Lundi 9 mars 2020
Algérie : « Indépendance nationale » !
Les Algériens refusent totalement l’ingérence des pétromonarchies comme ce fut le cas avec Bouteflika.
L’un des slogans phare des manifestations populaires, à côté de la revendication «Etat civil, pas militaire», est sans conteste «indépendance, indépendance !».
La permanence de ce slogan dans toutes les manifestations et dans toutes les villes et villages du pays exprime un sentiment fort de domination : nous ne sommes pas indépendants malgré l’indépendance formelle obtenue en juillet 1962, à la fin de la colonisation. Ce sentiment réel et partagé n’est pas une fiction.
Les grandes étapes de domination du peuple et de vassalisation du pays sont connues :
La prise du pouvoir en 1962 par l’armée des frontières (en fait, l’armée de l’extérieur) suite au coup d’État contre le GPRA qui avait négocié l’indépendance avec la France, est la première explication de cette « indépendance confisquée», pour citer l’ouvrage de Ferhat Abbas, premier président du GPRA. La suite est malheureusement une succession de soumissions impactant l’indépendance nationale, jusqu’à nos jours :
L’ingérence égyptienne accentuée dès 1962
Le pouvoir personnel et l’arabo-islamisme de Ben Bella et Boumediène avaient lié le sort de l’Algérie à la grande ‘’nation sœur’’, dans une ingérence insistante, traduite par le génie populaire qui attribuait à Gamal Abdelnasser cette phrase lourde de sens : « El Gazaïr tekfi-na wa tekfi-kum » (l’Algérie nous suffira (à nous Égyptiens), et vous suffira à vous (les Algériens) ».
La période de ‘’glaciation’’ qui a suivi le coup d’État de 1965 s’est imposée par la terreur de la police politique (S.M.), le pouvoir militaire absolu et l’aventurisme politique et économique qui ont fini par marginaliser le peuple et son exclusion de la scène politique. Le parti unique et l’armée s’étaient approprié le pays et ses ressources… « au nom du peuple et de la révolution de 1954 ».
La vassalisation du pays par la soumission aux dynasties du Golfe et l’injection de l’islamisme dans le champ politique algérien avait commencé avec le règne de Chadli Bendjedid, puis l’explosion d’octobre 1988. Les islamistes étaient financés et instrumentalisés par les royaumes orientaux. La destruction du pays et l’élimination physique de tous ceux qui réfléchissaient et qui pouvaient s’y opposer allait commencer. Le bilan des dégâts humains, sociaux, culturels et économiques n’ont pas été établis à ce jour pour pouvoir demain tourner la page.
La soumission totale aux dynasties arabes avec Bouteflika.
La désignation de Bouteflika comme président de la république en 1999 a consacré l’entrée des groupes de pression émiratis et qataris au sein de l’État algérien. Bouteflika était leur obligé pendant des années et le retour d’ascenseur a été très rapide, dans tous les domaines de l’économie et de l’immobilier spéculatif.
Aujourd’hui, c’est bien entendu, ‘’On ne touche pas à Abdelaziz Bouteflika !’’ malgré le lourd bilan de ses 20 ans de pouvoir et de corruption.
C’est le veto des émirats orientaux qui accueillent une part des fortunes des hommes du système politique. Pour ceux qui ont des doutes, le défilé des visiteurs algériens aux Émirats et en Arabie Saoudite (Ahmed Gaïd Salah, Saïd Chengriha, Abdelmadjid Tebboune, …) est là pour les convaincre.
Lutte contre la corruption et indépendance nationale.
Le spectacle affligeant des procès d’une partie des anciens dirigeants politiques n’intéresse personne.
C’est perçu, au mieux, comme une lutte de clans de plus. Mais, il y a toujours un ou des bénéficiaires de ces corridas judiciaires : pendant qu’on occupe la scène médiatique avec ces affaires, on ne parle pas d’autres choses beaucoup plus importantes : le départ du système politique actuel revendiqué pacifiquement par le Hirak depuis une année et la protection de l’économie et de l’indépendance nationales. Ces deux exigences sont intimement liées.
Indépendance nationale ou… vassalisation
Les 15 ans de lutte contre l’islamisme politique et les 200 ou 300 000 morts ont guéri les Algériens de toute tentation islamique. Sans baisser la garde définitivement, le mouvement pacifique de février 2019 a montré que le danger n’est pas de ce côté (1) et (2).
Le clivage actuel entre deux projets de société antagonistes peut être vu sous l’angle de l’indépendance nationale :
1. D’un côté le mouvement de dissidence populaire (Hirak) revendique l’émergence d’une nouvelle Algérie, démocratique et plurielle, assurant l’égalité des citoyen(ne)s, bâtie sur la légitimité des urnes. C’est le projet d’une Algérie indépendante dans ses décisions, dans une perspective unitaire nord-africaine, et s’inscrivant dans la continuité historique de plusieurs millénaires.
2. De l’autre, le magma militaro-arabo-islamiste, projetant l’avenir d’une Algérie dominée, vassale des puissances étrangères d’Orient et de l’Occident.
Il y a une convergence d’intérêt manifeste entre une partie de la hiérarchie militaire, qui use et abuse du discours nationaliste pour endormir le peuple, et les forces conservatrices islamistes, qui ne se situent que dans une perspective de dépendance dans l’utopique Oumma islamique, dont la tête est toujours en Orient.
Cette convergence se situe aux niveaux politiques et économiques
Pendant que le théâtre politique se déroule en direction de l’Orient arabe (visites en plein Hirak d’Ahmed Gaïd Salah, Chengriha, Tebboune , …) pour probablement instrumentaliser encore une fois l’inutile ligue arabe, manipuler le problème israélo-palestinien, ou recueillir les consignes pour la gestion du pays et contrer le peuple algérien qui s’émancipe, une dépendance économique d’une grande ampleur, installée d’abord par Bouteflika, est en train de se renforcer pour assurer une dépendance alimentaire et commerciale totale au profit des sociétés de négoce émiraties, qataris ou saoudiennes.
Cette mise sous tutelle économique et alimentaire du pays par des montages de sociétés intermédiaires émiraties, qataris ou autres est un danger pour la souveraineté de l’Algérie.
Ce réseau de société intermédiaires contrôlerait à terme la vie économique nationale. Demain, chaque Algérien paiera deux fois le prix de la baguette de pain : une part pour le fournisseur européen de farine, une part pour l’intermédiaire émirati. Ce schéma n’est pas exagéré. Cette semaine on a fermé une usine Danone en Algérie, pour probablement importer des ‘’yaourts émiratis’’… fabriqués en Hollande.
A cette dépendance économique et alimentaire suivra la systématisation l’usage de la violence, l’instrumentalisation de la justice et la dépendance culturelle et politique. L’interdiction sans fondement juridique du drapeau amazigh s’inscrit dans cette politique. L’absurde se poursuit : L’État interdit l’usage des caractères latins pour écrire la langue tamazight. Aujourd’hui on interdit la parution d’un quotidien (Tiɣremt), et demain on interdira la publication de livres pour enrayer la grande dynamique de production en cours. Ceci n’est pas une décision algérienne.
C’est tout cela que le Hirak entend balayer définitivement, pour passer à la nouvelle Algérie à laquelle aspire tout un peuple !
AU.L.
Notes :
(1) Les conservateurs toujours dans la soumission : Abderrazak Mokri, responsable du MSP, propose de déplacer la capitale algérienne à l’intérieur du pays, mais il ne dit pas de quel pays. Probablement l’Arabie Saoudite, le Qatar ou les Émirats, en bon vassal de ses maîtres arabo-islamistes orientaux. Par hypocrisie, M. Mokri ne dit pas le fond de sa pensée qui est perceptible à mille lieues : il voudrait tout simplement une capitale dékabylisée. Abderrazak Mokri, comme tout le vieux personnel politique issu du néo-FLN et islamiste est toujours dans le tribalisme, le régionalisme et l’exclusion d’une partie des citoyens, qui ne seraient pas ‘’totalement des citoyens’’, de son point de vue. Sur ce point, Abderrazak Mokri ne diffère pas de ceux qui sont à El Mouradia ou aux Tagarins et qui vont prendre leurs consignes à Ryad, Doha ou Abou Dhabi….
(2) Le faux débat suscité par la visite rendue par Bouregaa et Bouchachi à Ali Benhadj.
Ali Benhadj joue la victimisation pour susciter la pitié puis la solidarité de la jeunesse algérienne. C’est une recette bien connue de l’extrême droite en Europe (FN particulièrement) ; le reproche souvent entendu : « L’État sauvage qui ne le laisse même pas aller prier dans la mosquée de son choix, ou participer aux manifestations publiques… ». Cet acharnement sur Ali Benhadj est perçu comme une taghennant/hogra/injustice , méthode d’un État voyou. Nos journalistes peuvent aller interviewer les jeunes de Bachdjarah, Ben Omar, Hay El Badr, El Harrach… ils seront surpris par leur réaction. La justice ne l’a pas condamné à une assignation à résidence quand il a été jugé et condamné à 12 ans de prison ; peine qu’il a purgé. Ali Benhadj utilise intelligemment cette répression extra-judiciaire pour entretenir son aura auprès d’une partie de la jeunesse algéroise, et le pouvoir est complice. Cependant, personne ne doit se faire d’illusions. Cet homme n’est pas devenu soudainement démocrate, il est toujours le même , prêt à faire brûler le pays pour assouvir ses désirs de pouvoir… au nom de Dieu et de la chariaâ !
Si cette éventualité se concrétisait, la note ne serait pas 200 000 morts, mais le double ou le triple. Mais cela, les Algériens le savent.