Jawad Rhalib, le cinéaste belgo-marocain que je ne connais pas et que j’ai découvert la semaine passée dans une salle bruxelloise grâce à son magnifique film Amal est un réalisateur talentueux et engagé.
L’acuité de son regard prend à bras le corps les problèmes posés par une communauté d’origine exogène dans les sociétés européennes contemporaines. Amal traite de l’intégrisme islamiste en plein cœur de la capitale de l’Europe. Cette fiction aborde l’injonction faite aux enseignants de ne pas aborder certains sujets qui toucheraient la sensibilité des élèves musulmans. On pense essentiellement à Samuel Paty et à son dernier cours sur la liberté d’expression. Sauf qu’ici, Samuel Paty est remplacé par une Amal qui prend à bras le corps les tenants et les aboutissants de son métier auxquels elle tient par-dessus tout.
Cela part comme une mèche enflammée à propos d’une élève que ses camarades malmènent sur les réseaux sociaux parce qu’elle est supposée être une homosexuelle. Ne se laissant pas faire, cette dernière répond et c’est l’engrenage du harcèlement, de la mise à l’écart et des menaces. Pour faire barrage à ces méthodes violentes, Amal, professeur de littérature, décide de faire connaître un texte du poète arabe Abû Nuwâs qui était lui-même homosexuel et qui, treize siècles plus tôt, était plus ouvert que les élèves du secondaire du XXIe siècle à Bruxelles.
La salle de cours d’Amal est un concentré de cette situation ubuesque dans laquelle se trouve Bruxelles, capitale de l’Union européenne certes mais aussi grande métropole d’une fange frèriste qui ne joue que des humiliations et des menaces pour imposer son point de vue communautariste. La professeure tente en vain de faire sortir ses élèves de cette vision rétrograde en leur ouvrant l’esprit sur le monde comme il va, mais c’était sans compter sur les parents d’élèves et surtout sur un collègue européen qui s’est converti à l’islam et qui, justement, enseigne le corpus de la religion musulmane.
Elle se bat pour démontrer aux adolescents qu’elle a en face d’elle, que l’école est une chance et que seule la raison peut les faire sortir de cette mainmise religieuse qu’ils tentent de propager à leur tour. Obscurantisme, propos totalement rétrogrades, menaces à peine voilées, tentatives de censure, ce collègue constitue le cheval de Troie des salafistes au sein même de l’école publique.
En Belgique, contrairement à la France, la laïcité n’est le mantra qui verrouille toute agression contre la liberté de penser. C’est de neutralité qu’il s’agit. C’est un peu plus compliqué de prendre des décisions parce que la loi n’est pas explicite. Et c’est dans cette situation explosive, dans un huis-clos cauchemardesque que se déroule l’affrontement entre les tenants de l’ouverture au monde et ceux du repli communautaire qui ne prend en compte que les intérêts bien compris des supporters du Livre.
Jawad Rhalib a utilisé sa caméra comme une arme de poing. Il ne laisse au spectateur aucun motif de se rasséréner. C’est un film de fiction qui a la force d’un documentaire puissant. Il nous projette dans un enchevêtrement d’une société divisée sur le principe même de la citoyenneté.
Ce film nous transporte avec une rare profondeur dans les abysses du danger des communautaristes qu’il dénonce avec cette force et cette puissance exemplaires. Jawad Rhalib nous instruit sur cette épée de Damoclès qui pèse sur nos avenirs, qui se fait de plus en plus menaçante et qui s’alourdit de jour en jour. Mention spéciale à décerner à la superbe Lubna Azabal qui tient le rôle d’Amal, la professeure à la vision universaliste affirmée.
Ce film à thèse sera sur les écrans français au mois d’avril prochain. C’est un acte de foi qui montre la face sombre d’une pratique obscurantiste qui envahit, en Europe occidentale, tous les interstices qui s’offre à elle. Jawad Rhalib a réalisé un film qui décortique les ressorts invisibles de l’emprise religieuse sur l’école. Un film absolument à voir.
Kamel Bencheikh