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Anglais en primaire : l’Algérie n’a pas pris leçon du drame (II)

Arabisation

Je l’ai déjà écrit dans ce journal, avec le même titre. La langue arabe classique est aussi nationale que si on voulait revenir au latin, en Europe.

La langue arabe classique est une langue morte

Les jeunes algériens dissertent en arabe classique sur des textes extrêmement compliqués. Mais dans la langue courante, celle de la vie, ils diront « a3tini el melh ».

L’Algérie connaît une coupure linguistique dramatique entre la rue, les familles et la vraie vie d’un côté et le journal télévisé, les discours politiques ou les salles de classes de l’autre. Une barrière insensée et dramatiquement dangereuse.

Et pendant ce temps, la langue française a pratiquement disparu ou est parlée très difficilement, presque plus. Nous sommes devenus un peuple sans langue si ce n’est avec une immense tchekchouka linguistique.

Ecoutez bien des jeunes Algériens parler devant un micro de la chaine nationale. La ou le journaliste annonce la prise de parole avec un arabe classique, la ou le jeune qui prend la parole la baragouine d’une manière stupéfiante. Il passe d’un mot en arabe classique à un autre mot en arabe dialectal et, pour les plus téméraires, à un mot en français. Tout cela avec un balbutiement et des silences qui me donnent les larmes aux yeux car j’entends encore nos paroles de lycéens qui avaient prédit cette catastrophe nationale.

C’est un désastre absolu car on a voulu absolument une autre langue, on a eu son idéologie, pas sa richesse. Et voilà que l’anglais est rajouté au désordre linguistique dans la tête des enfants.

Mes pires étudiants sont ceux qui refont inlassablement la même erreur après avoir eu des tonnes de mauvaises notes à la même question. L’Algérie refait la même erreur qui a déjà couté très cher. Ce n’est plus un dogme, c’est un acharnement psychanalytique.

Pourquoi pas le chinois ?

Je suis professeur en France depuis quarante ans, je vois chaque décennie revenir cette idée d’introduire la langue anglaise dès l’école primaire (par quelques cours d’initiation). Je peux témoigner que jusqu’aux études post-bac dans lesquelles j’enseigne, je serai plutôt partisan d’un renforcement de la langue française, leur langue que seuls certains maitrisent correctement au regard de ce niveau d’études.

Anglais en primaire : l’Algérie n’a pas pris leçon du drame (I)

Puisque l’Algérie a besoin d’une ouverture dans une langue mondiale et que le ridicule ne l’a pas tué, pourquoi pas le Chinois, dont le pays est devenu celui qui investit massivement en Afrique ? Quand le spectacle du cirque est lancé, la foule réclame des risques. Pourquoi pas le russe, de connaissance ancienne des Algériens ou encore l’espagnol, parlé par des dizaines de millions de personnes dans le monde ?

La maîtrise d’une langue étrangère par tout un peuple n’est jamais possible sinon par une élite.  Soit par l’affiliation à des parents d’origine étrangère, ou l’un des deux, soit par le fait de l’ancienne colonisation, par l’université, les séjours et études à l’étranger, les cours intensifs, etc.

Bien entendu que l’Algérie a besoin de plus en plus de cadres maitrisant l’anglais mais elle ne peut se permettre de rajouter du désordre au désordre dans la tête des jeunes enfants, déjà pleine de dogmes dangereux. L’anglais doit s’apprendre dans les niveaux plus avancés et produire ainsi cette élite si indispensable.

Ce pays devrait arrêter sa recherche identitaire frénétique et ses manipulations idéologiques hasardeuses auprès des jeunes qui ne parlent véritablement plus aucune langue, du moins dans la vie courante et à un niveau qui les légitime comme langues nationales.

Une langue, c’est de l’histoire et des racines

Au lieu de s’échiner à être un laboratoire explosif des langues pour prouver une identité dont nous étions sûrs, nous, l’Algérie devrait comprendre qu’elle en a déjà trois qui n’ont pas besoin de rechercher des racines.

Elles ont une réalité dans la vie courante sans qu’on leur rappelle qu’elles doivent aller les plonger dans d’autres racines.

Ces trois langues, le berbère, l’arabe dialectal et le français (l’ordre de citation n’emporte pas un ordre d’importance) ont suffisamment de base nationale dans la population et n’ont pas besoin d’être validées par une loi ou une constitution.  Cela suffirait de les respecter et de leur donner leur place légitime. Au lieu d’aller rajouter au problème, ayons l’intelligence de ne pas perdre les langues présentes.

Ils ont tué une langue « académique » si belle

Bien entendu qu’il faut que l’arabe classique trouve enfin son équilibre car cette langue a sa place dans des études académiques. Mais à la condition de l’exfiltrer de l’emprise doctrinaire, profondément ancrée en elle.

J’aurais tellement voulu apprendre l’arabe classique, si seulement on n’avait pas voulu me la faire prendre pour mes racines et qu’on n’ait pas essayé de m’endoctriner par son intermédiaire.

Une langue est toujours belle parce qu’elle est le support qui peut véhiculer la culture, les arts et les sciences. Jamais nous n’aurions été choqués si on nous l’avait proposée avec le seul objectif de nous élever intellectuellement.

Et savez-vous ce que font ces anciens pays qui nous avaient envoyé leurs « intellectuels », pour promouvoir dans le monde l’arabe classique ? Ils parlent anglais. Mais eux le peuvent du fait de l’ancienne colonisation, pour la plupart. Ils ne perdent rien, c’est nous qui avons tout perdu. Nous sommes les dindons de la farce dans cette dramatique histoire.

Pour conclure, dans ma grande colère, je fais appel à un peu d’humour car il en faut pour la calmer. Franchement, ce n’est pas drôle pour les très jeunes enfants algériens. Il n’y a en anglais ni kâna ni laysa, ni leurs familles. Pas drôle du tout !

Ah, ce fameux kâna, si ce n’était pas une histoire si dramatique, je l’aurais encadré et posé sur mon bureau.

Après tout, il est toute ma jeunesse. Le temps transforme souvent les drames en nostalgie. Il était coriace mais nous lui avons résisté, ce brave mot de la plus belle partie de notre vie.

Boumédiene Sid Lakhdar, enseignant

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