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Amazighs du VIe millénaire : des tribus agro-pastorales aux Libyens du delta du Nil

Libyens du Delta

Il y a de cela quelques décennies, j’avais suggéré l’utilisation de la documentation égyptienne pour refonder la chronologie de l’histoire de l’Afrique du Nord et du Sahara. (1)

A l’époque, les recherches sur les Libyens d’Egypte véhiculaient toujours l’image des bandes barbares qui perturbaient la quiétude des paysans égyptiens. A tel point que l’un des plus grands spécialistes de la période dite libyenne, en l’occurrence Jean Yoyotte professeur au collège a intitulé son œuvre majeure les « Principautés du delta au temps de l’anarchie libyenne ». (2) Vaille que vaille, la progression des travaux sur la troisième période intermédiaire, ont permis de mieux connaître les Libyens antiques installés en Egypte. Notons que parmi les égyptologues spécialisés de la période indiquée ci-dessus, de plus jeunes chercheurs proposent de nouvelles perspectives de recherche.

Pour la circonstance nous citerons les travaux français de Frédéric Payraudeau et d’Elena Panaite et du belge Fréderic Colin. Dans ses différents travaux, l’égyptologue français s’est illustré et il n’est pas le seul par une nouvelle façon d’étudier l’Egypte antique en investissant en profondeur le champ social et politique de la société égyptienne antique.

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Il ressort de ses travaux une requalification de XXIIe dynastie en lui attribuant la forme polyarchique au lieu de l’idée d’une anarchie régnante. A la suite des travaux d’autres égyptologues de la troisième période intermédiaire (1100-650, Kitchen Kenneth), il a ajusté son analyse en préconisant une centralisation du pouvoir dynastique au temps de Chechonq I (945-922) jusqu’à fin du règne de Chechonq II en 865 puis il s’en est suivi une longue séquence historique appelée « politique des apanages ».

Ce qu’il y a de plus remarquable dans cette écriture de l’histoire c’est que le champ social est investi pour donner un aperçu de la société segmentaire libyenne. Certes, cette observation reste très limitée à quelques références à la segmentarité comme fait social et politique en référence à la société berbère traditionnelle des ethnologues.

Hélas, l’auteur ne s’est pas trop intéressé à l’aspect théorique pour approfondir l’analyse sociologique. Certainement, les travaux d’Evans Pritchard sur Nuer l’auraient certainement aidé à mieux comprendre le fonctionnement des sociétés segmentaires.

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Même si une difficulté majeure persiste pour la reconstitution de la société libyenne antique par le manque de documentation, il est possible à partir de l’iconographie égyptienne de restituer le cadre social des tribus agro-pastorales libyennes conduites par des chefs.

Cette première étape est nécessaire pour expliquer le rôle des Meshouash et des Libou en Egypte et de l’évanouissement historiographique d’autres tribus comme les Shamin et les Mahasawen recensés par Jean Yoyotte et les Kehak évoqués par Viconte E. de Rougé. (4) Il n’en demeure pas moins que les Tehemou et Les Tjehénou porteurs de plumes d’autruche participent de concert à la même histoire de la migration des tribus libyennes vers l’Egypte.

Sur la question migratoire des tribus libyennes en Egypte, les avis sont partagés pour savoir s’il s’agit comme le stipule la propagande royale égyptienne d’une invasion de bandes de pillards ou d’une circulation des groupes agro-pastoraux dont on a les traces depuis l’asséchement du Sahara au 4è millénaire avant Jésus Christ.

Cette date coïncide vraisemblablement avec les premières images des Libyens perturbateurs qu’auraient combattu le pharaon égyptien Narmer fondateur de la dynastie Zéro ou 1. (5) Sur ces faits, d’un point de vue purement ethnique, les premiers sédentaires nilotiques se sont distingués des tribus sahariennes pratiquantes l’agropastoralisme.

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C’est certainement cette nouvelle donne sociologique qui serait à l’origine de distinction ethnique des Egyptiens vis à vis des Libyens antiques. De surcroit, la formation de l’Etat pharaonique allait accélérer le processus d’ethnicisation des Egyptiens et de leur rapport complexe avec la société libyenne segmentaire. Jusqu’à résidus conflictuels des confins libyens, toute la littérature pharaonique abonde dans ce sens jusqu’à l’égyptianisation d’une partie des Libyens installés en Egypte.  De plus, nous ne serions avancés sur la provenance fezzanaise des habitants d’Egypte comme le proposent un certain nombre d’auteurs.

C’est une théorie parmi d’autres que discutent les Egyptologues. A ce sujet, François Xavier Fauvelle rappelle les différentes hypothèses dont celle de l’origine fezzanaise des Egyptiens suite des travaux de Paul Huard et Jean Leclant.(6) Sur l’origine amazighe des Egyptiens antiques, faute d’une argumentation solide, nous ne suivrons par l’hypothèse avancée par Bernard Lugan dans son dernier ouvrage consacré à l’histoire de l’Afrique du Nord.(7)

Nous rappelons que c’est une vieille idée qui circulait dans les milieux des anthropologistes du XIXe siècle.(8) Plus sérieusement, nous adoptons le référentiel de l’Egypte prédynastique pour établir une nouvelle chronologie historique de la société libyenne archaïque qui au voisinage du IVe millénaire avant Jésus Christ était en passe de se transformer de pasteurs-nomades en agriculteurs. Pour le moment nous ne saurions dire plus si tous les groupes libyens subissant la désertification du « Sahara vert » se sont tous établis en Cyrénaïque et dans le delta du Nil ou ont-ils développé des lieux de vie dans les oasis.

Mais toujours est-il que ce sont ces mêmes groupes de pasteurs nomades de l’Est de l’Afrique du Nord comparables à ceux de l’Ouest qui quant à eux se sont établis aux iles canaries, qui ont fui l’aridité du Sahara que représente bien l’iconographie égyptienne. L’archéologie prédynastique fournit quelques images de ces Libyens de l’Est. Ce sont certainement des chefs anonymisés de la Libye archaïque qui sont représentés par les archéologues Quebell et Green dans Hériakonpolis I et II.1898 et plus particulièrement dans la palette de Narmer (B. Menu Fig. 56, p.109) un certain chef libyen nommé Ouash se soumet à l’unificateur des deux terres, la Haute et la Basse Egypte.

Indépendamment de l’idéologie pharaonique qui ressort de l’iconographie défavorable envers les gens de l’Ouest du Nil, il est important de prendre en considération tout le processus historique de l’édification de l’Etat en Egypte ancienne pour le mettre en rapport avec les sociétés segmentaires afin de comprendre au mieux de contextualiser l’état social et politique des tribus libyennes antiques.  En effet, nous ne pouvons dire plus sur l’identification de ces personnages dont l’image est tronquée par l’iconographie égyptienne si ce n’est qu’au temps des rois Sahouré, Pépy I et Pépy II de la Ve et VIe dynasties, un autre chef libyen appelé Ouasché avait épousé Khoutités et il avait deux fils qui portaient les patronymes libyen (Ousha) et égyptien (Ouni). Notons que les phénomènes de l’égyptianisation des Libyens ne remontent pas seulement aux descendants de Bouyouwawa (Fin du nouvel Empire et 3e période intermédiaire) et que l’image récurrente du Libyen véhiculée par l’idéologie pharaonique remonte vraisemblablement au commencement de l’Etat égyptien. (9)

Dans tous les cas, tout porte à croire que la naissance de l’Etat égyptien au temps de Scorpion figure totémique du premier dynaste égyptien comporte les germes d’une idéologie qui prône la fixité de la population dans un territoire pour mieux la contrôler. Et ce qui n’était pas le cas de toutes les tribus libyennes antiques qui s’adonnaient à l’agro-pastoralisme.

Autant que nous le sachions, les Amazighs archaïques ou historiques n’ont jamais considéré le Sahara comme l’ont fait les Egyptiens le lieu de la mort principal attribut de dieu Seth, on peut en rapport avec l’art rupestre les rattacher à une autre ethnogenèse mythique d’une ancienne religion des Sahariens néolithiques, le dieu saharien de l’eau, etc.

Toujours en rapport avec l’art rupestre du Sahara central, nous pourrions aussi prolonger la continuité ethnologique des Amazighs en référence au symbolisme de l’homme à tête d’animal, les thérianthropes.

Il y aurait à faire un rapprochement de la pensée symbolique des Egyptiens archaïques selon Bernadette Menu avec l’Homme-Lycaon du Messak (Libye) ou de l’Homme-Chacal du Tassili qu’évoque Jean-Loïc Le Quellec.(10)

Ainsi s’ouvre à nous, une toute autre perspective pour fonder une chronologie historique à partir des chefferies amazighes dotées de structures pré étatiques et qui de facto engloberait plus de 3000 ans avant l’effondrement au premier millénaire des empires orientaux. Notons qu’après l’effondrement des empires orientaux et l’avènement des cités Etats ou Etats-chefferies au premier millénaire avant Jésus Christ, la narration historique des Cananéens, des Hébreux puis des Perses, des Grecs, des Romains et leur cohorte jusqu’aux Byzantins et enfin celle des Arabes introduisait la figure du nouveau barbare incarné vraisemblablement par le Cheshonq de la Bible. Depuis, trois millénaires, le piège tendu par l’historiographie a maintenu les Berbères dans la barbarie.

Fatah Hamitouche,  ethnologue

Nota Bene : A la lumière de la visio-conférence de l’égyptologue Dominique Farout sur la « palette de Narmer » qui a eu lieu le 11 janvier 2021 au musée du Louvre, nous tenons à rappeler qu’il existe de fortes incertitudes sur l’identité des personnages représentés comme ennemis vaincus.  En l’occurrence le nom libyen Ouash dont il est question plus haut n’est qu’une hypothèse parmi d’autres parce que l’ethnicité des peuples n’est pas clairement établie comme celle de la postérité iconographique des Libyens, des Asiatiques et des Nubiens  représentés dans la tombe de Seti 1er.

Par ailleurs pour ce qui de la période dite capsienne datée entre 9000 et 2000 ans BP et tout en tenant compte de La séquence entre 7500 ans cal BP et 4500 ans cal BP (Colette Roubet, « Statut de Berger » des communautés atlasiques néolithiques du Maghreb oriental, dès 7000 BP , L’Anthropologie, 107, 2003, Pastoralisme et ruralité néolithiques dans l’Aurès avec la grotte de Capéletti, Aouras no 3, 2006 ), faute d’une documentation probante, nous ne pouvons pas pour le moment reconstituer le cadre historique  des échanges commerciaux qu’auraient eu les Capsiens de l’Aurès étudiés par Colette Roubet avec les nomades des Zibans. A plus forte raison toute l’historicité des deux sociétés nous échappe pour le moment.

Notes :

1- F. Hamitouche, la tradition orale et l’histoire du Maghreb, Nouvelle Revue d’Anthropologie, Paris 1993.

2- J. Yoyotte, les principautés du delta au temps de l’anarchie libyenne, Etudes d’histoire politique, MIFAO, Le Caire, 1961.

3- Fr. Payraudeau, L’Egypte et la vallée du Nil. Tome 3. Les époques tardives (1069-332 av. J.-C) PUF, Paris 2020.

4- J. Yoyotte, Idem, p.142

–  Viconte E. de Rougé, Extrait d’un mémoire sur les attaques dirigées contre l’Egypte vers le quatorzième siècle avant notre ère, Revue archéologique, nouvelle série, t. XVI, 1867, p.38. Il cite les Rebu et les Meshouash au temps d’Aménophis I, XVIIIe dynastie puis seuls les rebu ayant à leur tête Maurmiu fils de Titi au temps de Meremptah, XIXe dynastie.

5- B. Menu, Histoire économique et sociale de l’ancienne Egypte, CNRS Editions, Paris, 2018, p. 91.

6 -F-X. Fauvelle (dir) De l’Acacus au Zimbabwe. 20000 avant notre ère, Editions Belin, Paris, 2018.

7- B. Lugan, Histoire de l’Egypte. Des origines à nos jours, Editions du Rocher, Monaco, 2002.

–  Histoire de l’Afrique du Nord (Egypte, Libye, Tunisie, Algérie, Maroc). Des origines à nos jours, Editions du Rocher, Monaco, 2016.

–  Quand l’Egypte était amazighe sur le net.

8- H-A-N. Prunier, Sur l’ethnogénie égyptienne, MSAP, Paris, 1860-1864.

9- Fr. Colin, Les Libyens en Egypte, Onomastique et histoire, vol I, Libyque et vieux libyque, vol II, Vieux libyque et Libyens, Thèse de doctorat, Université libre de Bruxelles, 1996.

–  E. Panaite, L’image des Libyens dans la culture pharaonique : du Protodynastique au Moyen Empire, Thèse de doctorat, université de Montpellier, 2016.

10- B. Menu, Aspects du symbolisme animal dans l’Egypte du l’IVe millénaire in Massiera, M., Mattieu, B., Rouffet, f. (ed.), Apprivoiser le sauvage/Taming the Wild, (CENiM 11), Montpellier ;

-Jean-Loïc Le Quellec, Nouvelle approche de l’art rupestre du Sahara central, Conférence du Musée de l’Homme, Paris, 2014.

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