Dans une démocratie vivante, la parole est un acte. Gouverner, c’est parler. C’est s’exposer, assumer, répondre. Un ministre qui prend la parole engage son nom. Un président qui s’adresse à son peuple engage sa légitimité. Même le silence peut être politique — s’il est habité, assumé. Mais en Algérie, ce n’est pas le silence qui domine, c’est le vide.
Le pouvoir s’est retiré du langage comme il s’est retiré de la société. À sa place : le communiqué. Un outil froid, impersonnel, sans visage. Guerre ou crise, décisions majeures ou faits mineurs, tout y passe. Même ton, même distance. Aucune voix, aucun corps. Comme si le pays était dirigé par un protocole, pas par des êtres humains.
Le 22 juin 2025, en pleine escalade israélo-américaine contre l’Iran, que fait l’Algérie ? Une phrase. Un communiqué du ministère des Affaires étrangères, relégué sur les réseaux. Pas de ministre face à la presse. Aucun geste diplomatique visible. Aucun mot adressé aux Algériens. Comme si dire devenait une faute. Comme si le silence était devenu doctrine.
Le Conseil des ministres, quelques jours plus tôt, suit la même logique. Des projets annoncés — agriculture, diaspora, numérique. Mais qui les porte ? Qui les explique ? Le président lui-même ne s’adresse jamais directement à la population. Tout est lu, filtré, verrouillé. Le pouvoir parle sans présence. Il gouverne sans contact.
Ce n’est pas une erreur. C’est une méthode. Le communiqué est devenu le langage d’un pouvoir qui ne veut plus assumer. Il ne dialogue pas, il notifie. Il ne s’adresse pas à des citoyens, mais à une masse abstraite. Il évacue la contradiction, redoute l’interpellation, refuse d’habiter le débat. Ce n’est pas une parole politique — c’est une fermeture.
Et à force de ne plus parler, le pouvoir ne sait plus écouter. Il s’enferme dans une langue morte — faite de formules creuses, de phrases standardisées, d’énoncés qui tombent à plat. Mais un pays ne se gouverne pas par automatisme. Un peuple ne se respecte pas par omission. On ne dirige pas une nation à coups de paragraphes anonymes.
Un État qui ne parle plus est un État que l’on n’écoute plus. Mais en Algérie, cela fait longtemps que le peuple ne tend plus l’oreille. Parce qu’il sait qu’il n’y a rien à entendre. Plus de vision, plus d’engagement, plus de confiance. Le divorce est ancien, profond, irréversible. Ce régime ne s’adresse plus à la société — il s’adresse à lui-même, dans un monologue qui tourne à vide.
Le pouvoir ne perd pas le peuple : il l’a déjà perdu. Et à force de vouloir gouverner sans voix, sans regard, sans débat, il ne lui reste plus qu’une autorité désincarnée — administrative, opaque, solitaire. Mais on ne dirige pas un pays comme on gère une boîte aux lettres officielle.
Il est trop tard pour les faux-semblants. Ce qu’il faut, ce n’est pas une meilleure communication, c’est le retour de la parole politique. Une parole qui engage, qui répond, qui reconnaît l’autre. Car dans un pays où le peuple est tenu à l’écart, il ne reste que l’usure, la méfiance, et cette colère sourde qui finit toujours par chercher un chemin.
Mohcine Belabbas, ancien président du RCD
Source jeune Afrique
Député d’Alger de 2017 à 2021, Mohcine Belabbas est poursuivi depuis octobre 2021 pour un délit d’obtention de documents sans droit, de délit d’hébergement d’un ressortissant étranger sans autorisation et pour emploi d’un étranger sans autorisation.
À ces trois chefs d’inculpation s’est ajouté celui d’homicide involontaire d’un ressortissant marocain. Présenté comme expert dans les métiers de bâtiment, l’ouvrier en question est décédé alors qu’il réalisait des travaux de construction dans la propriété de Mohcine Belabbas.