Arwa Ben Dhia est une poétesse qui émerveille par une poésie qui nous parle, dans un style épuré allant à l’essentiel, à la portée de tous. Il y a comme une magie dans ses poèmes, on peut ouvrir le livre à n’importe quelle page, nous sommes accueillis à chaque fois sans artifices, sans illusions et autres figures de styles censées forcer l’admiration, troublant, égarant, nous empêchant d’entrer en profondeur dans le texte.
Chez Arwa Ben Dhia, tout est clair, nul besoin d’ornements, elle réussit à nous surprendre par la limpidité stupéfiante des vers qui retiennent l’attention du lecteur qui s’identifie agréablement, trouvant comme un remède aux maux ou un baume aux blessures. L’élan poétique chez Arwa Ben Dhia est criant de vérité, éclatant, brillant par l’éclat du soleil d’Afrique.
Arwa Ben Dhia est une scientifique polyglotte. Elle parle six langues, l’arabe, le français, l’anglais, l’allemand, l’espagnol et l’italien. Elle écrit principalement en français, mais aussi parfois en anglais, en arabe et en espagnol. Elle réussit à s’approprier l’imaginaire même de chacune de ces langues pour mieux faire jaillir en toute liberté l’émotion sans les obstacles épistémologiques et identitaires.
Cette écrivaine vient de la Tunisie, cette terre du soleil qu’elle quitta à l’âge de 23 ans pour la France, pour continuer avec succès son cursus universitaire, puisqu’elle est ingénieure télécoms et docteure en électronique, exerçant aujourd’hui le métier d’ingénieure brevets.
Cette Franco-Tunisienne magnifie la langue de Molière, il est si beau de voir des scientifiques comme Arwa Ben Dhia se passionner pour la littérature et la poésie, mais cela est loin d’être contradictoire ou antinomique. En effet, Pierre de Ronsard, Jean de la Fontaine, Victor Hugo, Lucrèce, Nodier, Delille, Ǧalāl al-Din Rūmī, ont tous loué les sciences dans leurs écrits :
« La science sans religion est boiteuse, la religion sans science est aveugle », disait Ǧalāl al-Din Rūmī.
« Cherchez autour de vous de riches connaissances
Qui, charmant vos loisirs, doublent vos jouissances.
Trois règnes à vos yeux étalent leurs secrets.
Un maître doit toujours connaître ses sujets :
Observez les trésors que la nature assemble.
Venez : marchons, voyons, et jouissons ensemble. » écrivait Jacques Delille.
Omar Khayyâm fut poète et savant, considéré comme « l’un des plus grands mathématiciens du Moyen Âge », Ibn Sina alias Avicenne fut poète, physicien, astronome. La science et la poésie sont liés dans une relation de quasi complémentarité. « La science décrit la nature, la poésie la peint et l’embellit » écrivait Georges-Louis Leclerc de Buffon.
Arwa Ben Dhia est autrice de trois recueils de poésie dont « Silence Orange » édité par Mindset. On peut dire sans rougir qu’il s’agit d’une littérature qui se situe dans la transcendance sans s’opposer à l’immanence des philosophes comme Spinoza, mais dans un lien spirituel nécessaire. « Silence Orange » a reçu le prix international poétique et artistique de la revue poéféministe Orientales lors de la journée des droits de la femme en mars 2024.
La poésie de Arwa Ben Dhia est un hymne à l’amour et à la beauté. D’ailleurs, dans « Silence Orange », elle s’auto-proclame prophétesse de l’Amour. Ses vers sont empreints d’une spiritualité profonde, sans dogme, dans l’Un, dans l’union totale. Sa poésie est comme un guide qui étanche la soif des égarés de cette époque effrénée sans boussole.
Le Matin d’Algérie : Vous êtes une scientifique mais c’est la poésie qui vous passionne, qui est Arwa Ben Dhia ?
Arwa Ben Dhia : Votre question me paraît philosophique et me rappelle une réflexion de Gibran qui a dit qu’il était rendu muet une seule fois par un homme qui lui avait demandé qui il était.
Je répondrais simplement que je suis une âme sensible en quête perpétuelle de savoir et de beauté. J’essaie non seulement de comprendre le monde dans lequel je vis, mais aussi de faire évoluer ma pensée et d’enrichir ce monde en y apportant mon humble empreinte.
Le Matin d’Algérie : Vous avez quitté la Tunisie, terre de tant d’histoire et d’espoir, quel regard portez-vous sur la Tunisie actuelle ?
Arwa Ben Dhia : En réalité, je n’ai jamais quitté la Tunisie qui vit en moi en permanence. Je porte pour ma Tunisie un amour viscéral, inconditionnel, coulant dans mon sang, comme celui que je voue à mon père et à ma mère. C’est ma terre natale. Comme vous l’avez si bien dit, elle est riche de son histoire millénaire. Elle est riche de ses enfants qui font d’elle une terre d’espoir. Quoi qu’il arrive sur le plan politique, je demeure optimiste, car le père de l’Indépendance – Paix à son âme – (et c’est drôle que je réponde à cette question le jour de son anniversaire) a misé sur l’éducation pour construire un pays solide. Les Tunisiens continuent à accorder à l’éducation de leurs enfants la plus haute importance et c’est pour cette raison que je reste confiante pour l’avenir du pays.
Le Matin d’Algérie : Silence Orange est époustouflant de vérité, de la magie se dégage à chaque page, dans un élan spirituel transcendant, on en sort apaisés, comment réussissez-vous cette transfiguration ?
Arwa Ben Dhia : Merci pour ces éloges et ravie que vous l’ayez apprécié ! Je pense qu’il suffit d’être sincère et authentique dans ce qu’on veut transmettre comme messages, afin que son écriture touche autrui. D’ailleurs, cela ne concerne pas que l’écriture, je crois que c’est le secret de la réussite de toute entreprise dans la vie.
Le Matin d’Algérie : Deux citations de Christian Bobin ouvrent votre livre, « C’est même chose que d’aimer ou d’écrire. C’est toujours se soumettre à la claire nudité d’un silence, c’est toujours s’effacer » et « Ce n’est pas pour devenir écrivain qu’on écrit. C’est pour rejoindre en silence cet amour qui manque à tout amour », un mot sur ces citations et Christian Bobin
Arwa Ben Dhia : Christian Bobin est l’un de mes écrivains favoris. J’aime sa conception spirituelle de la vie. J’ai choisi ces deux citations comme épigraphe de mon recueil, car elles mettent en exergue le lien inextricable qui existe entre le silence, l’amour et l’écriture, thèmes centraux dans « Silence Orange ». Je dirais même que ce sont les piliers de ce que j’appelle ma triade sacrée ou « Sainte Trinité » : la lumière du silence et l’amour dans le cœur, soutenus par la puissance de l’écriture.
Le Matin d’Algérie : La citation d’Ernest Hemingway « Soyez amoureux, crevez-vous à écrire, contemplez le monde, écoutez la musique, regardez la peinture, ne perdez pas votre temps, lisez sans cesse, ne cherchez pas à vous expliquer, écouter votre bon plaisir, taisez-vous… » semble résumer votre livre, comment s’est fait le choix de cette citation et de cet auteur ?
Arwa Ben Dhia : Voilà, vous l’avez compris, je suis friande de citations ! C’est vrai, je collectionne des citations en toutes langues que je note soigneusement dans un carnet. Et en effet, cette citation d’Hemingway résume l’esprit de ce que j’ai voulu transmettre dans « Silence Orange » : elle rend hommage à la grandeur du silence, à l’amour, à l’écriture, à la lecture, à la contemplation, à l’art, bref à la vie ! Tout est dit dans cette pensée condensée d’Hemingway. Vous m’avez aussi demandé un mot sur Hemingway, j’en profite alors pour dire que c’est un grand écrivain qui, comme moi, a vécu à Paris et a été charmé par sa beauté. Permettez-moi de terminer ma réponse par une autre citation inestimable d’Hemingway : « Il n’y a que deux endroits au monde où l’on peut vivre heureux : chez soi et à Paris ».
Le Matin d’Algérie : Vous maîtrisez plusieurs langues, votre recueil, Silence Orange, comporte d’ailleurs des poèmes en anglais et en arabe, est-ce un avantage pour la création ?
Arwa Ben Dhia : Oui, j’en suis convaincue, car pouvoir raisonner et s’exprimer en différentes langues stimule le cerveau. Donc, c’est forcément favorable à la création. L’apprentissage des langues est sans doute un sport cérébral dont je suis férue. Par ailleurs, lorsqu’on apprend une nouvelle langue, c’est toute une nouvelle culture avec sa richesse et sa splendeur qui s’offre à nous. Cela favorise l’empathie et la paix entre les peuples. Je n’aurais jamais pu écrire mes poèmes en espagnol si je n’avais pas décidé d’apprendre cette langue par amour et envie de découvrir davantage la culture latinoaméricaine et hispanique.
Le Matin d’Algérie : Silence Orange est troublant mais en même temps, on entrevoit un éveil spirituel, une délivrance dans un coucher de soleil, comment s’est fait le choix de ce titre ?
Arwa Ben Dhia : Il fallait absolument que je fasse apparaître le mot « Silence » dans le titre, car c’est le leitmotiv de l’ouvrage. En effet, je rends hommage au silence dans une ère en manque de ce silence spirituel, propice à la méditation. Je brise aussi un autre silence, celui qui a été imposé à la femme que je suis, élevée dans une société conservatrice interdisant aux femmes de parler librement d’amour et de sexualité et de remettre en cause les dogmes religieux.
Quant au choix de la couleur orange, il s’est fait spontanément, car Ariane, la protagoniste du recueil qualifie l’histoire d’amour épistolaire qui la lie avec Nawfal, son étranger, de songe de couleur orange. Mais après m’être documentée sur le symbolisme de cette couleur, je me suis rendue compte qu’elle comprend trois dimensions intéressantes. La première est celle de la spiritualité, car l’orange ou le safran est une couleur sacrée en hindouisme. Donc, cela rejoint bien l’idée du silence contemplatif dont je parlais ci-avant.
Comme disait Paul Valéry à propos de ce silence : « Écoute ce bruit que l’on entend lorsque rien ne se fait entendre… plus rien. Ce rien est immense aux oreilles ». La deuxième dimension est celle du mouvement. Donc, « Silence Orange » est un silence actif, iconoclaste, libérateur, qui crie et dénonce les abus à travers une plume incisive.
Comme disait Marguerite Duras : « Écrire, c’est hurler sans bruit ». Enfin, la troisième dimension est celle de l’optimisme et effectivement, je suis de nature optimiste et j’ai fait en sorte de finir chaque texte de « Silence Orange », aussi tragique soit-il, sur une note positive, une note d’espoir. Comme disait Elias Canetti : « Tout ce qu’on prend en note, tout ce qu’on met par écrit contient encore un petit grain d’espoir, quand bien même il ne serait venu que du seul désespoir ».
Le Matin d’Algérie : En vous lisant, nous ressentons la présence mystique de Ǧalāl al-Din Rūmī, est-ce un hasard ?
Arwa Ben Dhia : Non, car je me suis beaucoup imprégnée de la pensée de Rumi et du soufisme d’une manière générale qui rejoint ma foi panthéiste. Donc, c’est normal que Rumi m’influence et d’ailleurs, il est cité dans un de mes textes dans « Silence Orange » : « Le silence est le langage de Dieu, tout le reste n’est que pauvre traduction ».
Le Matin d’Algérie : Quelles sont vos influences dans la littérature et la poésie en général ?
Arwa Ben Dhia : Je puise mon inspiration dans la nature, mon vécu et mes lectures. Je suis évidemment influencée par les philosophes et les poètes que je lis en différentes langues. Parmi les philosophes, Nietzsche est celui qui a le plus d’écho en moi et sa pensée est très présente dans mes poèmes. Il y a aussi Spinoza, Schopenhauer et Camus. Parmi les poètes français, Lamartine, Baudelaire et Verlaine.
En arabe, c’est incontestablement le poète palestinien Mahmoud Darwich qui me marque le plus. D’ailleurs, j’ai traduit de nombreux poèmes darwichiens en français et mon premier poème arabe est inspiré de « Rita et le fusil » et figure en annexe de « Silence Orange » avec une traduction française dans le recueil. En anglais, c’est Robert Frost et Lord Byron. En espagnol, c’est Borges, Neruda, Lorca et Machado.
Le Matin d’Algérie : Un mot sur Hana Oueslati, qui a dessiné cette belle illustration de couverture.
Arwa Ben Dhia : Hana est une amie tunisienne qui a eu la gentillesse d’illustrer « Silence Orange » et surtout le talent de créer un dessin illustrant parfaitement les messages de liberté et d’amour que véhicule le recueil, à partir de ce que je lui avais résumé en quelques mots seulement. J’étais très contente de voir ce qu’elle avait dessiné : une femme dont les pieds baignent dans la mer méditerranée par un beau coucher de soleil orange, avançant son buste comme pour affirmer et assumer sa féminité et dont le corps se désagrège par derrière pour laisser s’échapper des oiseaux symbolisant la liberté qu’elle s’offre et qu’elle offre au monde.
Le Matin d’Algérie : Avez-vous des projets en cours et à venir ?
Arwa Ben Dhia : Oui, puisque je continue toujours à écrire. C’est une activité dont je ne saurais me passer. Donc, j’espère qu’il y aura prochainement des publications, individuelles ou en co-écriture.
Le Matin d’Algérie : Un dernier mot peut-être
Arwa Ben Dhia : D’abord, je voudrais vous remercier de m’avoir accordé cet entretien et j’aimerais inciter les gens, surtout les jeunes personnes, à lire de la poésie, car je trouve que c’est un vecteur de beauté par excellence et notre salut se trouve dans la beauté. Comme je raffole de citations, je finirai par celle de Charlie Chaplin sur la poésie étayant ma pensée : « La poésie est une lettre d’amour adressée au monde » et celle de Jacques Prévert « La poésie, c’est le plus joli surnom qu’on donne à la vie ».
Entretien réalisé par Brahim Saci