Mardi 19 mars 2019
Algérie : Portrait d’une dictature inachevée !
L’Algérie post-indépendance ne s’est jamais remise de son mauvais départ, de surcroît, restée otage d’une pègre ayant mis à sac les richesses du pays, tant humaines que naturelles.
La prise du pouvoir par Ben Bella en 1962 est un hold-up non assumé, dont le règne n’a pas duré longtemps pour être renversé par un autre « éjecté de la révolution », en l’occurrence, Houari Boumediene. Ce dernier a renversé son compagnon de route et son complice de conspiration en juin 1965.
Ce putsch fomenté avec la complicité de Abdelaziz Bouteflika avait permis à une nouvelle équipe, autant zélée que revancharde, d’asseoir leur politique hégémonique, ponctuée par une répression sans précédent et d’une mise à l’écart de toute velléité de contestation.
Durant le règne de « Mohamed Boukharouba », l’inamovible Bouteflika a eu pour mission, en sa qualité de serviteur postiche et « d’onctueux majordome » à amortir urbi et orbi l’impact des foucades du suzerain que fut Boumediene. Mais, l’homme aux quatre mandats n’a jamais caché ses ambitions de présider aux destinées du pays. Après des années de « loyaux services », Bouteflika fut contraint de s’exiler après la mort de son « maître Boumediene ». Un désert politique s’en est suivit et qui s’est prolongé jusqu’à 1999, date à laquelle il a su duper tout un peuple en s’accaparant du pouvoir.
Le reste est connu de tout un chacun. Vingt années de rapine, de corruption, de mise à sac du pays et de détournements de fonds. Si, les événements du 5 octobre 1988 ont permis à l’Algérie de sortir de l’ère du parti unique à l’ouverture, l’enthousiasme pour le répertoire démocratique et électif ne se dément pas et s’il constituait pour l’élite algérienne une ressource discursive devant supplanter les registres de la pensée unique, l’illusion a vite laissé place à un désenchantement profond.
En 57 ans de règne, le rouleau compresseur qu’est le FLN s’est érigé en maitre des céans. Les différents présidents qui se sont succédé au trône ont livré le peuple à une dictature sans merci. Au demeurant, les quatre mandats de l’actuel locataire d’El-Mouradia sont émaillés d’escroquerie à grande échelle, de rapine et d’orgie financière. Le bilan est plus que saisissant.
Une situation délétère, un pays sous-géré, une économie fragilisée, voire déstructurée, une population hyper-stressée, dégringolade de la monnaie nationale, fuite massive des cerveaux… Cette folie quasi dynastique des Bouteflika n’a d’égale que le mépris ostentatoire qu’ils affichent pour les classes populaires. Car au moment où l’on exige de la population des sacrifices de plus en plus lourds, et ce, au nom de l’austérité, et au moment où les chômeurs et les précaires se comptent par millions, le clan de Boutef n’hésite pas à étaler ostensiblement, dans une république affaiblie, les fastes d’un pouvoir quasi monarchique. Il aime l’argent, le luxe, l’apparat, le cérémonial… Son arrogance, son sentiment de puissance et sa fascination pour le pouvoir l’aveuglent au point qu’il ne voit les plus démunis.
Mais, la maladie du Président a eu raison de ses lubies en devant à son tour otage de son clan. Affaibli par une longue maladie des suites d’un AVC, Bouteflika est devenu l’ombre de soi-même. Son petit-frère, Said, sut glisser son autorité tacite jusqu’à en devenir un président de l’ombre. Ce cabotin a réussi son pari de dompter, voire, mater, l’entourage du président pour en faire une monarchie qui ne dit pas son nom.
En moins d’un mois, la colère des citoyens a monté crescendo pour demander le retrait de la candidature du Président candidat et le changement du système. Une ribambelle d’appels à une deuxième république s’en est suivie dans l’unique objectif de bâtir l’Algérie de demain. Le mouvement de révolte appelé communément « Hirak » qui agrège des populations organisées a pu subjuguer le reste du monde par le degré de politisation et de civisme, notamment le caractère pacifiste qui y régna durant toutes les manifs.
Le « peuple », souvent dénigré et dédaigné, a su briser le silence et déchirer le voile de la peur pour crier haut et fort la chute de ce régime tyrannique. Ledit peuple se découvre « spolier de son avenir » deux décennies après avoir porté à sa tête un homme se targuant d’avoir balayé le terrorisme, d’être à l’origine d’un retour à la paix tout en mettant sur les rails l’économie du pays. Que des bobards ! Le peuple s’est enfin réveillé, et s’aperçoit de la supercherie. On a rarement vu dans l’histoire une succession plus cynique de mensonges et d’impostures.
Par ailleurs, nombreux sont ceux qui ont révéré A. Bouteflika comme un prophète faisant fi de toute éthique et dignité humaine. Et aujourd’hui, ces mêmes individus prétendent être du côté du peuple, mais personne n’est dupe. Leur seule préoccupation est d’échapper à une éventuelle vindicte populaire, même si celle-ci est écartée par les manifestants qui veulent tourner la page sans se pencher sur les pratiques de vendettas.
Nonobstant les incessantes marches et grèves, le pouvoir tient opiniâtrement à garder son hégémonie quitte à user de mille et une ruses afin de duper le peuple, encore et encore. Ce peuple qui, au fil des mandats, s’est inscrit aux abonnés absents à telle enseigne qu’il est devenu invisible grâce aux tours de prestidigitation conjugués d’une oligarchie composée du pouvoir et des médias. Ces oligarques, pratiquant l’entre-soi, forment une véritable caste ayant banni le bas peuple en s’accaparant toute honte bue des richesses du pays. Sachant qu’il n’existe aucun pouvoir, en sus dictatorial, absolutiste et totalitaire, qui va céder si facilement à la gronde du peuple où qui va s’euthanasier du jour au lendemain.
À chaque fois que se manifestent des volontés nationales et des recommandations internationales à relancer le processus de démocratisation sur des bases sérieuses, il y en aura toujours de ceux qui sauront multiplier les manœuvres dilatoires pour changer la trajectoire de ce processus, et même pour en changer la nature.
Mais, pourquoi le peuple s’est-il laissé tondre la laine sur le dos durant toutes ces années ? Que faisaient les penseurs et autres intellectuels ? Ils ont gardé le silence que certains interprètent comme synonyme de complicité. Cependant, une certaine élite a de tout temps dénoncé à cor et à cri les exactions et les dépassements du régime en place. Le rôle de tout intellectuel est d’avertir, de dénoncer, d’œuvrer à l’éveil des consciences.
Être intellectuel, c’est être un peu la conscience de tous. L’effondrement des régimes de type soviétique et l’affaiblissement des partis communistes dans la plupart des nations ont libéré la pensée critique. La « doxa » doit formuler une praxis capable d’assurer un passage vers une deuxième république tant réclamée par les manifestants. Il est grand temps d’en finir avec ce gouvernement autoritaire et despotique qui s’intéresse à l’opinion de ses sujets, mais il se méfie de son expression libre et cherche à la contrôler, voire à l’interdire.
Toute la pensée politique est donc à reconstruire, et elle ne peut pas être l’œuvre d’un seul, maître à penser livré aux seules ressources de sa pensée singulière, ou porte-parole autorisé par un groupe ou une institution pour porter la parole supposée des gens sans paroles. C’est là que l’intellectuel, le politique intègre et consciencieux peut jouer son rôle, irremplaçable, en contribuant à éclairer le citoyen et de proposer des solutions idoines pour une sortie de crise tant politique qu’économique.
Après une longue parenthèse autocratique durant laquelle ce régime jupitérien fut mis en place au nom de la légitimité révolutionnaire, des impératifs de la construction nationale et du développement, mais également pour élaborer des stratégies machiavéliques d’accaparement des ressources internes.