Mardi 26 février 2019
Algérie : le syndrome de la page rouge
Le vice-ministre de la défense, Gaid Salah et le président Bouteflika veulent s’imposer au peuple.
L’Algérie vit en ce moment l’angoisse de la page blanche éprouvée par ceux qui se préparent à écrire quelque chose d’important, non pas parce qu’ils sont à court d’inspiration, qu’ils ne trouvent pas quoi dire ou faire, mais parce qu’ils redoutent les conséquences de ce qu’ils vont dire ou faire.
Elle est en face d’une page blanche destinée à recevoir non pas quelques phrases de littérature, mais les termes par lesquels il va falloir mettre fin à une longue période de confusion au cours de laquelle on ne savait plus qui, du propriétaire ou du locataire, était le maître des lieux.
Les papiers exhibés par le peuple font bien apparaître qu’il est le propriétaire, et le pouvoir un simple locataire, mais au fil du temps ce dernier a inversé la relation au point de lui dénier sa qualité et tout droit de regard sur les lieux.
Le bail du locataire remonte à vingt ans et a été largement préjudiciable aux intérêts du bailleur. Il était renouvelé par tacite reconduction, mais à chaque fois l’occupant forçait la main au propriétaire réduit à se satisfaire de quelques compensations.
A l’approche de sa date d’expiration, le 18 avril 2019, le propriétaire, las des humiliations subies mais respectueux des formes légales et des délais, a adressé publiquement à l’occupant un préavis lui notifiant la prochaine fin du contrat. Il ne l’a pas pris en traître, ni grignoté une minute du temps qui lui était alloué.
Rejetant le préavis et encore plus l’idée, l’occupant a massé derrière lui sa parentèle en armes pour contraindre le propriétaire à le laisser rempiler autant qu’il le désire. Celui-ci en appela au témoignage du monde entier et des siens venus nombreux mais sans armes soutenir ses droits légitimes. Trente ans auparavant, déjà, une tentative d’écrire une nouvelle page redéfinissant leurs rapports avait échoué, s’étant à la fin soldée par son badigeonnage avec du sang. Ainsi fut différée de plusieurs décennies l’issue d’un vieux conflit de propriété.
C’est une façon comme une autre de résumer le problème de l’Algérie tel qu’il se pose aujourd’hui sous les yeux étonnés de la planète, attentive aux prochaines évolutions.
Le sens de ces évolutions n’a pas tardé à apparaître : Bouteflika maintient sa candidature et, le même jour, le chef d’état-major de son armée s’est engagé à « sécuriser » son élection, envoyant balader des millions de citoyens et citoyennes qui ne veulent pas d’un 5e mandat obtenu par la fraude, et la poursuite de la mainmise de leur clan sur l’Etat et la population.
Que vont mettre les deux protagonistes – le peuple et le pouvoir – sur la page vierge ? Qui va gagner le bras-de-fer annoncé ? A quel prix Bouteflika imposera-t-il au peuple un mandat volé au grand jour, et qu’en fera-t-il après ? Le gagnant et le perdant, le propriétaire et l’occupant, ne pourront plus cohabiter ni se parler…
Le mandat de Bouteflika expirera le 18 avril 2019. La Constitution désignant le peuple comme le détenteur de la souveraineté et la source de tous les pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire), si celui-ci récuse l’élection, elle ne produira aucun effet. Le président autoproclamé ne sera dès lors qu’un pantin désarticulé hué et conspué par le monde entier.
La force du peuple est supérieure à celle du pouvoir. Le pouvoir ne peut pas obliger le peuple à aller voter le 18 avril ; il ne peut pas obliger les autres candidats à rester dans la course ; il ne peut pas obliger le personnel prévu pour le fonctionnement les bureaux de vote à se présenter ce jour-là ; il ne peut pas obliger les autres pays à reconnaître le président autoproclamé… Le peuple ne peut pas faire tomber le pouvoir par la violence, mais il a une panoplie de moyens pour le rendre inopérant, dont la grève civique illimitée, comparable par ses effets à une arme nucléaire…
La situation actuelle diffère de celle des années 1990 : le pouvoir n’a pas en face de lui des hordes terroristes mais un peuple soudé, homogène parce que non traversé par des courants idéologiques et des « açabiyate » opposées les unes aux autres ; il a un seul mot d’ordre à la bouche, « Non au 5e mandat ! » ; l’islamisme n’a aucun rôle dans les évènements en cours et n’en profitera pas comme il l’a fait chez nous en 1989 ou, ultérieurement, en Tunisie, au Maroc, en Egypte, etc.
Tout dépend de ce que veut le peuple… En finir avec ce pouvoir ou rentrer à la maison… comme d’habitude… dirait la chanson.
N. B.