En Algérie, depuis avant la conclusion de la lutte de libération nationale par l’indépendance chèrement acquise par la lutte du peuple, le pouvoir politique n’a fonctionné et tenu que grâce au sacro-saint consensus formel encadré par la puissance militaire. Cette dernière, véritable ossature, légitimée et consacrée par l’histoire de la révolution de novembre 1954, est reconduite, reproduite et remise à l’ordre du jour dans la marche du pays.

Instrumentalisée pour recréer perpétuellement un consensus pour équilibrer les rapports des forces dans la société, sauvegarder le statu quo et simuler une transformation qui n’en est pas une, et garder l’ordre des choses in fine. 

Tous les subterfuges sont utilisés et toutes les pseudo-élites et leurs pseudo-conceptions sont mises à contribution pour dévoyer les revendications populaires (telles celles revendiquées haut et fort par le mouvement en cours, faussement qualifié de Hirak, alors qu’il s’agit d’une véritable et authentique révolution blanche) et inverser leur sens !

Les derniers développements sur la scène politique illustrent on ne peut mieux cette vieille démarche, éculée et usée. 

L’armée par la voix de son chef d’état-major a montré qu’elle « guidait » le mouvement populaire. Elle a tenu à « l’accompagner » pour qu’il ne s’égare pas dans les méandres de revendications politiques « incertaines » et dangereuses pour la perpétuation du système. 

Sans sortir ses chars et ses forces spéciales, l’armée instrumentalise l’appareil judiciaire et les forces de l’ordre (police, gendarmerie et « services secrets ») pour dissuader les marcheurs du vendredi et du mardi. C’est le recours à l’usage de la peur, dans les discours de Gaïd et dans les faits, pour rappeler à tous que la récréation est finie et que tous le monde doit rentrer à la maison.

Le système se révèle, comme à chaque crise. Il prouve son véritable essence autoritaire et met en œuvre sa traditionnelle panoplie de gestion de crises : le recours à la force et la dissuasion par la terreur s’il le faut !

Dans ses discours et également dans son évaluation stratégique, le peuple algérien est immature, incapable de distinguer ses intérêts et de choisir librement et consciemment son destin. Il est éternellement mineur et à ce titre il a besoin instamment d’un tuteur pour le guider et l’orienter dans ses choix. Ce tuteur est toujours, quelque soit la période historique, porteur du treillis militaire. Et même quand il n’occupe pas le devant de la scène, il est toujours tapi dans les coulisses du pouvoir. Il est la bonne conscience, la main invisible que la providence a réservé à « Fakhamat ecchaab » …

Pour le « protéger », il doit mettre hors-jeu tous ceux qui au sein du peuple, dans la rue, refusent d’obtempérer à ses « ordres ». Et là, les méthodes sont multiples et diverses : exacerber les divisions ethniques (Arabes, Amazighs), semer la discorde entre les «élites » des formations politiques, terroriser les leaders (« activistes ») des divers courants du mouvement populaire, tenter de les discréditer sur les réseaux sociaux et les médias à la solde du pouvoir, recourir à la répression et les arrestations arbitraires et enfin reconduire la vieille méthode de la corruption des larges couches populaires par des mesures socio-économiques démagogiques !

Mais aussi de crier au complot, interne et externe, à chaque fois que les desseins des décideurs sont éventés et dénoncés par l’opinion publique. Une occasion pour jeter en pâture les consciences libres à la vindicte de la clientèle idéologique développée depuis des décennies à l’ombre du parti unique ! 

Pour asseoir une militarisation accrue de la société alors que le peuple scande depuis plusieurs mois « Madaniya machi Âskaria » (un état civil non militaire), il est impératif pour lui de vider la contestation de sa matière grise, sa substance révolutionnaire et de l’isoler du reste de la population. Il reproduit, ce faisant, sa propre image : un pouvoir coupé du peuple. Mais en oubliant que depuis longtemps ce peuple tente de s’émanciper et ne succombe plus au chant des sirènes (des fourgons sécuritaires) ! « Times they’re a-changin’ » disait le troubadour de Greenwich Village.

Tout dans la société est dans l’apparence et le pouvoir participe allègrement à la généralisation de cette fausse sensation par ses moyens de propagande publics et pseudo-privés ou parapublics. 

Le seul don, la seule vertu dont jouit le pouvoir algérien occulte est sa capacité magique à transmuer la volonté populaire et sa souveraineté pour la métamorphoser par une alchimie, dont il a le secret, en son contraire ! L’essentiel est de propager l’illusion d’une normalité jusqu’à la prochaine crise !

Ainsi de pseudo-validation en pseudo-validation et en masquant la réalité des rapports dans la société, le pouvoir repousse la sanction sociale et politique à d’autres échéances, freinant ainsi l’émancipation réelle du peuple algérien !

Mais, jusqu’au retournement (prochain) de la situation !