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Ali la Pointe, petit Omar, Ben M’hidi et l’écriture de l’histoire

Hommage

Ali la Pointe, petit Omar, Ben M’hidi et l’écriture de l’histoire

L’anniversaire du 1e novembre 1954 a donné lieu à des articles et interviews sur cette séquence-épopée d’un peuple qui avait soif de retrouver sa dignité et un pays voulant recouvrer sa souveraineté. Le concept  d’Histoire dans la langue française semble faire trébucher beaucoup de monde. Dans cette langue un même mot désigne les événements du passé, rend compte par un travail intellectuel (l’écriture) des événements en question et enfin signifiant raconte des histoires sorties de l’imagination.

Voyons comment dans ces articles et interviews, leurs auteurs sont tombés dans les pièges de la sémantique. Ainsi un écrivain africain dans une interview à un quotidien algérien déclare sans barguigner ‘qu’il faut prendre de la distance par rapport à la colonisation’’. J’ai d’abord pensé à la fameuse distanciation prônée par un nom qui compte dans le théâtre Berthold Brecht. Ensuite, j’ai pensé au cinéaste qui se doit de garder la bonne distance avec l’événement et les sujet qu’il filme. Cette théorie ‘’conseille’’ au cinéaste de tenir compte des aspects formels dans un film (cadrage des images, la posture et le rapport du cinéaste avec le sujet) car ils influent sur le contenu du film. Prendre de la distance avec un événement dans la langue française, veut dire autre chose car on est loin de la position de Brecht. En français, prendre ses distances signifie, se détacher en toute conscience de la réalité du phénomène par arrogance intellectuelle ou par soumission à un ordre. La distanciation de Brecht c’est une posture et un langage pour faire partager au spectateur, comme le dit Aristote, tous les ressorts de l’émotion et de l’intelligence de la situation décrite. Le rôle de l’historien n’est pas de se mettre des barrières entre lui et l’événement, c’est plutôt de le prendre à bras le corps. Certains le paient de leur vie pour aller au contacte de l’événement et en révèle les vérités que l’on veut cacher.

Ces vérités (du réel) ne posent pas problème, c’est leur écriture qui divise les historiens. Cette division découle de facteurs idéologiques mais aussi théoriques. Il est évident que si l’on traite la colonisation comme une mission civilisatrice (Jules Ferry par exemple) ou bien qu’il légitime la violence barbare de l’entreprise coloniale comme Tocqueville (1) au nom des intérêts supérieurs de l’Etat français, il est évident que l’on est en face d’un système politique qui se moque royalement de la vie des peuples des colonies.

La colonisation et l’esclavage qu’elle a engendré sont aujourd’hui reconnus comme un crime contre l’humanité. On n’a donc pas besoin de se cacher derrière une ‘’subtilité’’ langagière pour être ‘’original’’.

Le même écrivain africain, dans sa lancée a poussé encore plus loin le bouchon en affirmant que la littérature s’en fout de l’histoire. Tolstoï avec son grandiose ‘’Guerre et Paix’’ doit se retourner dans sa tombe. Il en est de même pour J.P. Sartre qui s’est tapé l’écriture d’un millier de pages sur le plus grand écrivain français du 19e siècle, Gustave Flaubert. Le philosophe français, père de l’existentialisme, dans ‘’l’idiot de la famille’’ consacré à Gustave Flaubert démontre dans son œuvre que cet écrivain est le pur produit de la petite histoire qui commence dans sa vie de famille et qui se termine par la grande histoire de France avec l’émergence de ces classes moyennes, enfants à la fois chéris et quelque peu  méprisés, affublés du vocable de petits bourgeois par un capitalisme naissant et triomphant.

Une autre formule utilisée par un ancien moudjahid colonel d’une willaya pendant la guerre de libération : ‘’l’histoire est imprévisible’’ a attiré mon attention. Si cette formule sous forme d’oxymore veut dire complexité à écrire l’histoire, pourquoi pas ? Mais si c’est un aveu d’impuissance à cerner l’histoire comme si c’était de la théologie avec des sens cachés comme dans les grandes religions, on risque de justifier la ‘’paresse’’ ou la mauvaise foi de ces historiens qui bernent leur public. L’histoire comme produit algébrique des actes aussi bien économiques, militaires, scientifiques et artistiques faisant partie de la réalité d’une époque, est à la portée de l’intelligence collective d’une société. Point de mystère donc si ce n’est le temps et la liberté dont nous avons besoin pour mettre de la lumière sur les ‘’sens cachés’’ par les pouvoir qui ont leurs raisons de garder le silence.

‘’L’histoire est imprévisible’’, en tant que figure de style ne doit pas ouvrir la porte à tous les flibustiers de l’intoxication pour frustrer un pays de vérités de son histoire. Ces flibustiers veulent dédouaner les actes de ceux qui ont labouré un présent voué à devenir un passé (histoire). Ce passé va conditionner le futur qui n’est autre que notre présent à nous les vivants d’aujourd’hui. L’on comprend alors le pourquoi de l’amertume de l’ancien moudjahid, amertume et colère partagées par beaucoup d’Algériens. Et quand on visite tous les recoins de l’histoire, on découvre aussi que le passé (guerre de libération) était soumis, a souffert des valeurs féodales qui se sont pérennisées avec la complicité de la colonisation qui a bloqué l’évolution des structures sociales. Et l’amertume se transforme en asphyxie quand on se rend compte que les luttes contre ces valeurs archaïques n’ont pas reçu la riposte que mérite la tragédie vécue par le peuple, une fois l’indépendance conquise.

En matière d’histoire, il ne sert à rien de mettre le couvercle sur la marmite ou bien cacher la poussière sous un tapis. Les vents de la vie finissent par tout balayer. Et comme ces vents tardent à souffler, on assiste à des mesquineries idéologiques qui balafrent le tissus social du pays. Et la littérature qui est en principe un solide rempart contre la bêtise, peut s’avouer impuissante parfois face la déferlante de la médiocrité qui fait taire les plus coriaces.

Cet article porte le nom de trois héros de la bataille d’Alger. J’ai voulu dire à travers des visages et des âges les vrais acteurs de l’épopée de la guerre de libération . Pour dire que ces visages-là représentent l’Algérie combattante dans le monde entier (2). Et ce grâce au film de la bataille d’Alger. L’histoire visitée par l’art et par un grand artiste est parfois plus ‘’efficace’’ que mille livres d’histoire. On le sait avec ‘’Guerre et Paix’’ de Tolstoï a magnifié la grandeur de son pays tout en mettant à sa juste place un grand stratège (Napoléon) battant en retraite non pas seulement devant les immensités neigeuses de la Russie mais surtout devant la fameuse âme russe.

A. A.

Notes

(1)   Tocqueville sénateur français est connu pour son essai sur la démocratie en Amérique qu’il admire. Mais dans son rapport au parlement français il légitime en Algérie les actes des armées françaises dont il reconnaît pourtant leur conduite barbare.

(2)     Le film est étudié dans les écoles de guerre (Argentine par exemple) pour lutter contre la guérilla urbaine. Pendant la guerre d’Irak, le Pentagone a montré le film à Bush président des USA dont les armées pataugeaient dans les ruelles des villes irakiennes notamment la fameuse bataille de Falouja.

Auteur
Ali Akika, cinéaste

 




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