Hocine Deghal (Muḥ-d-Ulḥusin At Feṛḥat), c’est de lui qu’il s’agit, nous a laissés après une fin de vie difficile, éprouvante mais toujours pleine de courage, de stoïcisme et de noblesse d’âme. C’est un grand jour de tristesse pour moi et pour beaucoup de ses proches.
Hocine est né dans le discret village d’At Berjal parmi ceux qui coiffent les hauteurs d’Iwaḍiyen et qui s’égrènent de colline en colline pour rejoindre, dans un élan aérien, toutes les tribus qui forment Lɛeṛc des At Sedqa. Les gens qui ont connu et bien approché Hocine Deghal ressentent l’étendue de sa modestie têtue et sa grandeur morale.
Il est né le 1er octobre 1940, l’année où l’histoire, la Grande Histoire, a ouvert ses portes. En pleine guerre mondiale dans laquelle Iwaḍiyen étaient directement ou indirectement embarqués comme tant d’Algériens et de Kabyles surtout. Dès sa tendre enfance, Hocine est confronté aux scènes d’un théâtre tragique qui a marqué et marque toujours le destin de son peuple, de notre pays.
Les événements qui ont façonné l’Algérie sous l’ordre colonial et sous l’ordre dictatorial ont imprimé, pour toujours, le caractère bien trempé du jeune Hocine Deghal, puis l’adulte qu’il est vite devenu.
En effet, dès 1957, alors qu’il n’avait que 17 ans, il s’engagea dans les rangs de l’ALN suivant les traces, comme il me l’a dit à plusieurs reprises, du baroudeur Slimane Dehilès, devenu le colonel Sadek et le chef des wilayas III et IV après avoir combattu l’ordre nazi. Intelligent, sportif et lettré pour avoir fréquenté l’école des Pères Blancs, Hocine servait d’agent de liaison, de renseignement et n’hésitait pas à prendre part aux combats.
Déçu, comme beaucoup, par la tournure des événements qui ont suivi la fin de la guerre d’indépendance vite confisquée, il se résout à rejoindre les rangs du FFS suivant, une fois de plus, son mentor, le colonel Sadek auquel il voua un grand respect.
À peine les accords signés avec les hommes de Ben Bella par le colonel Sadek et le commandant Yaha dit Si Lhafid, pour mettre fin au conflit que d’aucuns appellent « guerre Aït-Ahmed-Ben Bella », Hocine décide de rejoindre la France. S’il y va pour travailler à l’image de plusieurs milliers d’Algériens, il n’en démord pas pour autant de ses engagements contre toute forme d’oppression.
Il travaillait dans les grands journaux parisiens que sont Le Figaro et France Soir et m’y avait invité en 1973, alors que j’étais encore étudiant et que je venais à Paris pour quelques semaines de vacances. Voyant l’intérêt que je portais à la question amazighe, il m’emmena visiter les locaux de l’Académie berbère à la rue d’Uzès dans le 2ème arrondissement de Paris.
Ce fut un modeste appartement où trônait avec honneur et humilité le grand militant amazigh Mohand-Arab Bessaoud, ancien commandant de l’ALN. C’est beaucoup plus tard que je découvris dans plusieurs archives que Hocine Deghal était, avec Hamici Chabane dit Hamid, membre fondateur de cette célèbre Académie dont le combat a défrayé toutes les chroniques et influencé toutes les luttes de la jeunesse kabyle.
À regarder de près la vie de Hocine Deghal, on se rend vite compte qu’il l’a dédiée aux combats pour les causes justes. C’est pourquoi il a souvent aidé les associations de culture amazighes de la région parisienne et de manière toujours discrète. Il aimait à montrer sa carte d’adhérent à Agraw Imazighen (Académie Berbère) non pas pour prétendre à une quelconque reconnaissance, mais pour montrer, aux plus jeunes, la voie à suivre.
Hocine est de ceux qui minimisent l’importance de leur rôle. Il était nourri aux valeurs de la culture ancestrale kabyle dans ce qu’elle a de noble et de sobriété. C’est pourquoi il a toujours refusé de bénéficier des privilèges accordés aux anciens moudjahidine. À plusieurs reprises, l’ancien commandant Hachour Mohand-ou-Ramdane, un de ses amis, a tenté, en vain, de lui faire admettre qu’il s’agissait de ses droits, du prix légitime de son engagement.
Hocine, tu es parti. Tu nous as quittés dans l’honneur, ton nom et ton action resteront gravés dans le vaste champ mémoriel des justes, dans le Panthéon de ton village natal At Berjal-Iwaḍiyen, dans la grande histoire de l’Académie Berbère comme tu resteras dans nos cœurs.
Que toute la famille At Feṛḥat (Deghal, Deghou) et particulièrement Akli, Lamara, Hamid et leur sœur, trouve, dans ce petit texte, l’affirmation de toute ma solidarité et l’expression de mes condoléances les plus sincères et les plus attristées.
Hacène Hirèche