Mardi 14 avril 2020
Algérie : un mendiant assis sur un trône d’or
Dans la banlieue d’Alger, la misère au grand jour.
«Le sous-développement est une maladie que seule la prise de conscience des dirigeants et des dirigés peut guérir » Pascal Ahouanvoegbe
L’un des paradoxes de l’économie algérienne est qu’elle est fondée sur une richesse dont l’existence renforce à terme les capacités de financement en même temps qu’elle introduit un élément de fragilité. Il suffit de considérer les graves dysfonctionnements dont souffre actuellement le pays pour se rendre compte qu’une forte croissance des revenus en devises ne mène pas nécessairement au développement mais pratiquement au sous-développement. C’est pourquoi plus personne ne croit à présent au développement chacun constate quotidiennement la corruption du pouvoir politique.
Un des critères qui permet de déterminer immédiatement si une nation appartient ou non au tiers monde, c’est la corruption. Partout où les représentants de l’Etat, fonctionnaires ou politiques, du haut en bas de la hiérarchie sont corrompus et où cette pratique est quasiment officielle, nous sommes bien dans un pays du tiers monde. L’appartenance d’un peuple au tiers monde tient avant toute chose à son système politique. Le tiers monde est dominé par les pouvoirs autoritaires ou totalitaires par des castes politiques qui manipulent les mots et les institutions. C’est ainsi que les concepts ont été vidés de leur contenu et les mots déviés de leur propre sens.
Ailleurs, se développer, c’est s’élever ; gouverner c’est produire ; gérer c’est compter, prévoir c’est anticiper, sécuriser c’est convaincre, créer c’est inventer. En Algérie, se développer c’est creuser ; gouverner c’est importer ; gérer c’est dépenser, prévoir c’est subir, sécuriser c’est contraindre, créer c’est copier-coller. Les gouvernements ont délibérément choisi la croissance économique à partir de l’accumulation des revenus pétroliers et gaziers plutôt que sur le développement fondé sur la formation et l’emploi des hommes. La rente a permis l’enrichissement des riches et l’appauvrissement des pauvres. Il s’agit d’un capitalisme d’Etat au rabais qui doit peu au pseudo-capitalistes privés locaux et beaucoup aux gouvernements.
Il y a une confiscation de la rente énergétique au profit de l’édification d’un puissant Etat central omnipotent et omniprésent et d’une population urbaine plus ou moins parasitaire. Le développement ne visait pas l’élévation du niveau de vie de la population, ni l’amélioration des conditions de travail mais le renforcement de la puissance de l’Etat et par voie de conséquence le développement d’une couche minoritaire parasitaire au service d’un occident triomphant.
Le développement injuste est également immoral car il fit prospérer toute une clientèle de faux entrepreneurs par la grâce de l’Etat plus apte à faire fructifier des monopoles de situation qu’à créer de véritables richesses. Ce développement s’est avéré coûteux car financé par l’inflation et l’endettement extérieur. L’une comme l’autre servent à financer la survie artificielle du secteur public.
La dette souvent présentée comme un obstacle externe est en vérité la conséquence directe de la politique intérieure du pays. Le développement est devenu l’alibi de toutes les exactions politiques. En son nom, tout est permis. Cette situation est le produit du mal développement qui fait passer la modernisation de l’Etat avant l’amélioration des conditions de travail et de vie des populations. Elle traduit l’incapacité des dirigeants à affronter la nouvelle situation économique. La quête de la puissance nationale l’a emporté sur la volonté à résorber la pauvreté des masses.
Le modèle étatique est plus un modèle de puissance étatique plutôt que l’amélioration du sort des populations. Le développement et la démocratie sont devenus des mots vides de sens. Il faut tout reconstruire à partir de la base pour éviter que le fanatisme religieux ou la tentation militaire l’emporter.
L’Etat moderne ne peut exister sans une économie de marché et une économie de marché ne peut survivre sans une société démocratique. L’Etat doit commander les hauteurs de l’économie et laisser l’initiative privée se développer dans un cadre organisé.
La démocratie, c’est d’abord et avant tout le pouvoir au civil. Il s’agit de reconstruire un Etat honnête et édifier une économie de survie au service des plus pauvres dans un monde sans moralité et sans justice où le chacun pour soi et dieu pour tous s’est installé durablement, le confinement des populations n’en est que le signe avant-coureur, le coronavirus le détonateur, les Etats les cibles notamment les plus vulnérables dont la nourriture et les médicaments dépend de l’étranger.
La rigueur morale n’exclut pas pour autant la quête d’un bien-être matériel. Bref un Etat fondé sur une morale, responsable devant les citoyens, régi par des règles et respectées par chacun pour le bien de tous.
Par la crise, les algériens entrent contraints et forcés dans la dynamique du capitalisme et du libéralisme. Pourtant seule une société ouverte dans laquelle le pouvoir politique et le pouvoir économique sont distincts permet l’introduction d’une économie de marché. Une société fermée par contre n’invite qu’au conformisme et à la répétition des expériences malheureuses.
Pourquoi tous ces hommes au pouvoir insistent-ils sur la privatisation, l’esprit d’entreprise, les forces du marché. Ce discours est en partie imposé par la faillite des gouvernements condamnés à rechercher auprès du capitalisme international privé ce qu’il ne trouve pas dans les caisses de l’Etat.
Plus encore, cette rhétorique et destinée à l’exportation, elle est destinée à rassurer les organisations internationales, les banques et à attirer les investissements étrangers. Les algériens cherchent toujours à plaire à l’occident et disent ce que les occidentaux souhaitent entendre. Le boom pétrolier qu’a connu l’Algérie dans les années 2000 illustre parfaitement la cohabitation entre la permanence d’une misère morale endémique et l’existence de ressources financières abondantes.
Le prix élevé du pétrole a structurellement pour effet pervers de perpétuer à l’infini le système mis en place. C’est dans la pérennité des régimes autocratiques que l’occident trouve sa prospérité et sa sécurité. Une baisse prolongée croissante du prix des hydrocarbures, des réserves ou des débouchés, serait-elle salvatrice ou mortelle pour le pays ? En faisant une rapide rétrospective, nous avons le net sentiment d’avoir vécu trois vies : colonisé au temps de sa jeunesse, socialisé à l’âge adulte, et entreprenant à l’âge de la retraite. Tel est le paradoxe du politique et de l’économique en Algérie.