Vendredi 29 juin 2018
Algérie : qui joue au souffleur du président ?
Au pays où l’horloge est réglée sur les horaires de prière, il est franchement déconseillé de donner un rendez-vous, surtout de travail, à quiconque. En Algérie, l’heure universelle a cédé la place à cinq repères temporels. « On peut se voir à quelle heure ? » « 25 minutes après le Dohr, 18 avant le Maghreb, 29 après El Aïcha « …
Comme le calendrier musulman est très fluctuant, alors les réunions de travail, comme les promesses, prennent la consistance des brumes matinales.
Et lorsque la lune ne nous fait pas faux bond, c’est l’humeur algérienne, insondable pour l’humain lambda, qui vous livre un lapin en lieu et place du collaborateur ou de l’ami attendu.
Le phénomène touche toutes les strates de la population. N’allez pas croire que dans les collectivités locales, les entreprises, les services de l’Etat, les deux chambres parlementaires, le gouvernement, ça marche mieux.
L’Algérie est fâchée avec Greenwich dont la ligne la traverse sur toute la verticale.
Champions de l’improvisation stérile, nous devrions peut-être exploiter cet art national et investir les scènes mondiales de stand-up. Nous ferions exploser de rire les férus de théâtre spontané avec notre science de l’inattendu !
Le mondial de Russie fait relâche aujourd’hui. Les 16 équipes qui ont réussi grâce à leur talent, au hasard, ou au tortueux règlement qui donne la primauté aux équipes les plus zen, sont recluses dans leurs bases respectives. Avec ses deux cartons jaunes de trop, la Tunisie a dignement représenté l’âme africaine. Quitte à être éliminée, autant l’être pour avoir montré au monde qu’en Afrique, on est toujours aussi nerveux. En tout cas plus que les Japonais qui, soit dit en passant, ne doivent pas être que des footballeurs…
Rendez-vous. L’Algérie a invité 4 000 experts, représentant 40 Etats et 15 institutions, à venir réfléchir au cours d’un séminaire qui s’est tenu ces mercredi et jeudi 27 et 28 juin, sur les voies et moyens qui mettraient Alger et à sa suite les autres grandes cités du pays, sur la route qui les mènerait vers la modernité ultime. Ahmed Ouyahia a fait sien le concept de « villes intelligentes ». Il a pris le pari de connecter un pays en panne à un monde qui cherche, depuis longtemps déjà, des planètes de votre galaxie à coloniser.
Un pays où les appels sur un portable aboutissent inlassablement, une fois sur deux, au désolant et même enrageant : « Le téléphone de votre correspondant est éteint ou doit se trouver dans une zone de non couverture ! »
Combien d’Algériens ont cassé leurs smartphones ou aimeraient étrangler l’hôtesse qui débite à longueur d’année, cette litanie, à chaque fois qu’ils l’ont entendue ?
Ouyahia a invité la diaspora et les start-up étrangères à prendre le pays au sérieux et à venir y investir.
Plusieurs prestigieux intervenants qui ont cru à ses « avances » n’ont pas rallié Alger faute… de visas, vient-on d’apprendre. C’est quoi donc cette ratatouille ? Quand a-t-on commencé à préparer ce grand rassemblement présenté par les plus hauts responsables du pays comme de première importance ? Qui a lancé les invitations ? Qui en a assuré le suivi ? Comment et pourquoi ont pu advenir les couacs consulaires ? Comment a été préparé l’accueil des présents et des absents ? Quid des résultats et des actes de cet énième séminaire ?
Qu’ont apporté, d’ailleurs, les 400 festivals annuels qu’on organisait au temps de Khalida à la culture ?
Revenons au football. Je vous disais que c’est nettement plus apaisant. Meilleur pour la tension artérielle même si celle-ci s’affole quelque peu au cours d’une rencontre à grand enjeu. Etant éliminés, exclus de ce Russie 2018, les Algériens ne risquent rien à regarder ce samedi les deux premiers matchs de huitième de finale. Ils auront un petit pincement au cœur mais ce dernier ne s’arrêtera pas de battre. Il pourrait, cependant, être foudroyé s’il se branche en Bluetooth au palais d’El Mouradia qui vient de publier un décret présidentiel faisant écho à celui du premier ministre. Ce dernier rappelait que quasiment, tous les occupants des biens de l’Etat, notamment ceux à usage d’habitation, pouvaient prétendre à leur achat. Le premier signé par Bouteflika, dans son bureau de migrant, donne l’ordre d’annuler tous les actes qui ont fait des indus-occupants de la résidence d’Etat du Club-des-Pins des propriétaires. Il interdit, par ailleurs, toute cession nouvelle de ces biens à ceux qui en jouissent, à ce jour.
Une décision très bonne en soi mais qui jette encore plus de trouble sur la netteté des centres de décisions. Va t-on, enfin, nous dire un jour qui dirige ce pays ? Et qui joue au souffleur pour un président aphone ?
On reparlera de football, demain, après la défaite (ou la victoire ?) de la France contre l’Argentine.