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Algérie : une république en djellaba, en treillis ou en jean ?

DEBAT

Algérie : une république en djellaba, en treillis ou en jean ?

« Le pouvoir est dangereux : il attire le pire et corrompt le meilleur » Edward Abbé

Depuis le coup d’Etat du 19 juin 1965 et la nationalisation des hydrocarbures le 24 février 1971, l’argent et le fusil forment un couple inséparable pour le meilleur et pour le pire. L’argent corrompt et le fusil dissuade. C’est avec le fusil qu’on s’empare du pouvoir et avec l’argent qu’on le garde. L’argent est  rusé et charmeur ; le fusil est rigide et brutal. La guerre et la paix cohabitent dans le même palais. Les jeunes sont le produit des deux : la violence des années 90 et la corruption des années 2000.

A la violence, ils répondent « silmia, silmia » ; à la corruption, ils crient « trouho gaa », à « diviser pour régner » dans l’opulence, ils opposent « l’unité de la nation » dans l’adversité. Aujourd’hui, leur moyenne d’âge est la trentaine, sans emploi, sans logement, sans perspectives. Ils crient à l’unisson leur soif de liberté, de justice et de dignité. Ils sont adultes, ils veulent traiter avec le pouvoir d’égal à égal, engager des rapports contractuels donc démocratiques. Malheureusement le pouvoir d’essence patriarcale s’entête dans des relations verticales donc autoritaires avec le peuple c’est-à-dire de subordination pure et simple autrement dit de chef à soldat. Le peuple n’est pas un soldat mais un citoyen. Il habite dans une cité. La Cité de Platon. Au fait, qui est Platon ?

1- République en treillis : le fusil au pouvoir (la répression)

Pour les tenants du pouvoir, « nous ne sommes pas un pays de consensus mais un pays en proie à d’incessantes guerres civiles ». Pour le peuple, il n’y a pas de guerre civile mais de guerres contre les civils. Le pouvoir est violent, le peuple est pacifique, l’un obéit aux ordres, l’autre à la raison. Il est hors sol. Nous sommes en présence d’un régime politique à hégémonie militaire en fin de vie. Il est contre nature. Il nage à contrecourant de l’évolution des peuples. Il ne sait pas que là où il y a le feu, il n’y a pas d’eau, et là où il y a l’eau, il n’y a pas de feu. Les deux ne peuvent pas être au même moment et au même endroit. « ..En effet, maître de l’arène politique, le militaire devient politicien. A ce titre, il émarge à deux univers normatifs : l’univers militaire et l’univers politique. Or ces deux systèmes de normes sont indiscutablement contradictoires ; l’un est à base de compromis, de contestations, l’autre à base de conformisme et de discipline stricte. Dès lors, cette interpénétration contribue dans une large mesure à paralyser le contrôle social exercé par les normes militaire… ». (*). La situation en Algérie est la parfaite illustration. L’Algérie serait-elle une caserne à ciel ouvert ? Le chef d’Etat-major est à la fois vice-ministre de la défense, Il est en tenue de combat, le pays est-il en guerre ? A quels défis, la nation est-elle confrontée ? Il donne des ordres aux soldats tout en envoyant des messages au peuple à partir d’une caserne. C’est avec le fusil que l’on s’empare du pouvoir ; avec l’argent qu’on le garde et par son abus qu’on le perd. Un peu partout dans le monde, les dictatures militaires en Afrique ont perdu toute légitimité et ne s’impliquent plus directement dans le débat politique pour ne pas endosser la responsabilité de la faillite économique et financière de l’Etat.

Evidemment, on ne guérit pas une plaie en y retournant le couteau comme on ne peut pas la laisser en l’état,  elle risque de gangréner tout le corps d’autant plus qu’il est imprégné de miel. On peut se relever d’un traumatisme certes mais jamais du royaume des morts.

2- République en djellaba ; l’argent au pouvoir (la corruption)

Il faut que les choses soient dites pour que les maux se taisent. L’Algérie a vécu plus de la rente et de la gabegie que  de l’effort et de l’économie. La règle étant de s’enrichir et non d’enrichir le pays. L’argent facile fascine. L’argent privé se terre. L’argent public se privatise. Il s’expatrie vers les paradis fiscaux. Personne ne lui demande des comptes.

C’est un « bien vacant ». Il appartient au plus fort. L’argent, c’est le pouvoir. « Quand l’argent parle, la vérité se tait ». La richesse distribuée ne craint pas de se montrer au grand jour tandis que les inégalités sociales s’accroissent. La consommation devient ostentatoire, signe de distinction de classe, tous sont malades de l’argent, tous finalement regardent vers les  revenus pétroliers et gaziers pour étancher cette soif.

La richesse facile semble être le chemin assuré vers l’échec des politiques menées à l’abri des baïonnettes. La capacité du pouvoir à corrompre la majorité de la population et à ériger l’argent facile comme moyen d’ascension sociale n’est plus un mystère pour personne. Les algériens se sont prêtés au jeu et ils ont perdu, les gouvernants n’y sont pour rien. Ils sont leurs propres reflets. Ils sont sortis de leurs propres entrailles. Ce ne sont pas des météorites tombés du ciel. La société est un corps moral qui souffre ou prospère à travers les activités morales de ses membres.

La santé morale d’une société exige une certaine harmonie entre les aspirations, les expériences et les réalisations, les accomplissements entre les rêves et les réalités, entre les revendications et leur satisfaction.

3- La République en jean : la raison au pouvoir (la concertation)

L’Algérie utile et l’Algérie profonde ont fait un bon bout de chemin ensemble, à présent, elles sont inquiètes. Elles savent mieux que quiconque que la carotte armée d’un bâton débouche sur la perversion corrompant la société  dans son ensemble et que le bâton doté d’une carotte mène à la violence débouchant sur une guerre civile. La violence armée et l’argent facile sont les ingrédients d’un .désastre écologique sans précédent. Il n’y a pas de solution individuelle à un problème collectif. Une cohésion sociale suppose la mise à nu des difficultés et la volonté d’y faire face sans échappatoire et sans faux fuyant, de façon solidaire en faisant appel à la raison.

La survie du patriarcat a très certainement intérêt à encourager le  triomphe de la défaite. C’est dire que la situation est complexe et les causes profondes. Nos problèmes ne tombent pas du ciel mais ont poussé sous nos pieds. Il suffit de jeter un regard furtif sur les détritus qui jonchent le sol et le mouvement incessant des gens qui circulent sans but pour se rendre compte de l’état de délabrement du pays du nord au sud, de l’est à l’ouest. Le défi majeur à relever est d’empêcher qu’une population qui a goûté à la sécurité, au confort et à la facilité de sombrer dans la peur, la famine et le chaos. Car un faible niveau de développement et ou de modernisation n’apporterait qu’amertume et désespoir. Faut-il faire appel aux morts pour régler les problèmes des vivants ? Aucune force sociale n’est à même de formuler et encore moins de mettre en œuvre une proposition d’ensemble en vue de sortir le pays de la crise actuelle c’est-à-dire être en mesure de s’opposer au règne sans partage et sans limite du pétrole sur l’économie, la société, et la marche du monde. Et les exemples ne manquent pas dans le monde arabe.

En Algérie, le rapport de force doit absolument céder la place au débat contradictoire. Une confrontation d’idées et non de personnes offrant l’avantage d’éclairer les uns et de convaincre les autres, sans attendre une quelconque gratitude,  sans tirer un seul coup de feu et sans toucher le moindre sous. Les armes devant rester aux vestiaires et la « chkara » jetée à la poubelle. Ne compteront que la valeur des idées, la pertinence des propositions, leur faisabilité pratique, et leurs délais de mise en œuvre. Au cours de ces discussions, il ne s’agira ni de dresser des réquisitoires, ni de prononcer des plaidoiries devant se solder par des jugements qui ne résoudront aucun problème mais de définir des voies et moyens devant sortir le pays de l’impasse. « Une seule main ne peut applaudir, il en faut deux ». Nous sommes tous les habitants de ce pays et l’avenir de nos enfants nous incombe. Ils ne sont pas tombés du ciel (des enfants x), ils sont sortis de nos entrailles. Et, nous avons des responsabilités envers eux. Il est temps avant que dieu nous rappelle à lui.

Nous ne sommes pas éternels. Ce sera peut-être l’occasion où civils et militaires pourront se parler à cœur ouvert, droits dans les yeux, dans le respect des uns et des autres, dialoguer en toute liberté et agir de façon solidaire, dans une même direction celle que leur dicte leurs consciences apaisées et l’intérêt suprême du pays. Pour ce faire, trois préalables : la ruse au cachot, l’intelligence placée aux commandes et le peuple sommé de travailler.

Auteur
Dr Abdelkader Boumezrag

 




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