devises ne mène pas nécessairement au développement économique. La légitimité historique s’amenuise sans disparaître pour autant. Une hérédité sociale semble se mettre en place et par laquelle se transmettent des positions de domination et se perpétuent des situations de privilèges.

L’erreur de la stratégie algérienne de développement réside à notre sens dans l’automatisme qui consiste à vouloir se débarrasser de ce que l’on a au lieu de l’employer productivement chez soi.

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La finalité de l’économie fût ainsi dévoyée, car il ne s’agissait pas d’améliorer ses conditions de vie par son travail mais par celui des autres grâce au relèvement des termes de l’échange avec l’extérieur.

Or, il nous semble qu’une amélioration des termes de l’échange avec les pays développés ne peut être acquise que par une valorisation du travail autochtone. L’insertion dans le marché mondial fragilise l’Etat algérien soumis aux aléas de la conjoncture mondiale. La richesse pétrolière et gazière a façonné tout un comportement social à l’égard de la consommation, des investissements, de l’emploi et du monde des affaires.

Le pays s’est mis à « importer » le développement (industrie industrialisant) pour finir par «importer » la survie (vaccin anti-covid-19), évolution qui a entraîné une expansion considérable du secteur des services et de l’administration et une quasi-disparition des activités traditionnelles comme l’agriculture, l’artisanat, la pêche etc… Les revenus pétroliers ont gagné le secteur privé via les dépenses gouvernementales, toute une série de mécanismes de redistribution  ont débouché sur la création de fortunes privées. La rente énergétique est responsable des profondes modifications des structures économiques et de leurs caractéristiques sociales.

Au cours de la décennie 70, l’explosion des prix pétroliers avait amené les gouvernements à supposer que la croissance des revenus pétroliers se poursuivrait à des taux très élevés d’où le recours abusif à l’endettement. De telles attentes ont entraîné une estimation erronée des perspectives futures et encourager une idée fausse étant donné le manque de ressources autres que le pétrole ou le gaz.

L’idéologie du développement, la construction de l’Etat et le décollage économique ont eu comme conséquence la démobilisation de la société et son indifférence vis à vis des problèmes du pays. Tout un comportement social à l’égard de la consommation, de l’emploi, et du monde des affaires a été façonné par la rente énergétique. Elle a donné naissance à une véritable débauche des dépenses publiques et à une grande auto-complaisance en matière de politique économique et sociale.

Elle a constitué un soporifique en masquant  toutes les insuffisances  en matière de production  et de gestion. Elle a donné naissance à une classe de privilégiés assoiffés de richesses matérielles surtout d’origine étrangère. Les variations constitutionnelles, la confection des lois et les pratiques institutionnelles ne sont tendues  en réalité que vers la consolidation et la mainmise de la petite bourgeoisie sur l’Etat, les sources d’accumulation, et les prébendes distribués par le capital international.

L’Etat devient une réalité incontournable pour survivre ou s’enrichir. Les solutions technocratiques fondent l’exclusion de larges segments sociaux  de l’Etat et du processus de développement.

L’histoire postcoloniale démontre en effet que l’Etat dans son extension  a réussi à dominer la société et non à la servir.

De plus la stratégie conçue et mise en œuvre par l’Etat s’intègre parfaitement  dans la ligne de valorisation du capital des multinationales et ne pouvait se poursuivre que par un endettement externe important  gagé sur l’existence réelle ou supposée des ressources potentielles en hydrocarbures.  A l’intérieur, ce modèle ne cesse d’accentuer les antagonismes sociaux et de faire baisser le pouvoir d’achat de la majorité de la population. L’Etat, en tant que structure institutionnelle est discrédité, politiquement et économiquement.

Le pays qui serait capable de relever le défi de cette fin du vingtième siècle est celui qui comprendra la nature historique que traverse le monde actuel. Il est donc nécessaire d’avoir à la tête de ce pays, des hommes qui saisissent la réalité historique. La présence massive des universitaires dans le Gouvernement, à la Présidence, et dans les partis politiques, sont des indices de l’enjeu que constituent aujourd’hui les universités, la recherche et la création dans la mise en ordre politique, économique et culturel. Un danger, cependant est à craindre, c’est de voir les enseignants et les chercheurs s’orienter vers des stratégies individuelles d’ascension sociale et d’accumulation financière au service de la bureaucratie d’Etat.

Pour définir les solutions préconisées par la Direction politique du pays en direction des entreprises publiques, trois raisons fondamentales sont généralement avancées : la première raison réside dans la totalité des représentations d’un ordre économique satisfaisant que les dirigeants actuels de l’Algérie ont acquis pendant leurs études.

Les forces dirigeantes actuelles de l’économie et de la société algérienne ont acquis leur formation professionnelle et universitaire en majeure partie en France ou dans des établissements orientés en direction de la France, avant ou après l’indépendance. La deuxième raison pour la préférence d’une économie dirigée centralement dominée par l’Etat est à constater dans les intérêts acquis depuis l’indépendance et consolidés par leur présence au sein ou à la périphérie du pouvoir.

Les intérêts de la classe politique s’orientèrent vers la conservation de cet ordre. Une troisième raison qu’il avance réside dans la pauvreté des débats académiques politico-économiques. D’un point de vue général ou d’un point de vue particulier les travaux publiés sont qualifiés par l’auteur de sans importance et superflus. Ils ne se distinguent pas par la déduction de conclusions politico-économiques s’appuyant sur du matériel empirique ou alors mettant le pied sur une terre neuve ; c’est à dire proposer une analyse des problèmes orientée vers des solutions sur la base de faits empiriques.

L’objectif technocratique est en fait d’envisager le développement et la démocratie, non comme des questions politiques mais comme des questions techniques.

C’est pourquoi le processus de démocratisation de la vie économique et politique à tendance à se concrétiser non pas en termes de nouveaux espaces pour la société civile mais d’aménagement au sein du secteur économique public et de l’appareil de l’Etat. L’exploitation de la récente discussion académique sur l’économie politique a montré comment la direction politique du pays se prive elle-même et à un haut niveau, d’un potentiel de renouvellement à cause d’une formation idéologique marquée et d’intérêts précaires bassement matériels.

La plupart des dirigeants qui se sont succédé de l’indépendance à nos jours semblent considérer l’Etat comme le « veau d’or », qui par sa nature et sa puissance doit résoudre tous les problèmes auxquels il se trouve confronté ; ce qui explique en partie le fétichisme de l’Etat et le culte du pouvoir fort.

Les revenus pétroliers et gaziers constituent la principale ressource du pays. Grâce à ces revenus, l’Etat s’est démarqué de la société. Du fait du contrôle par l’Etat des recettes pétrolières, l’appropriation de cette richesse étant le fait de l’Etat, l’accès à une part de celle-ci dépend de la participation au pouvoir c’est à dire de la classe qui domine l’Etat ou du moins se confond avec l’Etat. La couche sociale au pouvoir choisit d’appuyer le développement sur les recettes pétrolières c’est à dire sur l’extérieur plutôt que sur le travail c’est à dire les forces internes productives.

Cette richesse pourtant loin d’être porteuse d’une possibilité d’indépendance est au contraire indice d’une dépendance totale à l’égard du marché mondial et des sociétés multinationales qui le dominent puisqu’elle s’accompagne de l’impossibilité absolue d’en contrôler la source.

De plus, cette richesse provenant de l’extérieur fait l’objet d’une demande de redistribution que l’Etat ne peut maîtriser pour importer les biens de consommation de base d’où le recours à l’endettement pour combler une réduction des recettes pétrolières. Il apparaît donc clairement que la rente pétrolière, instrument de domination et de dépendance, tant qu’elle est la source essentielle pour ne pas dire exclusive d’enrichissement de la classe dominante entrave la formation des classes telles que la bourgeoisie et le prolétariat, acteurs indispensables d’une économie de marché.

D’un côté, la classe dominante, pour asseoir son pouvoir, avait intérêt à favoriser la population en développant une politique de redistribution élargie à toutes les catégories sociales, ce qui lui a permis de repousser la lutte des classes à plus tard. De l’autre la majorité des citoyens ne peut que tenter d’obtenir une part plus grosse du « gâteau », à moins de rejeter le système. En réalité, ils n’ont ni les moyens, ni véritablement intérêt  à  remettre en cause ce système qui leur permet d’espérer un niveau de vie relativement acceptable sans fournir d’efforts en conséquence.

En effet, ce sont les ressources offertes par le pétrole, le gaz ou l’endettement qui permettent l’augmentation générale des salaires sans croissance correspondante de la productivité. Cette situation est appelée à être dépassée au fur et à mesure que les agents économiques et sociaux prennent conscience de leur autonomie et au fur et à mesure que l’économie devient productive, féconde et créative.

Dr A. Boumezrag

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