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Ali au pays des merveilles

La Casbah
Fuir Alger et la Casbah à tout prix.

Ali est un jeune Algérois qui veut à tout prix se soustraire à sa famille, nombreuse, et à l’étroit dans sa Casbah natale.

Comme beaucoup de jeunes de son âge, il nourrit l’ambition de se rendre en Europe, de préférence en France, parce qu’il parle la langue du pays. Un jour, il reviendra en homme riche, promet-il aux siens.

Facebook est une trouvaille formidable pour communiquer avec l’étranger en temps réel. C’est grâce à ce réseau social qu’il a fait la connaissance d’Alice, une fille du nord de la France. Voici donc l’histoire d’Alice et d’Ali.

« Je m’appelle Ali.

— Ali Baba et les quarante voleurs ? LOL !

— C’est drôle, et toi ?

— Je m’appelle Alice.

— Alice au pays des merveilles ? LOL !

— Très drôle.

— Tu habites où, en France ?

— Dans le Nord.

— Les gens du Nord ont dans le cœur le soleil qu’ils n’ont pas dehors, dit la chanson.

— Et dans les yeux le bleu qui manque à leur décor.

— C’est vrai tout ça ?

— Je confirme. T’es déjà venu en France ?

— Jamais, mais j’aimerais.

— Qu’est-ce qui t’en empêche ?

— Il faut un visa et pour avoir un visa, il faut un certificat d’hébergement. »

Un mois plus tard, la relation entre Alice et Ali entre dans une phase romantique.

« Un seul être vous manque et tout est dépeuplé, écrit-elle.

— Fais de ta plainte un chant d’amour pour que tu ne souffres pas, compatit-il.

— La douleur est la culture de l’âme, c’est elle qui la fertilise.

— Je serai ce laboureur qui fait vivre sa terre pour t’offrir les fleurs les plus rares.

— La fleur la plus rare est la plus commune de toutes : la rose. Mais il n’y a pas de rose sans épines. Comme l’amour, il n’y en a pas sans peine.

— Les plus grandes peines ont leur douceur quand elles sont partagées.

— Tu es si loin des yeux.

— Mais si près du cœur.

— Viens, rejoins-moi, c’est une prière. Un et un, ça fait tout.

— Et deux moins un, ça fait rien.

— Alors ?

— Alors il me faut un certificat d’hébergement.

— Tu l’auras au plus vite », conclut-elle.

Deux mois plus tard, Ali s’envole dans les airs, laissant loin derrière la Casbah et sa famille, toujours à l’étroit, même s’il est en moins. Il atterrit à l’aéroport de Lesquin où Alice l’attend au pays des merveilles. Dans la navette qui les emmène à Lille, ils échangent à peine quelques mots. Leur relation entre dans une phase d’observation.

Elle : Il ne mange pas, dans son bled, ou quoi ?! Il est tout maigre.

Lui : Qu’est-ce qu’elle est grosse ! Je parie qu’elle mange du porc et qu’elle boit de la bière.

Elle : C’est quoi cette barbe ? J’espère que ce n’est pas un islamiste.

Lui : Sa jupe est trop courte. On voit toutes ses jambes. C’est une s…

Elle : Un mécanicien, ça gagne des thunes. S’il est aussi bon qu’il le dit, finies les galères.

Lui : On se marie, elle me fait les papiers puis on verra.

De temps à autre, leurs regards se croisent, ils arborent alors un sourire pour dissiper leur méfiance réciproque.

Alice a reçu Ali chez Alicia, une amie avec qui elle partage un appartement dans le quartier populaire de Wazemmes. Ali ne connaîtra Alicia qu’à la fin du mois d’août. Elle s’est rendue chez ses parents à Malo-les-Bains dans la région de Dunkerque où elle passera l’été, une période propice au travail saisonnier. Alice lui a promis qu’à son retour, ils ne seraient plus chez elle. Pour le moment, ils ont l’appartement à eux tout seuls pour faire plus ample connaissance.

Comme convenu, à la fin du mois d’août, Alice et Ali se marient, ce qui permet à l’ex-Algérois de bénéficier des papiers français. On leur attribue un logement dans le quartier. Ali est même embauché dans un garage de mécanique auto.

« T’es pas Ali au pays des merveilles ! », le taquine Alice qui, depuis quelque temps, fait la belle et snobe les gens du quartier avec son caddie bien rempli.

L’hiver arrive. La relation entre le Méditerranéen et la Ch’tie entre dans une phase propice aux hostilités.

Il rentre, éreinté après une longue journée de labeur. Elle regarde sa série préférée en mangeant du pop-corn.

« Y a rien à manger, Alice !

— Il y a tout ce qu’il faut dans le frigo.

— Mais il y a rien sur le feu, t’as pas cuisiné ?

— Je n’ai pas qu’ça à faire.

— T’as quoi d’autre à faire ? Regarder la télé et t’engraisser comme une truie !

— Ne me parle pas comme ça, espèce de blédard ! Quand tu étais de l’autre côté de la Méditerranée, t’avais un autre langage. Où est le laboureur qui fait vivre sa terre pour m’offrir les fleurs les plus rares ?

— Cette terre est devenue un champ de ruines. Je n’ai plus de fleurs à t’offrir sinon leurs épines. Une bonne épouse doit faire à manger à son mari.

— Je ne suis pas ta Fatma.

— Alors tu dégages, mécréante !

— Bougnoul ! Je savais que tu ne m’avais épousée que pour les papiers. »

Ali est bien décidé à se débarrasser de celle qu’il n’a jamais considérée comme son épouse.

Un jour, elle rentre à la maison et tombe sur quatre barbus en kamis en train de boire du thé dans le salon. Elle se retranche dans sa chambre. Elle ne ressortira qu’après leur départ.

Ces visites de barbus en kamis sont devenues quasi-quotidiennes. Cela n’a pourtant pas entamé sa détermination à rester chez elle.

Mais un soir, au moment où elle va se coucher, elle trouve un serpent enroulé dans son lit. Sa frayeur est telle qu’elle ne remettra plus jamais les pieds dans l’appartement.

Ali ne perd pas son temps. Il fait venir une fille de la casbah. Celle qui lui soufflait toutes les locutions proverbiales qui ont séduit Alice. Une universitaire en hidjab. Il va jusqu’à narguer son ex-compagne en passant sous le balcon d’Alicia avec « sa chose ».

Mais le bonheur de l’Algérois ne dure pas très longtemps puisqu’un événement fâcheux vient bouleverser sa vie. Une perquisition est effectuée à son domicile. La police y trouve du matériel pour fabriquer des explosifs. Il écope de six ans de prison.

Alice va lui rendre visite dès les premières semaines. Il est évidemment très surpris.

« Qu’est-ce que t’es venue foutre ici ? lui demande-t-il.

— Comme tu peux le voir, je n’ai pas apporté d’oranges, mais quelque chose qui t’appartient.

— Quoi donc ?

— La clé de l’appartement. J’avais oublié de te la rendre.

— Salope ! C’est toi qui m’as piégé.

— Œil pour œil, dent pour dent. Voici un proverbe bien de chez toi. »

Ali se répand en invectives derrière la grille qui le sépare d’Alice.

« C’est elle la coupable ! Arrêtez-la ! »

Les gardiens interviennent aussitôt et le remettent dans sa cellule manu militari.

Épilogue

Après avoir purgé sa peine, Ali est renvoyé dans son pays d’origine, la double peine ayant été rétablie par le président de la République qui, d’ailleurs, a durci toutes les lois anti-immigration. Quant à Alice, elle a repris son modeste train de vie. Toujours perchée sur le balcon d’Alicia, elle contemple le quotidien des habitants de Wazemmes.

« Bonjour, Alison, interpelle-t-elle une policière municipale qui verbalise les véhicules en stationnement irrégulier.

— Bonjour, Alice ! Ça va mieux, depuis ?

— À merveille, grâce à toi. Merci encore pour le coup de main.

— De rien, mais chut ! »

Boho

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