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Algérie-Libye : deux manœuvres militaires,  un même théâtre stratégique 

Exercice de l'ANP

Exercice de l'ANP

Alors que l’Algérie accueille l’exercice militaire “Paix en Afrique du Nord”, la ville de Benghazi, sous contrôle de Khalifa Haftar, célèbre en grande pompe l’inauguration de la “Cité Militaire”. Deux démonstrations de force apparemment distinctes, mais qui traduisent des dynamiques régionales profondément interconnectées.

Parallélisme militaire, antagonisme politique

La concomitance des deux événements – à Cherchell en Algérie et à Benghazi en Libye – ne semble pas relever du simple calendrier. Elle s’inscrit dans un contexte de rivalités géopolitiques marquées, où l’Algérie cherche à affirmer son rôle de puissance stabilisatrice au Maghreb et au Sahel, tandis que le Maréchal Khalifa Haftar tente de consolider sa légitimité au plan local ( intérieur) et sur la scène internationale.

À Cherchell, l’exercice “Paix en Afrique du Nord”, mené sous l’égide de l’Union africaine, rassemble jusqu’au 29 mai des contingents de plusieurs pays : Égypte, Libye ( gouvernement de Tripolie),  Mauritanie, Sahara occidental et Algérie. Objectif affiché : renforcer les capacités opérationnelles communes face aux menaces transfrontalières. Le chef d’état-major de l’ANP, le général d’armée Saïd Chengriha, a insisté sur l’engagement de l’Algérie à “œuvrer pour la paix et la sécurité en Afrique”.

Une diplomatie militaire active

La participation égyptienne à ces manœuvres mérite d’être soulignée. Alors que certains médias marocains avaient évoqué un retrait du Caire en raison de la présence sahraouie, les forces égyptiennes ont bien pris part à l’exercice. Ce maintien est interprété à Alger comme  un revers symbolique pour le Maroc, engagé dans une stratégie de marginalisation diplomatique de l’Algérie autour de la question du Sahara occidental.

Cet épisode illustre la capacité d’Alger à maintenir ses alliances malgré les tentatives de fragmentation régionale. En inscrivant ses actions dans le cadre africain, l’Algérie entend se positionner non seulement comme une puissance militaire, mais aussi comme un acteur diplomatique incontournable du continent.

Benghazi, une vitrine de puissance pour Haftar

À l’est, la cérémonie présidée par Khalifa Haftar à Benghazi s’inscrit dans une logique différente. L’inauguration de la “Cité Militaire” à l’occasion du 11e anniversaire de la “Révolution de la Dignité” a été accompagnée d’un imposant défilé militaire et de la présence de délégations venues de plusieurs pays : Russie, Biélorussie, Égypte, Maroc, Jordanie, Tunisie, Turquie, Italie, États-Unis, entre autres.

La participation marocaine a particulièrement attiré l’attention, notamment sur les réseaux sociaux, où elle est interprétée comme un signe de rapprochement entre Rabat et le camp de Haftar. Une évolution qui, si elle se confirme, ne manquerait pas d’ajouter une nouvelle ligne de fracture dans la configuration régionale.

Enjeux croisés et recompositions en cours

Ces deux manifestations militaires révèlent la complexité des rapports de force au Maghreb et au Sahel. L’Algérie, en promouvant des exercices multilatéraux sur son sol, cherche à renforcer son image de garant de la stabilité. Haftar, en multipliant les démonstrations de puissance, s’efforce de légitimer son autorité, en dépit de son absence de reconnaissance officielle par une partie de la communauté internationale, notamment Alger.

Plus inquiétant pour l’Algérie : les signaux en provenance de l’est libyen. Des mouvements militaires signalés à proximité des frontières algériennes et des discussions autour d’un éventuel soutien à Saddam Haftar – le fils du Maréchal – en échange d’un rapprochement avec Israël, font craindre une instrumentalisation régionale de la Libye, notamment par des acteurs extérieurs.

Vers une reconfiguration du champ sécuritaire régional

Au-delà de leur portée symbolique, ces manœuvres traduisent une lutte d’influence de plus en plus explicite. Elles soulignent aussi l’émergence de nouveaux axes géopolitiques – comme l’alliance entre les régimes militaires du Sahel (Mali, Niger, Burkina Faso), eux-mêmes proches de Moscou – qui redessinent les équilibres traditionnels.

Dans cette région instable, où la question libyenne demeure un facteur de déséquilibre majeur, la capacité de l’Algérie à anticiper et à contenir les recompositions en cours sera déterminante. Au-delà des démonstrations militaires, c’est bien  l’organisation de la sécurité régionale qui est en jeu.

Samia Naït Iqbal

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