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Algérie : un arsenal législatif de plus en plus répressif

Prison

Le Code pénal algérien a subi plusieurs modifications depuis 2020. Les rapporteurs spéciaux de l’ONU jugent les formulations des articles trop extensives.

L’information a été accueillie avec stupeur en France, d’autant que, jusqu’ici, le contrôle judiciaire de Christophe Gleizes avait été passé sous silence pendant plus d’un an. Le journaliste français, collaborateur des magazines So Foot et Society, a été condamné à sept ans de prison ferme en Algérie, lundi 30 juin, pour « apologie du terrorisme » et « possession de publications dans un but de propagande nuisant à l’intérêt national ». Il lui est reproché d’avoir eu des contacts passés avec le dirigeant du club de football de Tizi Ouzou (JSK), par ailleurs responsable du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), classé comme organisation terroriste dans le pays depuis 2021.

Avant même cette annonce, le contexte était déjà tendu entre Alger et Paris. « Il y a évidemment un rapport avec la situation diplomatique », estime sur franceinfo Renaud Bouchez, collègue et ami de Christophe Gleizes. D’autant que cette condamnation a été prononcée au lendemain de celle, en appel, de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal à cinq ans de prison. « Le fait d’annoncer les jugements en deux jours interroge, mais ces deux cas sont très différents, a toutefois insisté le photoreporter. Christophe Gleizes est poursuivi pour ‘apologie du terrorisme’, ce qui est une aberration, car il faisait son travail de journaliste. C’est un spécialiste du football africain. »

Son cas rappelle celui du journaliste algérien Abdelwakil Blamm, placé en détention provisoire depuis janvier après avoir été accusé d’entretenir des liens avec des « terroristes » établis hors du pays. Mais aussi ceux des militants du MaK ou la cinquantaine de condamnés à mort de Larbaa Nath Irathen.

Les poursuites engagées contre le Français reposent sur l’article 87 bis du Code pénal algérien, devenu au fil des années la bête noire des partis politiques locaux et des organisations syndicales. Depuis avril 2020, le pays macère dzns un terrible système arbitraire.

Une définition de plus en plus large de l' »acte terroriste »

Cette disposition sur le terrorisme a été augmentée de deux nouveaux paragraphes en 2021, pour en compter treize aujourd’hui. Elle vise, depuis, quiconque appelle à « changer le système de gouvernance par des moyens non constitutionnels », ce qui est plutôt vague. Et elle punit désormais toute action ayant pour but de « porter atteinte à l’intégrité du territoire national ou d’inciter à le faire », quel qu’en soit le moyen.

L’article 87 bis prévoit toujours le crime d’apologie du terrorisme, qui peut être « utilisé pour réprimer des actes relevant de la liberté d’expression », complète Alexis Thiry, conseiller juridique au sein de l’ONG Mena Rights Group. En février 2022, deux organisations, par ailleurs, ont été inscrites dans la liste nationale de personnes et entités terroristes : le mouvement islamiste Rachad et le Mouvement d’autodétermination de la Kabylie (MAK). « Vous pouvez figurer dans cette liste en l’absence de jugement final. La commission en charge de cette liste, dont la plupart des membres sont issus des organes sécuritaires de l’Etat, est entièrement soumise à l’exécutif et ne peut nullement être qualifiée d’indépendante. »

En 2020, au début de la répression qui a suivi le Hirak, vaste mouvement de protestation qui a chassé Abdelaziz Bouteflika du pouvoir, « la justice algérienne recourait surtout aux poursuites pour délits, avec des affaires jugées assez rapidement, explique Alexis Thiry. Mais elle utilise de plus en plus les accusations de terrorisme, ce qui permet de maintenir les gens plus longtemps en détention provisoire et prolonger les procédures. »

Rachid Aouine, directeur de l’ONG Shoaa for Human Rights, est passé par la case prison en 2015 pour avoir « incité à manifester » contre l’exploitation du gaz de schiste. C’était avant la systématisation du 87 bis. « Les autorités ont désormais un usage procédural de cet article, explique-t-il à franceinfo. Il permet de reconduire plusieurs fois la détention provisoire, alors que seuls 20% des dossiers donneront finalement lieu à une condamnation.

Quels leviers pour faire pression sur Alger ?

Le cas de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal est plus confus. S’il a d’abord été poursuivi sur la base de l’article 87 bis, il a finalement été condamné en appel sur la base de délits correctionnels, selon les informations obtenues par franceinfo : « outrage à corps constitué », « pratique nuisant à la sécurité nationale et à l’économie nationale » et « possession de vidéos et de publications menaçant la sécurité nationale ». Encore aujourd’hui, le fond du dossier reste en grande partie inconnu. L’audience de première instance avait été expédiée en seize minutes, Boualem Sansal ayant choisi de se défendre seul, sans laisser la parole à son avocat commis d’office.

En attendant, Paris semble à court d’arguments pour obtenir la libération des ressortissants français. « On peut difficilement influer sur une procédure judiciaire », a commenté sur franceinfo Christophe Lemoine, porte-parole du ministère des Affaires étrangères. « Tout dépend du juge algérien. » Et d’éventuelles grâces présidentielles, ce qui expliquerait les précautions langagières ? « Seules les pressions diplomatiques produisent des effets sur Alger », estime Rachid Aouine.

En mars 2022, l’Algérie avait libéré des dizaines de détenus d’opinion peu avant la visite à Alger du secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken. Il était alors question de gaz naturel et de sécurité régionale. Il n’est pas certain que la France bénéficie de la même oreille, au vu du contexte diplomatique.

Le Code pénal remanié depuis cinq ans

« Boualem Sansal n’est pas un cas isolé », insiste Alexis Thiry. Selon le juriste, l’Algérie compterait actuellement près de 250 détenus d’opinion environ, dont une partie significative a été poursuivie sur la base de l’article 87 bis. « Sa condamnation a révélé que les autorités algériennes disposaient d’un arsenal juridique pour poursuivre des individus exerçant leurs droits fondamentaux. »

Le conseiller juridique cite notamment l’article 96 du Code pénal algérien, modifié l’an passé, qui punit la distribution de contenu – par exemple des tracts – de nature à « nuire à l’intérêt national ». L’article 99, sur les attroupements non armés permet aux autorités de réprimer les manifestations issues du Hirak depuis l’arrivée du président actuel, Abdelmadjid Tebboune. « L’article 146 sur l’outrage à corps constitué est également fréquemment utilisé », reprend Alexis Thiry. Enfin, l’article 196 bis, introduit en 2020, permet de confondre contenu critique et « fausses informations ».

Plusieurs médias ont été visés par l’article 95 bis, alors que l’Algérie figure en 126e position du classement mondial de Reporters sans frontières sur la liberté de la presse. Cette disposition punit quiconque reçoit des financements ayant pour finalité de porter atteinte à la sécurité de l’Etat, au fonctionnement des institutions ou encore aux intérêts fondamentaux du pays… Ihsane El-Kadi, dirigeant du groupe d’Interface Médias, l’un des derniers groupes de presse privés du pays, avait été condamné à cinq ans de prison ferme en 2023. Il a finalement été libéré l’an passé, à la faveur d’une grâce présidentielle. D’autres détenus, comme l’universitaire Mira Mokhnache, le poète Mohamed Tadjadit, le journaliste Sid Ahmed Blamm ou Cherif Mellal, l’ex-président du célèbre club de football la JSK, sont condamnés pour des motifs fallacieux. Comme au demeurant les autres 250 prisonniers d’opinion.

Des critiques internationales récurrentes

Le groupe de travail dédié de l’ONU avait estimé, après coup, que la condamnation du journaliste avait été arbitraire, alimentant le débat sur l’indépendance de la justice. La communauté internationale critique d’ailleurs régulièrement la formulation vague des articles du Code pénal algérien, autorisant des interprétations extensives pour criminaliser des affaires. « Les contours sont assez flous et cela absorbe beaucoup de situations », estime Rachid Aouine, qui dénonce « une politique de répression engagée par le président Abdelmadjid Tebboune pour réprimer l’espace civique ».

Dans un rapport publié en mai 2024, après une visite dans le pays, un rapporteur spécial de l’ONU avait déjà recommandé d’abroger l’article 87 bis et de travailler à une définition « suffisamment claire et circonscrite ». Il avait également recommandé de modifier plusieurs autres articles (75, 79, 95 bis…), afin que ces dispositions « ne puissent être utilisées pour empêcher l’exercice du droit à la liberté de réunion pacifique, du droit à la liberté d’association et du droit à la liberté d’opinion et d’expression ».

En janvier, dans une résolution condamnant la détention de Boualem Sansal, le Parlement européen avait également pointé l’article 87 bis du Code pénal algérien, une « disposition souvent utilisée » contre les voix critiques, « notamment des défenseurs des droits de l’homme ». Mais aussi toutes les « lois répressives qui restreignent les libertés ». A Genève, début mars, un représentant algérien a assuré que des amendements à l’article 87 bis étaient prévus, lors d’une intervention devant l’Office des Nations unies. Mais si le gouvernement est tout à fait conscient de ces critiques, il ne semble pourtant pas pressé de reprendre la plume.

Avec Francetvinfo

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