Site icon Le Matin d'Algérie

Ali Mebroukine et le voile de l’ignorance de la loi

DEBAT

Ali Mebroukine et le voile de l’ignorance de la loi

Depuis que les hommes s’affrontent sur les idées, il y a ceux qui mettent en avant leur perception de ce qui est vrai ou juste, en prenant, s’il le faut, les risques nécessaires, et il y a ceux qui font le choix des positions adaptées au rapport de force du moment. On peut y ajouter ceux qu’on pourrait appeler les mercenaires du savoir, cette catégorie d’intellectuels payés à brouiller le débat dans la société, en contrepartie de quelques dividendes.

C’est bien évidemment tout le contraire de l’intellectuel organique tel que défini par Gramsci, le philosophe marxiste italien. Cette dernière catégorie n’appartient pas à un courant de pensée, elle travaille à la pige, monnayant soit ses titres universitaires, soit quelques concepts passe-partout pour meubler l’incurie du discours des pouvoirs autoritaires. Je ne crois pas qu’Ali Mebroukine en soit arrivé à faire ce genre de boulot, mais je le vois bien assis, ces derniers jours, dans cette démarche qui consiste à mettre sa voile du côté du vent du pouvoir.

Dans sa dernière sortie sur le journal électronique Le Matin d’Algérie, il vient une nouvelle fois au secours de Gaïd.Salah pour vendre un produit périmé en faisant l’éloge de la feuille de route de l’Etat-Major. En s’attaquant à l’idée de transition, il veut enfermer le destin du pays dans l’organisation d’une élection présidentielle précipitée dont l’issue est jouée d’avance – comme à l’accoutumé sous la bienveillance des militaires.

Mais doit-on lui rappeler que ce n’est pas sur les intentions qu’on évalue la pertinence et le bien-fondé d’une démarche politique mais dans les faits qui précèdent et suivent cette démarche. Or depuis le 22 février, l’Etat-Major, qui s’exprime par la voix de Gaïd.Salah, récuse l’idée d’un changement de système et tente de ramener le problème à une « simple déviation » du personnel au pouvoir qu’il qualifie de bande ou de ɛissaba. Il suffit de parcourir ses différents discours pour remarquer l’absence de toute référence à la démocratie, à la république et aux libertés.

Par sa volonté d’impacter l’opinion, la question est ainsi déviée de son contexte politique pour la réduire à une infraction morale. D’où ce défilé incessant d’anciens ministres devant la justice et leur mise en accusation pour des faits de corruption avec une surmédiatisation qui remet en cause le principe de présomption d’innocence que devait faire rappeler, à tout le moins, la solidarité gouvernementale. Mais comme c’est trop beau pour être vrai, il faut se demander comment la justice s’est réveillée pour s’attaquer à ce phénomène, et pourquoi, jusqu’à présent, certains hommes du sérail ne sont pas inquiétés ou cités, alors que leurs noms ont fait les choux gras de la presse nationale et internationale sur les détournements. Jeter en pâture certains noms pour prévarication n’est pas de nature à redorer le blason d’une justice qui n’a d’obéissance qu’aux ordres des maîtres du moment.

Si la question de la transition politique est cruciale, c’est aussi pour rappeler qu’elle doit sa réussite principalement à la mise en place d’une justice transitionnelle car contrairement à ce qui se dit, ici et là, la transition ce n’est pas sortir du droit, c’est trouver les mécanismes pour y retourner dans le vrai sens et le poids que lui confère l’Etat de droit démocratique: la primauté de la loi.

En donnant à Gaïd.Salah une caution à l’arrestation des porteurs du drapeau amazigh, Ali Mebroukine oublie, lui le Professeur de droit, comme il aime signer ses papiers, de nous dire sur quelle base juridique est engagée ce qu’il faut légitimement appeler un kidnapping. Et ce n’est pas en faisant appel à la magnanimité de sa soldatesque pour leur élargissement qu’il fera acte de bonne foi: le racisme est un délit et à ce titre il nécessite d’être dénoncé et combattu.

Comme il nous doit aussi des explications sur les artifices qui ont été trouvés par la justice pour que quelqu’un comme le commandant de l’ALN Lakhdar Bouregaa se soit retrouvé dans la prison d’El Harrach pour avoir écorché par de simples déclarations le morale des troupes de l’armée en évoquant un période tumultueuse de notre histoire, facile, au demeurant, de retrouver en tapant simplement sur Google: « armée des frontières 1962 Algérie ».

Aujourd’hui, tout ce sait pour celui qui veut savoir, et ce n’est pas la connaissance de l’histoire qui constitue une menace mais c’est son utilisation comme une ressource politique pour se légitimer en essayant, de surcroît, de la réécrire en opérant un bouleversement des rôles de ses acteurs comme tente de le faire cet avatar politique, fécondé dans la matrice de la police politique, qu’est « el badissia el nuvembria ».

On peut continuer à citer plusieurs faits qui montrent que la volonté politique est dans le maintien du système et non dans son dépassement. L’implication de l’armée dans le champ politique est un signe pathologique dans les États contemporains car non seulement elle remet en cause le principe de la souveraineté populaire, mais elle est la cause première du sous-développement politique des nations.

Aujourd’hui, la priorité est dans l’engagement d’une véritable transition démocratique pour marquer une double rupture avec le système politique militarisé et une conception néo-patrimoniale de l’Etat. Toute tergiversation ne fera que retarder et compliquer la solution, notamment avec la crise financière qui s’annonce à brève échéance.

Le respect des libertés et de la loi est ce qui élève l’individu au rang de citoyen, et il n’est besoin d’être un professeur en droit pour le comprendre: il suffit de sortir chaque vendredi pour en saisir le désir et le sens.

Auteur
Hamou Boumedine

 




Quitter la version mobile