Lorsque le mouvement du Hirak/Tanekra a vu le jour sur la scène politique algérienne, personne, pas même les partis politiques, n’avaient prédit son éruption et son avènement. Les forces qui travaillaient la société avaient échappé aux prédictions et visions de la classe dirigeante.
On était installé dans un large consensus politique. L’argent coulait à flot et le clan Bouteflika semblait gouverner sur cette province ad vetam etarnam. Mais un petit pépin, un mandat de trop avait tout changé.
Des dizaines voire des centaines de hauts gradés sont aujourd’hui en prison, poursuivis pour corruption, détournement de fonds et autres enrichissements illicites. A croire, à première vue, cela semble une bonne chose. Que les méchants soient mis hors d’état de nuire.
Dans un Etat de droit et une justice indépendante, ces actions sont louées et encouragées par l’opinion publique. Or, dans notre cas, les arrestations et l’emprisonnement des différents hauts responsables politiques et militaires du pays obéissent à la loi des règlements de compte entre les différentes factions du pouvoir. À l’heure actuelle, le pouvoir est entre les mains d’une poignée de responsables (Toufik Mediene, Khaled Nezzar dans l’ombre et ceux qui exécutent leurs ordres aux devant de la scène, Tebboune, Chanegriha…etc.). Leur préoccupation principale est de se maintenir aussi longtemps que possible au pouvoir pour en bénéficier des avantages que celui-ci procure ; pour en faire profiter leur entourage : familles, affidés, sous-fifres… et surtout pour ne pas se retrouver en position inférieure et être renversés et gagner la case prison comme ils l’ont fait à leurs coéquipiers d’hier. L’autre préoccupation est pas des moindres, est de maintenir en respect cette société civile qui tente vaille que vaille de s’organiser et demander une alternative plus ouverte. Cette société qui a renversé Bouteflika et qui porte le nom du Hirak.
Le Hirak, actant collectif, qui a su fédérer des pans entiers de la société civile, actant qui a su déjouer les tentatives de récupération politicienne par les partis politiques et, enfin actant qui a pu maintenir une mobilisation que le monde entier lui envie depuis plusieurs mois avant que la pandémie de Covid-19 n’ait raison d’elle.
Pendant ce temps, les stratèges du pouvoir travaillaient à saper cette dynamique sociale. Ils étudient les stratégies les plus pertinentes pour museler les voix dissidentes. On a arrêté des dizaines de citoyens pour délit d’opinion : journalistes, étudiants, activistes politiques, simples citoyens hommes de lettre et pour finir il y a quelques jours des youtubeurs et des influenceurs sur les réseaux sociaux.
Toute cette dynamique a une finalité, fermer l’espace public à l’expression de la différence, l’expression des voix discordantes qui contredisent le discours officiel. Et enfin de compte interdire l’énonciation d’un autre discours. L’interdiction de toute autre énonciation par une instance régissante (le pouvoir en place) concourt à présenter cette dernière comme illégitime.
La seule légitimité énonciative est celle du pouvoir, l’instance régissant le destin algérien. Ecarter de l’espace social toute autre forme d’expression déviante, soit en bridant l’opposition politique qui est réduite à sa plus simple expression ou en emprisonnant tout émetteur d’un discours différent est la ligne directrice du pouvoir en place.
Le retour des hommes forts de la décennie noire qui a fait des dizaines de milliers de morts et qui a mis hors jeu l’énonciation islamique est la trouvaille du pouvoir. En mettant en place une nouvelle direction de sécurité (DGLS), le pouvoir mise sur l’expérience du passé pour prévenir le futur. Tout comme ils nous ont joué la sérénade de l’existence d’un éminent danger à savoir le danger islamique qui balayerait toute vie sur le sol algérien et que la seule solution était d’approuver l’arrêt du processus électoral en ce janvier 1992 et d’adouber les militaires qui se présentaient comme les seuls à pouvoir s’opposer aux hordes islamistes déchainées.
Cette stratégie de création d’un ennemi commun autour duquel il fallait un soutien de l’opinion et un consensus pour l’abattre s’est trouvé payant. Puisque une grande partie de l’opinion plébiscita cet arrêt et soutint silencieusement les exactions commises contre des personnes supposées soutenir la mouvance islamiste. Puisque cette stratégie était payante dans le passé, pourquoi ne pas la rééditer maintenant. Ainsi la recherche d’un ennemi commun, celui là même que nous serons amené à éliminer est la plus importante des préoccupations de cette instant-ce régissante (le pouvoir en place). Nous avons cherché dans le MAK les arguments pour le diaboliser, le présenter comme voix discordante, une voix qui propose une autre idée de l’Algérie. Un autre destin.
Tout comme plusieurs tentatives furent menées pour diaboliser une région d’Algérie : la Kabylie. Cette région frondeuse qu’on avait provoquée en 2001 pour qu’elle commette l’irréparable et trouver de surcroît l’occasion de la présenter comme l’ennemi des autres régions qui ont une autre pratique linguistique. On a tenté d’allumer le feu de la discorde cet été en assassinant ce jeune Djamel en terre kabyle entre kabyles et arabophones. Cela n’a pas abouti heureusement.
Puis on s’est tourné vers le Maroc, ce frère ennemi. Nous l’avons diabolisé, nous lui avons imputé toutes nos souffrances actuelles et nos déconvenues. Nous avons rompu nos relations. Nous avons coupé le gaz pensant le faire souffrir et lui faire subir les affres de l’hiver. Cela n’a pas pris pour l’instant.
La stratégie actuelle du pouvoir est de museler l’opposition ; interdire toute expression qui n’est pas en adéquation avec sa vision du monde. En fin de compte, ce que veut le pouvoir est de rester en place aussi longtemps que possible et ne trouver aucune opposition. Ce que veut le pouvoir c’est acheter le silence des consciences. Acheter le silence par la force en emprisonnant les opposants au discours ambiant ou en corrompant les consciences en leur faisant admettre la légitimité de leur présence et maintien au pouvoir.
Ainsi, par exemple, concourir à des élections locales ou nationales dont la portée et la possibilité de changer l’état des choses sont limitées. Cela donne aux participants un simulacre de pouvoir bien que les grandes décisions leurs soient hors de portée. Ou tout autre bénéfice secondaire auquel ils pourront prétendre et que le pouvoir leur concède. Sans atteindre le cœur du pouvoir qui est la chasse gardée de quelques privilégiés. Le cœur du pouvoir demeure le partage de la rente pétrolière.
Acheter la conscience des autres, c’est ne pas leur admettre la possibilité de présence au monde. C’est leur ôter leur individualité et leur singularité. Acheter la conscience des autres reviendrait à les rendre serviles. À les faire obéir à une conscience autre que la leur. La servitude qui en dernier mot est du ressort de celui qui obéit, pas de celui qui contraint.
L’Etat sécuritaire, la nouvelle stratégie pour museler l’opposition
Contraindre les consciences, quel que soit le temps que cela durera, prendra fin un jour. L’histoire regorge d’enseignements à ce propos. Localement, aussi puissants que furent le système colonial français et l’empire britannique qui, disait-on, le soleil ne se couchait jamais, ils furent détricotés et des nations, assujetties hier, accédèrent à l’indépendance. Alors aussi puissant que sera ce DGLS, aussi puissants que sont les hommes qui le guident, aussi violents soient-ils pour intimider et tenter de réduire au silence la voix algérienne discordante.
Aussi tentaculaires que sont leurs réseaux, aussi ingénieuses soient leurs stratégies de manipulation et d’intimidation en tout genres ; ils ne pourront pas éteindre toutes les lumières ; ils ne pourront pas acheter toutes les consciences. Subsistera quelque part une mince étincelle qui embrasera la maison Algérie. Et de là jaillira la lumière qui inondera le sol national. Et on arrêtera de se taire. On brisera les chaînes.
Said Oukaci, Doctorant en sémiotique