La Fédération algérienne de football vient de bannir le français dans ses documents officiels. Voilà un autre fragment de la muraille qui s’effondre pour moi. Je ne peux pratiquement plus lire ni comprendre, chaque jour davantage, les moindres faits ou documents de mon pays natal.
Il me faudrait un traducteur pour y vivre comme nous l’étions pour nos grands-parents qui étaient à cette époque des illettrés malgré eux. La différence est que, nous, nous sommes allés à l’école. J’écoute le journal télévisé, je ne comprends pas. J’écoute un discours, il est aussi opaque pour moi que si j’étais en voyage à l’étranger. Et les exemples ne manquent pas pour me signifier en permanence que je suis devenu un étranger dans mon pays.
L’effet est absolument le même lorsqu’on réside à l’étranger car le contact avec mon pays est naturellement constant, par les médias, par les amis et en ce qui me concerne, par mon Algéroise. Certains m’accusent de parler en espagnol avec elle. Je plaide non coupable, je sais à peu près bien le parler mais elle, absolument pas sinon pour négocier les prix.
On me répond à chaque fois, ce sera probablement la même chose si mon interlocuteur était la FAF, c’est la langue nationale inscrite dans notre constitution. Je cours la lire et je lis effectivement dans son art. 3. — L’arabe est la langue nationale et officielle.
Mais cela, je le sais, je parle arabe depuis ma tendre jeunesse. Je ne comprends pourtant pas celle qu’on me dit être langue nationale et officielle, ni dans sa lecture, ni dans son prononcé. Ou alors, peut-être, on m’aurait caché que mes grands-parents et parents étaient des Suédois. Il faut parfois cacher certaines vérités aux enfants.
Que dire en plus de nos compatriotes berbérophones qui, eux, sont garantis par l’article 4 de la constitution qui nous dit que tamazight est également langue nationale et officielle. Moi je suis exclu de la constitution mais eux devraient théoriquement bénéficier de la lecture de documents avec une langue reconnue comme nationale et officielle.
Tu es coupable me dit-on également, c’est de ta faute de ne pas savoir la langue arabe classique. Je plaide coupable d’être né en 1955 dans une Algérie sous administration française. Mes parents sont coupables car ils m’ont obligé à aller à l’école où le français était au programme. Que voulez-vous, on ne peut pas choisir ses parents qui se rendent coupables d’avoir scolarisé leurs enfants.
J’ai été coupable en 1962, à l’âge de sept ans, d’avoir continué l’infamie avec une scolarisation en français. Je suis coupable des accords d’Evian qui ont permis aux professeurs français de continuer à enseigner dans mon pays. Je suis coupable des accords de coopération et n’avoir eu qu’un seul professeur algérien, en classe de terminale. Pas de chance, l’unique que j’avais eu était lui également aussi coupable que moi de ne connaître que la langue du colon.
On me rappelle toujours à ma supposée mauvaise foi car j’oublierais que des professeurs d’arabe, nous en avions eu par centaines. Ils étaient venus de pays lointains qui eux-mêmes étaient à cette époque empêtrés dans leur recherche identitaire postcoloniale.
Je ne sais pas comment ils les avaient choisis mais là, mes chers amis, je ne plaiderai pas coupable même avec la menace de me faire arracher la langue. Je laisse témoigner à ma place les algériens de ma génération. Attention, permettez-leur un traducteur car ils sont aussi étrangers à l’arabe classique que moi au chinois.
Ces professeurs nous regardaient avec les yeux du reproche et nous disaient, nous sommes venus pour vous remettre dans le droit chemin de vos racines (absolument incroyable mais incroyablement véridique, au mot près). Mes chers lecteurs, nous aurions dû avoir un GPS pour retrouver ce chemin.
Voilà comment on s’est senti progressivement reclus au statut d’étranger. Car qu’est une personne qui ne comprend pas la langue officielle de son pays sinon un étranger, ce que nous dit le dictionnaire.
Que doit-on faire ? Accepter l’exclusion de notre nationalité algérienne, le bannissement du pays ou nous emprisonner pour des cours obligatoires ? À nos âges, il faut inventer une période d’incarcération plus longue que la perpétuité car il y a du boulot.
Si nous revenions à la décision de la FAF, il me reste encore un souffle de force pour lui faire une explication de texte de la constitution. L’article 3 parle de la langue arabe nationale et officielle.
J’ai dû ne rien comprendre au cours de droit constitutionnel pendant mes études. C’est peu probable car c’était dans la même langue étrangère que la mienne. Les qualificatifs, nationale et officielle, ne concernent que les actes des autorités administratives et les discours politiques publics. Ainsi que tout ce qui dépend directement des prérogatives de l’état comme les programmes scolaires.
Or, la FAF est une association de droit privé de type association. Elle est certes reconnue d’utilité publique, notamment par la loi n°12-06 du 12 janvier 2012 relative aux associations, ce qui justifie et légitime un financement de l’Etat à ce titre. Mais elle reste une entité de droit privé.
Aucune disposition de la Constitution algérienne ne l’obligeait à supprimer le français comme langue d’usage en même temps que la langue arabe classique. Ou alors vouloir avec acharnement notre déchéance de nationalité, notre exclusion de notre pays. C’est un souhait aussi contestable qu’impossible car on n’arrache pas un citoyen du lien avec sa terre natale. On peut le faire souffrir seulement, c’est ce qui est acté depuis longtemps déjà pour cette histoire de communication. Personne autant que moi ne peut ressentir cette terrible colère de ne pas comprendre l’expression écrite et orale de son pays natal.
Cet acte n’était donc pas obligé de la part de la FAF. Je souhaite qu’elle me respecte car le français est une langue d’usage, la seule que je puisse encore comprendre. Est-ce ma faute si l’arabe de chez nous n’a pas été choisi. Dans ce dernier cas, nous aurions été d’excellents citoyens pour la FAF.
Je fais un appel vibrant au secrétaire national de cette organisation en le suppliant d’attendre notre mort avant de bannir la langue française comme seconde langue dans les documents. Ma génération est la dernière à compter en son sein des algériens exclusivement francophones si on exclut l’arabe courant national.
Ayez la décence de patienter jusqu’à ce moment. En attendant je m’accroche à ma citoyenneté algérienne, en dehors des proches, avec le seul outil de communication qu’il me reste, ce journal francophone.
Et je l’en remercie.
Boumediene Sid Lakhdar