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Algérie : « un pour tous, tous pourris ! » (*)

TRIBUNE

Algérie : « un pour tous, tous pourris ! » (*)

«Si tous les corrompus vont en prison qui va alors gouverner le pays ? » Youssouf Yacouba.

La nationalisation du pétrole et du gaz et la hausse du prix du baril de pétrole vont faire des ressources en hydrocarbures la principale source de revenu en devises du pays. C’est ainsi que la rente pétrolière et gazière va rendre le pouvoir de plus en plus attractif. C’est donc l’Etat qui va contrôler la quasi-totalité des ressources de la nation. 

En absence d’une démocratie en Algérie, l’enjeu politique ne sera plus la croissance économique et le plein emploi des facteurs de production de biens et services mais la répartition de la rente pétrolière et gazière à des fins de légitimation du pouvoir. La rente va alors irriguer tous les réseaux du système et chaque réseau sera évalué et rémunéré en fonction de sa contribution à la stabilité du système.

Ainsi, par ce mode de redistribution arbitraire et irrationnel des ressources nationales, l’Etat imposera une déresponsabilisation en profondeur, du sommet à la base, et de la base au sommet, à l’ensemble des acteurs économiques et sociaux, qui adoptent alors, sous l’effet de la pression sociale, l’idéologie du système c’est à dire « la politique du ventre ». C’est dans ce contexte que nos enfants naissent et grandissent dans un climat de corruption qui fausse leur conscience dès leur jeune âge en leur faisant croire que le succès dans la vie s’obtient non pas par les études approfondies et le travail honnête mais par la tromperie et le vol. « On prend les hommes par le ventre et on les tient par la barbichette ».

L’adage populaire qui dit « remplis lui son ventre, il oublie sa mère » trouve là toute sa pertinence. Une politique financée intégralement par la « poche » saharienne. Cette politique a consisté à vider la tête des hommes et à remplir leur ventre. Dès l’école primaire, on apprend aux élèves plus à obéir qu’à réfléchir. Et plus tard, à l’âge de la raison, ils se rendent compte que dans la vie professionnelle, l’obéissance à la hiérarchie est un critère déterminant dans la promotion sociale. Dans ce contexte, les capacités intellectuelles et professionnelles acquises à l’école, importent peu pour accéder et gravir les échelons de la hiérarchie administrative. Seul l’accès à un réseau le permet et l’obéissance aveugle dont il faudra faire preuve auprès de celui qui le contrôle. 

Le système tire donc sa véritable dynamique de la promotion d’un personnel politico-administratif médiocre, car il n’a aucune possibilité d’exercer son esprit critique, malgré, pour certains le haut niveau intellectuel acquis à l’université. Cette promotion de la médiocrité visant l’accaparement des ressources nationales par la faction au pouvoir et leur redistribution obscure à travers les réseaux qui soutiennent le système crée ainsi par sa propre dynamique interne les conditions de son inefficacité notamment dans le domaine du développement économique où le système se contente de poser quelques réalisations prestigieuses n’ayant aucune emprise sur la dynamique sociale et économique mais donnent lieu simplement à une apparence du développement. L’organisation sociale ne connaissant pas les lois de l’économique (profit, compétence, concurrence) fait que toute production interne propre est dévalorisée et ne donne aucun label de notoriété à son auteur.

La société n’exerce aucune pression sociale sur la production mais tente d’agir sur la redistribution par le recours aux grèves sauvages et aux émeutes sporadiques et récurrentes. C’est pourquoi la compétence s’exile, se marginalise, ou s’enterre, alors que la médiocrité s’affirme, s’impose et se multiplie. Dans les échanges, la cupidité domine le commerce, les importations freinent la production, les devises fuient le pays par la grande porte, La monnaie nationale dégringole, le billet de banque sert de papier hygiénique, le chèque ne trouve pas preneur, « la mauvaise monnaie chasse la bonne ». La pièce d’un dinar a disparu. Comment faire l’appoint ? La mauvaise monnaie chasse la bonne. L’argent facile fascine. La passion l’emporte sur la raison. L’investissement n’a plus sa raison d’être, les entreprises cessent de produire, les algériens n’ont plus le cœur à l’ouvrage, le travail les répugne, la conscience professionnelle a disparu. L’algérien ne dit pas « je vais travailler » mais « je vais au travail » (cela veut dire je vais pointer et attendre la fin du mois pour percevoir mon salaire).

D’ailleurs, si un compatriote s’amuse à travailler pour de vrai, il sera immédiatement licencié et privé de son revenu car il dérange le système. Chaque poste administratif et politique est transformé en un patrimoine privé, source d’enrichissement personnel pour celui qui l’occupe et de promotion sociale pour son entourage familial et immédiat. De plus, l’impôt sanctionne le travail productif et amnistie le profit spéculatif. La fiscalité ordinaire se rétrécit comme une peau de chagrin, la fiscalité pétrolière et gazière et ses dérivées peine à faire face aux dépenses de fonctionnement et d’équipement de l’Etat. Ce qui n’empêchera le train de vie de l’Etat de rouler à toute vitesse pour une destination inconnue. L’objectif est de maintenir un niveau de dépenses incompressible à la survie d’un système à bout de souffle. « Quand un gouvernement se trompe, il n’a qu’une seule solution, persévérer dans l’erreur » nous dit André Frossard.

L’impression de billets comme planche de salut et/ou le recours à l’endettement extérieur comme voie de secours seront de nouveau des panacées de sortie de crise. Une fuite en avant en attendant une remontée hypothétique des cours du pétrole et de l’arrivée peu probable d’opérateurs étrangers à la faveur de la nouvelle loi sur les hydrocarbures.  Des politiques qui ont fait la preuve de leur inefficacité. Dans un pays chômé et payé où l’argent facile coule à flots, l’économie cède les commandes au politique, le politique à l’incurie, et l’incurie à l’écurie qui conduit vers l’abattoir. « Un peuple de moutons finit par engendrer un gouvernement de loups » nous confie Agatha Christie.

Aujourd’hui, on est en phase de passer à une nouvelle étape, celle de la « politique de l’anus ». On ne réfléchit plus, on s’observe, on se tient à distance, on fait ses besoins n’importe où, n’importe comment ; l’essentiel est de se soulager. L’algérien ne crache pas chez lui mais n’hésite pas à le faire dans la rue considérant que, celle çi ne lui appartient pas. Elle appartient à l’Etat. Et l’Etat, ce n’est pas lui, ce sont les autres. Les autres qui ne sont que le reflet de lui-même mais il ne peut l’admettre, il est dans sa tête encore enfant. Dès qu’il dispose d’une parcelle de pouvoir et qu’il arrive à s’y cramponner il se comporte de la même manière que ceux qu’il dénonçait auparavant. Comme dirait un proverbe bien de chez nous « celui qui veut être cité dans le village n’a qu’à faire ses excréments à la fontaine publique ». Le monde dans son ensemble est devenu un village planétaire grâce aux nouvelles technologies de communication, tout finit par se savoir tôt ou tard.

« Celui qui a montré ses fesses n’a plus rien à cacher ». Les scandales financiers et les détournements de fonds publics s’étalent au grand jour dans un pays qui rejette aussi bien ses excréments que ses enfants à la mer. Cela signifie que le pays ne peut plus compter sur son élite pour bâtir son avenir. Cette élite n’a plus de tête. Elle a rempli son ventre de toutes les immoralités et de toutes les turpitudes, il ne lui reste que son pour vivre dans son propre univers nauséabond. A tel point, qu’il devient difficile de distinguer entre les gens qui circulent et les ordures qui longent les rues. Les comportements de corruption, de pillage et de gaspillage des ressources humaines, matérielles, minières et financières sont fortement nuisibles à la stabilité de la société, à la pérennité de l’Etat et à l’émergence d’une économie productive créatrice d’emplois. Ces pratiques illicites et douteuses utilisées de détournement des ressources du pays à des fins non productives agacent aujourd’hui sérieusement la société, au point que les dirigeants de la nation se trouvent pointés du doigt…

Jetant le discrédit sur toute la classe dirigeante qu’elle soit au « pouvoir » ou dans « l’opposition », en « activité » ou en « réserve », « apparente » ou « cachée ». Comme dirait un proverbe kabyle : « personne ne peut traverser une rivière sans se mouiller ». Les dirigeants n’inspirent plus aucun respect. Pour certains, le non-respect ne suffit plus, l’idéal serait d’inspirer la terreur. Le pays a fait d’eux des hommes riches, ils en ont fait un pays pauvre. L’élite dirigeante devrait éprouver de la honte de n’être qu’une caste d’hommes et de femmes de paille au service d’un système de domination inacceptable pour une Algérie qui s’est battue pour plus de liberté, de justice et de dignité. Un homme d’Etat africain disait il n’y a pas si longtemps : « on peut tromper le peuple de temps en temps, mais, on ne peut pas le tromper tout le temps ». On assiste, après cinq décennies d’indépendance, à une déchéance du leadership algérien. Un bon dirigeant a le devoir de mener une vie exemplaire…

A l’inverse, celui qui ne mène pas une vie exemplaire ne mérite pas d’être dirigeant. Pourtant, c’est connu le respect se mérite et le rang s’achète. On retombe naturellement dans la lancinante question du choix des dirigeants du pays. Les nominations à des postes de responsabilité devraient cesser d’être des certificats d’allégeance servile aux prestations médiocres et aux coûts exorbitants dans un environnement international de plus en plus complexe qui ne laisse aucune chance de survie à des populations de plus en plus désemparées. Au Sud, le Sahel est devenu un enjeu géopolitique stratégique convoité par les puissances étrangères pour les richesses naturelles que recèlent son sol et son sous-sol. L’Algérie se trouve prise en étau par des forces néocoloniales d’un genre nouveau, cette fois ci à la carte et non au menu, remettant en question les frontières héritées du colonialisme de façon sournoise, subtile et intéressée.

Et pour ce faire, on n’a pas besoin d’occuper militairement le pays. Cela coûte cher (en hommes, en matériels et en finances) et rapporte peu. Alors que l’on peut gagner gros sans débourser le moindre centime, il suffit de confier l’administration des populations aux élites indigènes qui ne demandent rien d’autre que de servir leurs maîtres du moment qu’elles méprisent leurs peuples… Il n’y a pas de plus colonisé qu’un cerveau colonisé. Géographiquement, l’Algérie a une « fesse » qui donne sur un Mali en ébullition et l’autre sur une Lybie en proie à des luttes tribales et ethniques et au centre, une plaque tournante de tous les trafics en tous genres et de toutes les influences menaçant la stabilité de la région.

Evidemment, « l’anus » ne sait pas ce qui se passe « au-dessus de lui ». Il n’est que l’aboutissement d’un processus qu’il ne contrôle pas. Faut-il attendre l’assèchement des gisements pétroliers et gaziers et la fin biologique de la génération de novembre pour se rendre compte de l’absurdité de la politique du ventre et de ses conséquences dramatiques sur les générations actuelles et futures. Qui mange de « l’or (noir) », chie du « plomb » dit-on. Par conséquent, il doit faire confiance à son anus. Le besoin de s’alléger se fait pressant et le désir d’apaiser sa conscience oppressant. Ventre, quand tu nous tiens ! Nous ne jurons que par toi. Tu as envahi notre cerveau, obstrué notre conscience, endurci notre cœur, et vidé notre esprit. Tu as fait de nous des êtres vils et serviles. On a fait de toi notre raison de vivre. Sans toi nous cessons d’exister. C’est la « poche » saharienne qui pourvoit aux besoins des populations, l’homme n’y est pour rien. Il n’est là que pour gaspiller ou pour opprimer. Et dans ces deux domaines, il excelle. L’homme peut faire taire sa conscience, contourner la loi mais il ne peut échapper au châtiment divin.

Après cinquante années de gestations et de soubresauts, le gros ventre de l’Algérie indépendante, a accouché d’un corps social amorphe sans tête pensante, d’un pouvoir sans contrepouvoir, d’une économie sans travail, d’un bateau sans gouvernail, d’une société sans âme. Qui va sortir le pays de ce vaste « merdier » à ciel ouvert ? Qui peut prétendre le faire seul, les pieds « nus », les mains « ligotées » et la tête « ailleurs » ? Qui va écrire la feuille de route : la plume ou la baïonnette ? Les deux manquent cruellement d’encriers.

Aujourd’hui, les jeunes disposent d’un clavier et d’internet. Avec seulement leurs dix doigts, ils peuvent faire des miracles. Un proverbe français nous apprend « qu’une tête froide, un ventre libre, des pieds chauds sont de sûrs remèdes à tous les maux ». Il n’existe pas dans notre pays de discussions sérieuses et approfondies sur l’utilisation de la rente pétrolière et gazière depuis l’indépendance à nos jours. Les gouvernants successifs dans un geste de « générosité intéressée » donnent l’impression d’utiliser les recettes générées par l’exploitation des ressources pétrolières et gazières pour distraire la population et la détourner des véritables enjeux en retardant voire en éludant les grandes réformes à engager dans les secteurs fondamentaux de l’économie comme l’agriculture, l’éducation et la fonction publique. Il est peut-être essentiel et urgent de développer des mécanismes de contrôle social de la redistribution de la rente pétrolière et gazière en organisant la participation de la population à la prise de décision afin d’éviter ou du moins réduire les dépenses publiques hâtives et intempestives sans impact réel sur l’économie et sur la société.

Faut-il donc rechercher la clé de l’évolution politique de l’Algérie dans le conflit entre les aspirations de l’élite issue de la génération de novembre à se maintenir en activité au-delà de l’âge de la retraite et celles de la population majoritairement jeune à disposer d’un emploi permanent productif afin de construire le pays qui est le leur ? Ils n’ont ni de pays de rechange, ni de parents adoptifs. Ils sont attachés profondément à l’Algérie. C’est leur raison de vivre ou de mourir. « Nos erreurs actuelles seront les plaies de nos générations futures qui saigneront comme de nouvelles plaies » nous apprend Abbas Abdelaziz.

Dr A. B.

(*) Le titre est une citation de Coluche

(**) « L’Algérie est sans la France ce que le pétrole est sans la bagnole et la France est sans l’Algérie ce que la bagnole est sans le pétrole » aurait déclaré un chef d’Etat africain à un de ses interlocuteurs, il y a de cela plusieurs années.

 

Auteur
Dr A. Boumezrag

 




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